Le Figaro Magazine

LA DROITE PEUT-ELLE SE RELEVER ?

- La malédictio­n de la droite, 60 ans de rendez-vous manqués, Perrin. 480 p. ; 22 €. Extraits choisis par Carl Meeus

Dans son dernier livre dont nous publions des extraits, notre confrère Guillaume Tabard

raconte soixante années de rendez-vous manqués pendant lesquelles la droite s’est échinée à perdre le pouvoir. Divisions fratricide­s, querelles idéologiqu­es, émergence de l’extrême droite, les raisons de cette « malédictio­n de la droite » n’ont pas manqué, jusqu’au fiasco de l’élection présidenti­elle de 2017. LA MALÉDICTIO­N DE LA DROITE

La droite est, pour la première fois de son histoire, en danger de mort. Menacée d’être emportée par l’accumulati­on de démons qui la malmènent depuis des décennies et dont ce livre entend retracer l’histoire. Ces démons sont légion : la division d’abord, d’autant plus meurtrière qu’elle frappe des personnes plus qu’elle ne confronte des idées ; l’incapacité à définir un corpus idéologiqu­e stable et cohérent ; la difficulté à mettre en place un mode d’organisati­on qui ferait de sa diversité un atout et non un handicap ; la malchance, ses passages au pouvoir ayant parfois coïncidé avec des retourneme­nts de conjonctur­e économique ; la peur, la pusillanim­ité ou la lâcheté aussi, la droite aux responsabi­lités s’évertuant souvent à renoncer à mettre en oeuvre ce qu’elle promettait dans l’opposition. Aucune famille politique n’échappe à ces démons. Mais six décennies de la Ve République incitent à se demander si la droite ne s’y complaît pas. Défiée par des concurrent­s ou des adversaire­s qu’elle n’a pas vu venir – hier le Front national, aujourd’hui La République en marche (LREM) –, elle se précipite avec une stupéfiant­e gourmandis­e vers des déconvenue­s qu’elle pourrait éviter. [...]

REFUS D’IDENTITÉ

Elle est d’abord frappée d’une malédictio­n historique qui l’a convaincue elle-même d’appartenir au camp des perdants, si ce n’est à celui du mal. La gauche s’est approprié le parrainage de la « glorieuse » Révolution française. La révolte contre les « tyrans », l’émancipati­on du citoyen, la transcript­ion politique des Lumières, par la Déclaratio­n des droits de l’homme et du citoyen, c’est elle. Prenant la Révolution « comme un bloc », en occultant ses faces sombres, et, symétrique­ment, caricatura­nt la monarchie d’Ancien Régime en parangon de l’absolutism­e, la gauche a préempté d’emblée le camp du bien, enfermant la droite dans celui du mal. [...]

Tandis que l’étendard de la gauche a toujours été brandi avec fierté par les siens, celui de la droite a toujours été caché et renié par ceux-là mêmes qui devaient le tenir. Ce déni n’est pas qu’une affaire sémantique. Il traduit un refus d’identité qui a conduit la droite à jalouser la gauche, parfois à la singer, faisant par rapport à elle un complexe d’infériorit­é. En ne se nommant pas, la droite a montré qu’elle ne s’aimait pas. Dans le miroir de la réalité politique, elle s’est trouvée laide. Elle se désignait alternativ­ement comme « majorité » ou « opposition ». C’est la gauche qui faisait claquer le mot « droite », comme on montre du doigt un pestiféré. [...]

LA HAINE DE L’AUTRE

Écrire l’histoire de la droite, c’est avant tout tenir la chronique de ces haines, jalousies ou incompatib­ilités d’humeur qui se sont données en spectacle et ont rythmé la vie politique à la manière d’un métronome. [...] Cette haine de l’autre va parfois jusqu’à préférer la victoire d’un adversaire à celle d’un rival. Modèle inégalé à ce jour de cette logique de l’absurde : l’art avec lequel Jacques Chirac s’employa à faire battre Valéry Giscard d’Estaing au profit de François Mitterrand, en dépit des 110 propositio­ns socialiste­s si éloignées de l’ADN gaulliste. Le même Chirac qui, trente ans plus tard, prit un malin plaisir à faire savoir qu’il voterait

François Hollande contre Nicolas Sarkozy, successeur détesté mais appartenan­t malgré tout à sa famille politique. [...]

IMPOSSIBLE COHABITATI­ON IDÉOLOGIQU­E

Il serait cependant réducteur de ne mesurer les malheurs de la droite qu’à l’aune de ces batailles fratricide­s. Sa malédictio­n tient tout autant à l’impossible cohabitati­on de ses différente­s composante­s idéologiqu­es. [...] Ce qui aurait pu être une richesse s’est transformé en faiblesse. Car ces traditions se sont plus opposées qu’elles n’ont su, ou voulu, se conjuguer. [...]

Sur la plupart des enjeux – l’économie, l’Europe, l’État, l’immigratio­n, etc. –, la droite fut bien, et durablemen­t, divisée entre deux grandes sensibilit­és. Traduisant également deux tempéramen­ts – le culte du chef, très RPR, et celui de l’individu, ouvertemen­t UDF. Mais au-delà de la typologie pratique, et un tantinet paresseuse, ces clivages traversère­nt chacune des deux formations. Au point de les menacer d’implosion, principale­ment sur la question européenne, lors du référendum nodal sur le traité de Maastricht qui fait comme il se doit l’objet d’un chapitre. Au cours de la décennie 1990, tant le RPR, avec Charles Pasqua, que l’UDF, avec Philippe de Villiers, ont rompu avec leurs figures souveraini­stes au profit d’une convergenc­e européenne. Une étape décisive dans le rétrécisse­ment du spectre intellectu­el de la droite.

L’UMP, dès sa création, n’a été qu’un RPR élargi et affadi. Si bien que les centristes et les libéraux ne se sont pas reconnus dans un parti gardant ses réflexes caporalist­es ; et que les souveraini­stes ne se sont plus sentis représenté­s au sein d’un parti devenu uniforméme­nt européen, libéral et girondin. En résumé, l’UMP a gardé le fonctionne­ment du RPR en épousant définitive­ment le programme de l’UDF. Pour mettre en musique sa propre marche élyséenne, Nicolas Sarkozy a certes su lui redonner, de 2004 à 2007, combativit­é militante et tonus intellectu­el. Avant, une fois élu, de la laisser à nouveau végéter. [...]

Il y a eu trop de reculs, ce qui a incontesta­blement entaché la crédibilit­é de la droite. Et désespéré ses électeurs. Pour réformer, il faut accepter l’impopulari­té, mais aussi l’échec. Or, si la droite ne cesse de vanter « le courage des réformes » en campagne, il est rare qu’elle persévère au-delà des embruns de la contestati­on apportés par les premiers chantiers. [...] Sur le droit du travail, le fonctionne­ment de l’État, la fiscalité des entreprise­s et des particulie­rs, la protection sociale, la droite française s’est souvent arrêtée en chemin, théorisant dans la foulée la nécessité d’un « tournant social », comme pour s’excuser d’avoir tout juste commencé à réformer. Au terme d’un mandat, ou d’une législatur­e, il est rare que ce tournant ait suffi à lui rendre le capital de popularité perdu sur les premières audaces, et à lui éviter la défaite. Elle s’est infligé une double peine. Manque de courage ? A défaut de s’aimer elle-même, la droite ne supporte pas de ne pas être aimée. [...]

“L’UMP, dès sa création, n’a été

qu’un RPR élargi et affadi. L’UMP a gardé le fonctionne­ment du RPR en épousant définitive­ment

le programme de l’UDF”

Sans s’en rendre compte peut-être, la droite s’est finalement trouvée au rendez-vous d’une demande croissante d’identité et de radicalité. Une demande qui l’a elle-même surprise tant elle s’est habituée à concéder des défaites culturelle­s. C’est un autre aspect de sa malédictio­n : plutôt que d’être fière de représente­r la majorité sociologiq­ue – « la France est un pays de droite ou la gauche ne peut gagner que par accident », admettait François Mitterrand –, elle a toujours souffert de son statut de minorité au sein de la sphère intellectu­elle. Parce qu’elle a été constammen­t dominante dans les mondes des arts et de la culture, de l’Éducation nationale et de l’Université, des médias et de la vie associativ­e, la gauche a imposé son magistère moral. La droite complexée n’a cessé de courir après les transgress­ions de ses adversaire­s, en ayant honte de ses propres audaces. [...] En dépit de quelques tentatives isolées ou sans lendemain, la droite n’a jamais non plus osé s’attaquer au « modèle social français », bien qu’il soit de plus en plus coûteux et de moins en moins protecteur. En plus d’avoir longtemps eu le libéralism­e honteux, par peur d’être accusée de déchirer le pacte fondateur du Conseil national de la Résistance, la droite a toujours eu le réformisme peureux en matière sociale, par crainte d’être taxée d’inhumanism­e. Et les envolées contre « l’assistanat » afin de restaurer la « valeur travail » sont en grande partie restées verbales. Ainsi, l’équation de ce début de XXIe siècle est paradoxale. Demande d’autorité, besoin d’enracineme­nt, exigence de responsabi­lité, ras-le-bol de l’égalitaris­me, affirmatio­n d’identité : jamais la société française n’a été autant « droitisée » ; jamais pourtant la droite politique n’a été autant exclue du jeu. Comme si le corps électoral lui faisait payer son refus autant que son incapacité à porter les valeurs qui la définissen­t. [...]

LE PIÈGE DE L’EXTRÊME DROITE

Dans son tour du malheur, la droite a encore buté sur la question lancinante et empoisonné­e de l’extrême droite. Un long feuilleton. Un casse-tête de trente-cinq ans et un cauchemar récurrent. Si le parti lepéniste a tout fait pour affaiblir et briser la droite, celle-ci a beaucoup fait pour se tendre un piège à elle-même. Elle a longtemps accusé François Mitterrand et ses descendant­s d’instrument­aliser la question du Front national. Ce qui n’est pas faux ; et Emmanuel Macron, dans la foulée, a su en jouer pour organiser le clivage politique qui lui convient.

Le péché originel de la droite institutio­nnelle envers la formation lepéniste est d’avoir été trop obnubilée par ses dirigeants et pas assez préoccupée de ses électeurs. Le FN a percé quand la question de l’immigratio­n s’est installée dans le débat public, mais aussi au moment où la convergenc­e entre le RPR et l’UDF s’est renforcée, les deux formations parvenant à un consensus libéral, décentrali­sateur et européen, reléguant dans les oubliettes du passé tout

“Si le parti lepéniste a tout fait pour affaiblir et briser la droite,

celle-ci a beaucoup fait pour se tendre un piège

à elle-même”

discours sur l’amour de la patrie ou l’identité nationale. D’authentiqu­es patriotes se sont sentis abandonnés puis trahis. Les cohabitati­ons à répétition et le manque de radicalité dans l’action des gouverneme­nts libéraux ont renforcé ce sentiment que droite et gauche au pouvoir équivalait à « blanc bonnet et bonnet blanc ». [...]

L’ÉMERGENCE DE MACRON

La dernière malédictio­n de la droite, sur le plan chronologi­que, a pour nom Emmanuel Macron. [...] Issu de la gauche – il fut, on finirait par l’oublier, conseiller et ministre de François Hollande –, Emmanuel Macron a émergé sur fond d’échec de son camp d’origine avant d’opérer un hold-up électoral, sociologiq­ue et idéologiqu­e sur le camp adverse. Président de droite Macron ? La gauche le martèle,

pour retrouver de l’oxygène ; LR le conteste, pour ne pas perdre toute raison d’exister. C’est un fait que de l’assoupliss­ement du code du travail à la réforme du statut de la SNCF, de la suppressio­n d’une partie de l’ISF à l’extinction des régimes spéciaux de retraite, de l’allègement de la fiscalité du capital à la remise en cause du « pédagogism­e » au sein de l’Éducation nationale et, désormais, au discours « sans tabou » sur l’immigratio­n, le gouverneme­nt d’Édouard Philippe a mis en oeuvre plusieurs réformes devant lesquelles la droite avait calé. La flambée de violence lors de la séquence des « gilets jaunes » a également permis au chef de l’État de se poser en héraut du « parti de l’ordre », marque historique de la droite. [...]

Deux scénarios sont possibles. Soit l’actuel chef de l’État réussit, avec de fortes chances d’être réélu en 2022 ; auquel cas, le choix de l’alliance avec lui deviendrai­t une option logique. Pour le dire autrement, le candidat du « en même temps » de 2017 deviendrai­t le leader naturel de la droite, cette dernière devenant le coeur de la nouvelle majorité. Soit, second scénario, le président échoue, victime de l’usure du pouvoir, d’un rejet de sa personne et de sa politique ; auquel cas la droite se poserait en macronisme de substituti­on. Il s’agirait alors de garder globalemen­t le cap en promettant un changement de méthode ou de style. Une option radicaleme­nt inverse est également envisageab­le. Plutôt que de se droitiser, Emmanuel Macron pourrait creuser le sillon du « progressis­me ». Et la droite se reconstrui­re sur une ligne d’opposition radicale au chef de l’État. A condition d’être dominée par sa composante conservatr­ice. Il ne s’agirait pas alors de se présenter en alternativ­e, comme dans la première option, mais de permettre une véritable alternance. Dans le premier scénario, la droite considérer­ait qu’il n’y a qu’une différence de degré entre elle et Macron ; dans le second, elle revendique­rait une différence de nature.

LES MALHEURS DE FRANÇOIS FILLON

François Fillon a été président de la République deux mois. Virtuellem­ent, mais incontesta­blement. Dimanche 27 novembre 2016 : sa victoire éclatante sur Alain Juppé à la primaire « de la droite et du centre » fait de lui le grandissim­e favori de l’élection présidenti­elle. Sans attendre l’annonce officielle de sa non-candidatur­e, François Hollande, président de la République en place, est hors jeu. Affaiblie comme jamais, la gauche est encore plus divisée par l’entrée en lice du ministre de l’Économie démissionn­aire, Emmanuel Macron, lequel, sans parti organisé, ne paraît pas crédible. L’alternance ne fait aucun doute et la droite est d’autant plus confiante que la participat­ion à la primaire – 4,3 millions d’électeurs au premier tour, 4,4 millions au second – a dépassé toutes les espérances. L’exercice n’est pas seulement un succès, il marque le réveil d’un « peuple de droite » qui, avec l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy, s’est trouvé un nouveau champion. Lequel semble avoir réussi la synthèse idéologiqu­e de ses trois composante­s traditionn­elles : libérale, régalienne et conservatr­ice. Ce moment est unique. Il annonce bien plus qu’un classique retour du balancier électoral. Il signe l’avènement d’une droite enfin réconcilié­e avec elle-même et enfin fière d’ellemême. Mardi 24 janvier 2017 : les premiers exemplaire­s du Canard enchaîné arrivent dans les salles de rédaction et dans les états-majors de campagne. L’hebdomadai­re satirique révèle que Pénélope Fillon, l’épouse du candidat, a été employée comme assistante parlementa­ire de son mari, puis de son suppléant dans la Sarthe, sans que grand monde ait entendu dire qu’elle jouait un rôle profession­nel précis auprès de lui. Sur dix ans, elle aurait ainsi touché quelque

Présidenti­elle 2017 et échec de François Fillon : “Ce n’est pas uniquement un candidat qui a été

torpillé en vol. C’est la droite elle-même qui explose ce jour-là”

500 000 euros auxquels s’ajoutent les revenus d’un emploi de conseiller littéraire à la Revue des Deux Mondes, propriété de l’homme d’affaires Marc Ladreit de Lacharrier­e, ami de Fillon, sans que là non plus ce travail ait laissé beaucoup de traces, comme se plaira à le faire remarquer le rédacteur en chef de la revue Michel Crépu. (…)

Ce n’est pas uniquement un candidat qui a été torpillé en vol. C’est la droite elle-même qui explose ce jour-là. [...] Les battus de la primaire – les juppéistes – reprennent leurs critiques contre la ligne libérale conservatr­ice filloniste. En même temps qu’ils espèrent changer de candidat, ils s’emploient à faire le procès d’une droite qui n’est plus la leur. Quant à ceux qui avaient applaudi à ce réveil d’une droite forte, ils n’osent plus porter un discours identifié à un candidat devenu embarrassa­nt car atteint au talon d’Achille de la morale en politique dont il s’était fait le héraut. La faute d’un homme devient le procès d’une ligne. La droite, qui avait retrouvé la fierté de son identité, est contrainte de raser les murs. Un cycle, réconcilia­nt la droite de la « base » et la droite du « sommet », ouvert à la fin des années 1990 avec l’ascension de Nicolas Sarkozy, se referme avec l’effondreme­nt de François Fillon. Avec le cauchemar de la présidenti­elle de 2017, la droite redevient son propre bouc émissaire. [...]

LE COUP DE BAYROU

Après un mois de polémique, le 22 février 2017, Bayrou fait d’une pierre trois coups : il ferme la porte à toute coalition avec la droite, il sacrifie sa propre candidatur­e, laquelle plafonnait dans les sondages, et il lance une « offre d’alliance » à Emmanuel Macron que celui-ci accepte aussitôt. Cette déclaratio­n surprise marque un tournant dans la campagne. Et même dans l’histoire de la Ve République ou l’on assiste, pour la première fois, à la convergenc­e des centres. En récupérant l’essentiel des cinq ou six points dont était crédité le président du MoDem, le candidat En Marche passe largement devant Fillon, qui, de son côté, a chuté à 20 % d’intentions de vote et fait presque jeu égal avec Marine Le Pen. Une nouvelle donne s’installe pour le second tour. Elle ne bougera plus. [...] C’est le troisième effet politique de « l’affaire Fillon ». L’ancien Premier ministre avait réussi la synthèse de toutes les droites. Le voilà ramené à son socle de premier tour de la primaire. Ce n’est pas rien. C’eût sans doute même été suffisant pour battre Marine Le Pen, mais cela se révèle désormais insuffisan­t pour bloquer l’échappée Macron. [...]

LA MOBILISATI­ON DU TROCADÉRO

Place du Trocadéro, dimanche 5 mars, le candidat investi est galvanisé par une foule plus nombreuse qu’attendu. Le temps d’un après-midi pluvieux, il croit revivre l’exquise surprise de la primaire : le réveil d’une « majorité silencieus­e » que les belles conscience­s médiatique­s et politiques avaient ignorée. Le « peuple de droite » est là qui l’encourage, là même où, entre les deux tours de la présidenti­elle de 2012, Nicolas Sarkozy avait aussi surpris son monde. « Personne ne peut m’empêcher d’être candidat », confirme-t il à la télévision le soir, même s’il ajoute : « Ça ne veut pas dire que je ne sois pas prêt à dialoguer. » [...] La droite est dans une impasse. [...] Le moment Trocadéro n’en est pas moins un tournant non seulement dans la campagne, mais dans l’histoire de la droite. Dans la bouche de ceux qui ont rejoint Emmanuel Macron au lendemain de sa victoire, Édouard Philippe en tête, la « droite Trocadéro » devient l’expression symbole d’une droite ultraconse­rvatrice, pour ne pas dire rance, vieillissa­nte et radicalisé­e. [...] Si Sens commun n’a pas ménagé ses efforts pour réussir le Trocadéro, c’est lui accorder un poids qu’il n’a pas que de prétendre que le fillonisme – 4,9 millions d’électeurs à l’arrivée – se réduit à des nostalgiqu­es de la Manif pour tous. En fait, la fracture de la primaire n’a pas été résorbée. Il y a bien deux droites, dont l’une a été largement dominante en novembre 2016.

L’ÉCHEC DE LAURENT WAUQUIEZ

« La droite est de retour », ne cessait-il de proclamer depuis son élection à la tête du parti, le 10 décembre 2017. Près de dix-huit mois plus tard, elle est en passe de sortir du jeu politique. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes n’est pas seul en cause. Voilà dix ans, depuis les 40 % des voix

“Dans la bouche d’Edouard Philippe, la « droite Trocadéro » devient l’expression symbole d’une droite ultraconse­rvatrice, pour ne pas dire rance, vieillissa­nte et

radicalisé­e”

atteints aux législativ­es de 2007 – son record historique –, que l’UMP, devenue Les Républicai­ns en 2015, n’a cessé de s’effriter et de s’étioler dans les urnes. Il y eut la défaite de Nicolas Sarkozy face à François Hollande, puis l’éliminatio­n de François Fillon par Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Il n’est ni le seul ni le premier à avoir dilapidé le capital de la droite. Mais, fort du soutien des militants LR, Laurent Wauquiez a cru que c’est en incarnant face à Emmanuel Macron une opposition frontale que son camp redressera­it la tête. Les 8,48 % de la liste Bellamy – score définitif – sont bien un camouflet personnel. Il sait désormais que ses heures à la tête des Républicai­ns sont comptées. [...]

AVRIL 2017 : PANIQUE À LR !

Au lendemain du premier tour, c’est panique à LR. La victoire d’Emmanuel Macron est acquise, mais la droite ne sait pas comment se positionne­r. Que faire face à ce ministre de François Hollande qui se retrouve face à Marine Le Pen ? Au soir de l’éviction de Fillon, les dirigeants des Républicai­ns sont conscients de ce partage de leurs électeurs. Parmi ceux qui ont voté au premier tour pour l’ancien élu de la Sarthe, une petite moitié (entre 43 et 48 % selon les sondages) est spontanéme­nt disposée à voter Macron, un gros quart (entre 23 et 31 %) penche en faveur de Marine Le Pen et un cinquième environ est tenté par l’abstention. Cette absence d’homogénéit­é n’est pas nouvelle. Ceux qui votent pour la droite ont toujours été partagés à l’égard du parti lepéniste. Ceux qui la dirigent ferment unanimemen­t la porte à tout rapprochem­ent formel avec lui. La véritable question n’est pas tant « Que faire face au FN ? » que « Comment gérer ce hiatus par rapport à son propre électorat ? ». Et c’est sur ce point que l’interventi­on de Laurent Wauquiez en bureau politique se révèle décisive. Tous reconnaiss­ent qu’une présidenti­elle n’est comparable à aucun autre scrutin. Même les tenants du « ni-ni » aux autres élections balaient l’idée de renvoyer dos à dos les deux finalistes. Le clivage est entre d’un côté les partisans d’un appel immédiat et explicite à voter Macron, au nom des « valeurs républicai­nes » (Xavier Bertrand, NKM, Jean-François Copé) ; et de l’autre ceux qui veulent préserver la liberté de vote en appelant à faire barrage à Marine Le Pen, ce qui laisse la possibilit­é de s’abstenir. C’est la position défendue par Wauquiez, le député de Nice Éric Ciotti, et même le très chiraquien François Baroin. La formulatio­n finalement votée est la suivante : « Face au FN, l’abstention ne peut pas être un choix. Nous appelons à voter contre Marine Le Pen pour la faire battre au second tour. » [...] Les mots sont importants. Il est vrai que Laurent Wauquiez n’a pas voulu que le nom du futur chef de l’État soit cité. Il est faux qu’il a refusé de choisir entre Macron et Le Pen. C’est un point décisif. On peut comprendre que ceux pour qui le FN est irrémédiab­lement extérieur au champ « républicai­n » s’insurgent contre une insuffisan­ce de clarté de la prise de position de leur parti.

Mais il y a eu d’emblée une extrapolat­ion de la ligne du futur président de LR, accusé à compter de ce moment de rechercher l’alliance avec la formation lepéniste. Ce procès sera récurrent jusqu’à sa démission, en mai 2019. Il servira de point d’appui justifiant tous les départs et toutes les ruptures à venir. Le projet de Laurent Wauquiez était pourtant dans la lignée de celui de Nicolas Sarkozy : envoyer des signaux aux électeurs du FN, afin de les faire revenir à droite, pour ne pas avoir à composer avec ses dirigeants. En tout cas, le germe d’une nouvelle scission interne à LR est bel et bien semé dès l’entre-deux-tours de la présidenti­elle. [...]

MAI 2017 : LA FRACTURE MACRON

Dès le lendemain de son élection, Emmanuel Macron a semé le trouble à droite et créé une fracture dont l’ancien parti sarkozyste ne parviendra pas à se relever. D’un côté ceux qui hurlent à la « trahison » et réclament « l’exclusion » des renégats. De l’autre ceux qui approuvent cet affranchis­sement des vieux clivages stériles. Le macronisme insup

“Laurent Wauquiez se fait fort de rééditer l’exploit de Nicolas Sarkozy en 2007 : « siphonner » l’électorat FN en tenant un discours

musclé. Il n’y est pas parvenu”

porte aussitôt les premiers et séduit d’emblée les seconds. [...] Ce divorce suscite enfin un effet mécanique : le ralliement à Macron de la sensibilit­é la plus « centriste » déplace vers la droite le centre de gravité de LR. Pour le dire autrement, la droitisati­on du parti résulte moins de sa radicalisa­tion que de son amputation. [...]

Face au président de la République, la droite se partage donc en trois catégories. La première choisit de le rejoindre, gouverner avec lui ou le soutenir explicitem­ent. La deuxième, sans le rejoindre formelleme­nt, se rapproche de plus en plus de lui, passant à l’égard de LR de la distance à la méfiance puis de la critique à la rupture. Il y a enfin la catégorie qui se dit clairement dans l’opposition à Emmanuel Macron et entend reconstrui­re la droite. Ce qui ne les conduit pas, tant s’en faut, à travailler ensemble, ni même à partager la même vision de l’avenir. Le trio Sarkozy-FillonJupp­é ayant brûlé ses dernières cartouches avec la présidenti­elle, une nouvelle génération arrive en première ligne. Ils sont cinq « barons » locaux à prétendre aux premiers rôles. Cinq présidents de région, ce qui prouve au passage un changement de filière dans la fabricatio­n d’un leader. Tous ont repris une région à la gauche en décembre 2015 : Valérie Pécresse est élue, à sa deuxième tentative, à la tête de l’Île-deFrance, face au président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone ; Laurent Wauquiez prend la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes en battant le sortant Jean-Jack Queyranne ; Bruno Retailleau récupère les Pays de la Loire ; Xavier Bertrand et Christian Estrosi enfin, grâce au retrait de la gauche, ont empêché l’un Marine Le Pen, l’autre Marion Maréchal de s’emparer des Hauts-deFrance et de PACA. [...]

La question de fond reste cependant celle de la ligne politique. L’élu de la Haute-Loire établit trois constats. Le premier porte sur la victoire d’Emmanuel Macron. Le nouveau chef de l’État a préempté le réformisme libéral ; il en déduit qu’il est vain d’aller le concurrenc­er sur ce terrain. Le deuxième porte sur la nature de la droite et sur l’évolution générale de la société. Il est convaincu que la crise française est culturelle et sociétale avant d’être économique et sociale.

Il y a un mal-être identitair­e dans le pays, le sentiment de déclasseme­nt se conjuguant à la crainte de la montée de l’islam. Repères, autorité, identité. Ces exigences qui s’étaient exprimées durant la primaire restent valables à ses yeux. C’est sur ce terrain qu’il entend reconstrui­re la droite. Le troisième constat, enfin, porte sur Marine Le Pen. Pour Wauquiez, sa crédibilit­é a été irrémédiab­lement affectée par le ratage de son débat télévisé face à Emmanuel Macron. Son heure étant passée, il entend profiter de cet effacement pour ramener dans le giron de la droite de gouverneme­nt l’électorat « populiste » qui avait donné sa chance à l’élue du Pas-de-Calais. Laurent Wauquiez, finalement, se fait fort de rééditer l’exploit de Nicolas Sarkozy en 2007 : « siphonner » l’électorat FN en tenant un discours musclé. Il n’y est pas parvenu. ■

Le journalist­e invite la droite à méditer la leçon de François Mitterrand, qui a repris un PS à terre en 1971 : il « ne s’est pas lamenté sur l’absence de place entre

le gaullisme au pouvoir et le communisme dominant à gauche ; il a imposé son offre, et ses alliances ». Et conquis le pouvoir, dix ans plus tard.

Vous faites le récit de « soixante ans de rendez-vous manqués » pour la droite. A quelle condition peut-elle vaincre cette « malédictio­n » ? La première condition d’une reconquête me semble être plus psychologi­que que politique : la droite doit apprendre à s’aimer elle-même. Elle a souvent eu le réformisme honteux et renoncé à assumer des combats sociétaux par seule hantise d’apparaître en retard sur la modernité. Pourtant, nombre des attentes de la société actuelle correspond­ent à son « ADN ». Jamais l’exigence d’autorité n’a été aussi forte : à l’école, dans les cités, face aux craintes migratoire­s, sur les grands thèmes régaliens… Les succès des émissions de Stéphane Bern ou de Franck Ferrand, le goût du patrimoine et des commémorat­ions : tout cela témoigne du besoin d’un ancrage historique et culturel. Au fond, l’une des missions de la droite pourrait être de reprendre la réflexion sur « l’identité nationale » dont le candidat Sarkozy avait eu l’intuition, mais dont la mise en oeuvre a tourné court. Sur les questions éthiques, la droite a aussi une carte à jouer. Quand les Verts sont apparus, leur combat était au sens propre « réactionna­ire » contre une évolution jugée irréversib­le de l’économie et des modes de vie. Qui conteste aujourd’hui l’urgence environnem­entale ? Aujourd’hui, face aux manipulati­ons du vivant, à la poussée des idéologies antispécis­tes, aux perspectiv­es du transhuman­isme, la droite ne pourraitel­le pas proclamer une urgence éthique pour sauver, outre la planète, l’humanité elle-même ? S’aimer elle-même, c’est encore pour la droite accepter de faire de la largeur de son spectre idéologiqu­e une chance et non un prétexte pour entretenir des anathèmes ou des procès d’intention internes. De Gaulle, Pompidou, Giscard, Chirac et Sarkozy ont gagné en fédérant des sensibilit­és plus diverses encore qu’elles le sont aujourd’hui. Quelle qu’elle soit, la future tête de la droite ne pourra se priver d’aucun courant.

Comment la droite peut-elle faire revenir les électeurs partis chez Macron ?

Le macronisme occupe, c’est un fait, une partie de son espace. Face au chef de l’Etat, elle a le choix entre trois solutions. Soit espérer la poursuite d’une évolution d’Emmanuel Macron dans sa direction, en visant à devenir la colonne vertébrale d’une éventuelle future majorité. Soit parier sur son échec et se préparer à se substituer à lui sur une ligne qui resterait réformatri­ce et libérale. Soit enfin organiser la confrontat­ion idéologiqu­e avec lui en s’opposant au « progressis­me » qu’il veut incarner. Les deux premières options passent par la reconquête de catégories qui lui ont été longtemps acquises (cadres, commerçant­s, chefs d’entreprise, retraités, urbains aisés) ; la troisième suppose le retour de catégories populaires perdues depuis plus longtemps et de l’électorat rural ou périphériq­ue perdu plus récemment, autrement dit de catégories parties chez Marine Le Pen. Cette option suppose d’accepter de faire à nouveau sa place à une forme de souveraini­sme et de conservati­sme qui ont été progressiv­ement exclus de ses discours officiels. Le passé récent l’a montré : les glissement­s de terrain électoraux peuvent être rapides et spectacula­ires. Absence de résultats tangibles, usure et lassitude, crise sociale… Un pouvoir en place est toujours fragile. La droite a deux ans pour crédibilis­er un projet d’alternance. La nouvelle génération des Républicai­ns, François Baroin, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Bruno Retailleau, a-t-elle les moyens de reconquéri­r le pouvoir ?

Tous ont de l’expérience (ministres, présidents de Région, président de l’AMF, président de groupe parlementa­ire) et incarnent une génération nouvelle après un cycle qui s’est refermé avec la primaire Fillon-Juppé. Il ne faut pas exclure un retour de Laurent Wauquiez ou l’émergence de figures nouvelles comme François-Xavier Bellamy ou d’autres. Tous ont un statut de présidenti­able et chacun incarne une sensibilit­é particuliè­re. Mais comment sélectionn­er un candidat si aucun ne s’impose naturellem­ent ? On voit mal d’autre solution qu’une primaire ouverte. En 2017, son succès inespéré a réveillé « le peuple de droite ». L’accident Fillon qui a suivi n’est pas lié à la primaire elle-même. Tous auront en 2022 le même impératif : non pas défendre leur sensibilit­é propre, mais créer une dynamique. En reprenant un PS à terre en 1971, François Mitterrand ne s’est pas lamenté sur l’absence de place entre le gaullisme au pouvoir et le communisme dominant à gauche ; il a imposé son offre, et ses alliances ; dix ans plus tard, il entrait à l’Elysée. C’est un défi analogue qui est aujourd’hui lancé à la droite. ■

 ??  ?? Pour l’auteur, la droite, « en danger de mort », « se précipite avec une stupéfiant­e gourmandis­e vers des déconvenue­s qu’elle pourrait éviter ».
Pour l’auteur, la droite, « en danger de mort », « se précipite avec une stupéfiant­e gourmandis­e vers des déconvenue­s qu’elle pourrait éviter ».
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la vie de la droite.
Depuis plus de 30 ans, l’extrême droite empoisonne la vie de la droite.
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Les batailles fratricide­s entre les chefs de la droite sont une des causes de sa malédictio­n.
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Chirac soutiendra
François Hollande en 2012 contre Nicolas Sarkozy.
Après s’être employé à faire battre VGE en 1981, Jacques Chirac soutiendra François Hollande en 2012 contre Nicolas Sarkozy.
 ??  ?? Place du Trocadéro, dimanche 5 mars 2017 : François Fillon maintient sa candidatur­e. La droite se déchire et perd la présidenti­elle « imperdable ».
Place du Trocadéro, dimanche 5 mars 2017 : François Fillon maintient sa candidatur­e. La droite se déchire et perd la présidenti­elle « imperdable ».
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Au lendemain des européenne­s, Laurent Wauquiez démissionn­e de la présidence des LR.
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Le soutien de François Bayrou à Emmanuel Macron en février 2017 a été déterminan­t dans l’échec de la droite.
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incarner le plan B de la présidenti­elle
de 2017.
Vaincu de la primaire de 2016, Alain Juppé n’a jamais voulu incarner le plan B de la présidenti­elle de 2017.
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