LA DROITE PEUT-ELLE SE RELEVER ?
Dans son dernier livre dont nous publions des extraits, notre confrère Guillaume Tabard
raconte soixante années de rendez-vous manqués pendant lesquelles la droite s’est échinée à perdre le pouvoir. Divisions fratricides, querelles idéologiques, émergence de l’extrême droite, les raisons de cette « malédiction de la droite » n’ont pas manqué, jusqu’au fiasco de l’élection présidentielle de 2017. LA MALÉDICTION DE LA DROITE
La droite est, pour la première fois de son histoire, en danger de mort. Menacée d’être emportée par l’accumulation de démons qui la malmènent depuis des décennies et dont ce livre entend retracer l’histoire. Ces démons sont légion : la division d’abord, d’autant plus meurtrière qu’elle frappe des personnes plus qu’elle ne confronte des idées ; l’incapacité à définir un corpus idéologique stable et cohérent ; la difficulté à mettre en place un mode d’organisation qui ferait de sa diversité un atout et non un handicap ; la malchance, ses passages au pouvoir ayant parfois coïncidé avec des retournements de conjoncture économique ; la peur, la pusillanimité ou la lâcheté aussi, la droite aux responsabilités s’évertuant souvent à renoncer à mettre en oeuvre ce qu’elle promettait dans l’opposition. Aucune famille politique n’échappe à ces démons. Mais six décennies de la Ve République incitent à se demander si la droite ne s’y complaît pas. Défiée par des concurrents ou des adversaires qu’elle n’a pas vu venir – hier le Front national, aujourd’hui La République en marche (LREM) –, elle se précipite avec une stupéfiante gourmandise vers des déconvenues qu’elle pourrait éviter. [...]
REFUS D’IDENTITÉ
Elle est d’abord frappée d’une malédiction historique qui l’a convaincue elle-même d’appartenir au camp des perdants, si ce n’est à celui du mal. La gauche s’est approprié le parrainage de la « glorieuse » Révolution française. La révolte contre les « tyrans », l’émancipation du citoyen, la transcription politique des Lumières, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est elle. Prenant la Révolution « comme un bloc », en occultant ses faces sombres, et, symétriquement, caricaturant la monarchie d’Ancien Régime en parangon de l’absolutisme, la gauche a préempté d’emblée le camp du bien, enfermant la droite dans celui du mal. [...]
Tandis que l’étendard de la gauche a toujours été brandi avec fierté par les siens, celui de la droite a toujours été caché et renié par ceux-là mêmes qui devaient le tenir. Ce déni n’est pas qu’une affaire sémantique. Il traduit un refus d’identité qui a conduit la droite à jalouser la gauche, parfois à la singer, faisant par rapport à elle un complexe d’infériorité. En ne se nommant pas, la droite a montré qu’elle ne s’aimait pas. Dans le miroir de la réalité politique, elle s’est trouvée laide. Elle se désignait alternativement comme « majorité » ou « opposition ». C’est la gauche qui faisait claquer le mot « droite », comme on montre du doigt un pestiféré. [...]
LA HAINE DE L’AUTRE
Écrire l’histoire de la droite, c’est avant tout tenir la chronique de ces haines, jalousies ou incompatibilités d’humeur qui se sont données en spectacle et ont rythmé la vie politique à la manière d’un métronome. [...] Cette haine de l’autre va parfois jusqu’à préférer la victoire d’un adversaire à celle d’un rival. Modèle inégalé à ce jour de cette logique de l’absurde : l’art avec lequel Jacques Chirac s’employa à faire battre Valéry Giscard d’Estaing au profit de François Mitterrand, en dépit des 110 propositions socialistes si éloignées de l’ADN gaulliste. Le même Chirac qui, trente ans plus tard, prit un malin plaisir à faire savoir qu’il voterait
François Hollande contre Nicolas Sarkozy, successeur détesté mais appartenant malgré tout à sa famille politique. [...]
IMPOSSIBLE COHABITATION IDÉOLOGIQUE
Il serait cependant réducteur de ne mesurer les malheurs de la droite qu’à l’aune de ces batailles fratricides. Sa malédiction tient tout autant à l’impossible cohabitation de ses différentes composantes idéologiques. [...] Ce qui aurait pu être une richesse s’est transformé en faiblesse. Car ces traditions se sont plus opposées qu’elles n’ont su, ou voulu, se conjuguer. [...]
Sur la plupart des enjeux – l’économie, l’Europe, l’État, l’immigration, etc. –, la droite fut bien, et durablement, divisée entre deux grandes sensibilités. Traduisant également deux tempéraments – le culte du chef, très RPR, et celui de l’individu, ouvertement UDF. Mais au-delà de la typologie pratique, et un tantinet paresseuse, ces clivages traversèrent chacune des deux formations. Au point de les menacer d’implosion, principalement sur la question européenne, lors du référendum nodal sur le traité de Maastricht qui fait comme il se doit l’objet d’un chapitre. Au cours de la décennie 1990, tant le RPR, avec Charles Pasqua, que l’UDF, avec Philippe de Villiers, ont rompu avec leurs figures souverainistes au profit d’une convergence européenne. Une étape décisive dans le rétrécissement du spectre intellectuel de la droite.
L’UMP, dès sa création, n’a été qu’un RPR élargi et affadi. Si bien que les centristes et les libéraux ne se sont pas reconnus dans un parti gardant ses réflexes caporalistes ; et que les souverainistes ne se sont plus sentis représentés au sein d’un parti devenu uniformément européen, libéral et girondin. En résumé, l’UMP a gardé le fonctionnement du RPR en épousant définitivement le programme de l’UDF. Pour mettre en musique sa propre marche élyséenne, Nicolas Sarkozy a certes su lui redonner, de 2004 à 2007, combativité militante et tonus intellectuel. Avant, une fois élu, de la laisser à nouveau végéter. [...]
Il y a eu trop de reculs, ce qui a incontestablement entaché la crédibilité de la droite. Et désespéré ses électeurs. Pour réformer, il faut accepter l’impopularité, mais aussi l’échec. Or, si la droite ne cesse de vanter « le courage des réformes » en campagne, il est rare qu’elle persévère au-delà des embruns de la contestation apportés par les premiers chantiers. [...] Sur le droit du travail, le fonctionnement de l’État, la fiscalité des entreprises et des particuliers, la protection sociale, la droite française s’est souvent arrêtée en chemin, théorisant dans la foulée la nécessité d’un « tournant social », comme pour s’excuser d’avoir tout juste commencé à réformer. Au terme d’un mandat, ou d’une législature, il est rare que ce tournant ait suffi à lui rendre le capital de popularité perdu sur les premières audaces, et à lui éviter la défaite. Elle s’est infligé une double peine. Manque de courage ? A défaut de s’aimer elle-même, la droite ne supporte pas de ne pas être aimée. [...]
“L’UMP, dès sa création, n’a été
qu’un RPR élargi et affadi. L’UMP a gardé le fonctionnement du RPR en épousant définitivement
le programme de l’UDF”
Sans s’en rendre compte peut-être, la droite s’est finalement trouvée au rendez-vous d’une demande croissante d’identité et de radicalité. Une demande qui l’a elle-même surprise tant elle s’est habituée à concéder des défaites culturelles. C’est un autre aspect de sa malédiction : plutôt que d’être fière de représenter la majorité sociologique – « la France est un pays de droite ou la gauche ne peut gagner que par accident », admettait François Mitterrand –, elle a toujours souffert de son statut de minorité au sein de la sphère intellectuelle. Parce qu’elle a été constamment dominante dans les mondes des arts et de la culture, de l’Éducation nationale et de l’Université, des médias et de la vie associative, la gauche a imposé son magistère moral. La droite complexée n’a cessé de courir après les transgressions de ses adversaires, en ayant honte de ses propres audaces. [...] En dépit de quelques tentatives isolées ou sans lendemain, la droite n’a jamais non plus osé s’attaquer au « modèle social français », bien qu’il soit de plus en plus coûteux et de moins en moins protecteur. En plus d’avoir longtemps eu le libéralisme honteux, par peur d’être accusée de déchirer le pacte fondateur du Conseil national de la Résistance, la droite a toujours eu le réformisme peureux en matière sociale, par crainte d’être taxée d’inhumanisme. Et les envolées contre « l’assistanat » afin de restaurer la « valeur travail » sont en grande partie restées verbales. Ainsi, l’équation de ce début de XXIe siècle est paradoxale. Demande d’autorité, besoin d’enracinement, exigence de responsabilité, ras-le-bol de l’égalitarisme, affirmation d’identité : jamais la société française n’a été autant « droitisée » ; jamais pourtant la droite politique n’a été autant exclue du jeu. Comme si le corps électoral lui faisait payer son refus autant que son incapacité à porter les valeurs qui la définissent. [...]
LE PIÈGE DE L’EXTRÊME DROITE
Dans son tour du malheur, la droite a encore buté sur la question lancinante et empoisonnée de l’extrême droite. Un long feuilleton. Un casse-tête de trente-cinq ans et un cauchemar récurrent. Si le parti lepéniste a tout fait pour affaiblir et briser la droite, celle-ci a beaucoup fait pour se tendre un piège à elle-même. Elle a longtemps accusé François Mitterrand et ses descendants d’instrumentaliser la question du Front national. Ce qui n’est pas faux ; et Emmanuel Macron, dans la foulée, a su en jouer pour organiser le clivage politique qui lui convient.
Le péché originel de la droite institutionnelle envers la formation lepéniste est d’avoir été trop obnubilée par ses dirigeants et pas assez préoccupée de ses électeurs. Le FN a percé quand la question de l’immigration s’est installée dans le débat public, mais aussi au moment où la convergence entre le RPR et l’UDF s’est renforcée, les deux formations parvenant à un consensus libéral, décentralisateur et européen, reléguant dans les oubliettes du passé tout
“Si le parti lepéniste a tout fait pour affaiblir et briser la droite,
celle-ci a beaucoup fait pour se tendre un piège
à elle-même”
discours sur l’amour de la patrie ou l’identité nationale. D’authentiques patriotes se sont sentis abandonnés puis trahis. Les cohabitations à répétition et le manque de radicalité dans l’action des gouvernements libéraux ont renforcé ce sentiment que droite et gauche au pouvoir équivalait à « blanc bonnet et bonnet blanc ». [...]
L’ÉMERGENCE DE MACRON
La dernière malédiction de la droite, sur le plan chronologique, a pour nom Emmanuel Macron. [...] Issu de la gauche – il fut, on finirait par l’oublier, conseiller et ministre de François Hollande –, Emmanuel Macron a émergé sur fond d’échec de son camp d’origine avant d’opérer un hold-up électoral, sociologique et idéologique sur le camp adverse. Président de droite Macron ? La gauche le martèle,
pour retrouver de l’oxygène ; LR le conteste, pour ne pas perdre toute raison d’exister. C’est un fait que de l’assouplissement du code du travail à la réforme du statut de la SNCF, de la suppression d’une partie de l’ISF à l’extinction des régimes spéciaux de retraite, de l’allègement de la fiscalité du capital à la remise en cause du « pédagogisme » au sein de l’Éducation nationale et, désormais, au discours « sans tabou » sur l’immigration, le gouvernement d’Édouard Philippe a mis en oeuvre plusieurs réformes devant lesquelles la droite avait calé. La flambée de violence lors de la séquence des « gilets jaunes » a également permis au chef de l’État de se poser en héraut du « parti de l’ordre », marque historique de la droite. [...]
Deux scénarios sont possibles. Soit l’actuel chef de l’État réussit, avec de fortes chances d’être réélu en 2022 ; auquel cas, le choix de l’alliance avec lui deviendrait une option logique. Pour le dire autrement, le candidat du « en même temps » de 2017 deviendrait le leader naturel de la droite, cette dernière devenant le coeur de la nouvelle majorité. Soit, second scénario, le président échoue, victime de l’usure du pouvoir, d’un rejet de sa personne et de sa politique ; auquel cas la droite se poserait en macronisme de substitution. Il s’agirait alors de garder globalement le cap en promettant un changement de méthode ou de style. Une option radicalement inverse est également envisageable. Plutôt que de se droitiser, Emmanuel Macron pourrait creuser le sillon du « progressisme ». Et la droite se reconstruire sur une ligne d’opposition radicale au chef de l’État. A condition d’être dominée par sa composante conservatrice. Il ne s’agirait pas alors de se présenter en alternative, comme dans la première option, mais de permettre une véritable alternance. Dans le premier scénario, la droite considérerait qu’il n’y a qu’une différence de degré entre elle et Macron ; dans le second, elle revendiquerait une différence de nature.
LES MALHEURS DE FRANÇOIS FILLON
François Fillon a été président de la République deux mois. Virtuellement, mais incontestablement. Dimanche 27 novembre 2016 : sa victoire éclatante sur Alain Juppé à la primaire « de la droite et du centre » fait de lui le grandissime favori de l’élection présidentielle. Sans attendre l’annonce officielle de sa non-candidature, François Hollande, président de la République en place, est hors jeu. Affaiblie comme jamais, la gauche est encore plus divisée par l’entrée en lice du ministre de l’Économie démissionnaire, Emmanuel Macron, lequel, sans parti organisé, ne paraît pas crédible. L’alternance ne fait aucun doute et la droite est d’autant plus confiante que la participation à la primaire – 4,3 millions d’électeurs au premier tour, 4,4 millions au second – a dépassé toutes les espérances. L’exercice n’est pas seulement un succès, il marque le réveil d’un « peuple de droite » qui, avec l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy, s’est trouvé un nouveau champion. Lequel semble avoir réussi la synthèse idéologique de ses trois composantes traditionnelles : libérale, régalienne et conservatrice. Ce moment est unique. Il annonce bien plus qu’un classique retour du balancier électoral. Il signe l’avènement d’une droite enfin réconciliée avec elle-même et enfin fière d’ellemême. Mardi 24 janvier 2017 : les premiers exemplaires du Canard enchaîné arrivent dans les salles de rédaction et dans les états-majors de campagne. L’hebdomadaire satirique révèle que Pénélope Fillon, l’épouse du candidat, a été employée comme assistante parlementaire de son mari, puis de son suppléant dans la Sarthe, sans que grand monde ait entendu dire qu’elle jouait un rôle professionnel précis auprès de lui. Sur dix ans, elle aurait ainsi touché quelque
Présidentielle 2017 et échec de François Fillon : “Ce n’est pas uniquement un candidat qui a été
torpillé en vol. C’est la droite elle-même qui explose ce jour-là”
500 000 euros auxquels s’ajoutent les revenus d’un emploi de conseiller littéraire à la Revue des Deux Mondes, propriété de l’homme d’affaires Marc Ladreit de Lacharriere, ami de Fillon, sans que là non plus ce travail ait laissé beaucoup de traces, comme se plaira à le faire remarquer le rédacteur en chef de la revue Michel Crépu. (…)
Ce n’est pas uniquement un candidat qui a été torpillé en vol. C’est la droite elle-même qui explose ce jour-là. [...] Les battus de la primaire – les juppéistes – reprennent leurs critiques contre la ligne libérale conservatrice filloniste. En même temps qu’ils espèrent changer de candidat, ils s’emploient à faire le procès d’une droite qui n’est plus la leur. Quant à ceux qui avaient applaudi à ce réveil d’une droite forte, ils n’osent plus porter un discours identifié à un candidat devenu embarrassant car atteint au talon d’Achille de la morale en politique dont il s’était fait le héraut. La faute d’un homme devient le procès d’une ligne. La droite, qui avait retrouvé la fierté de son identité, est contrainte de raser les murs. Un cycle, réconciliant la droite de la « base » et la droite du « sommet », ouvert à la fin des années 1990 avec l’ascension de Nicolas Sarkozy, se referme avec l’effondrement de François Fillon. Avec le cauchemar de la présidentielle de 2017, la droite redevient son propre bouc émissaire. [...]
LE COUP DE BAYROU
Après un mois de polémique, le 22 février 2017, Bayrou fait d’une pierre trois coups : il ferme la porte à toute coalition avec la droite, il sacrifie sa propre candidature, laquelle plafonnait dans les sondages, et il lance une « offre d’alliance » à Emmanuel Macron que celui-ci accepte aussitôt. Cette déclaration surprise marque un tournant dans la campagne. Et même dans l’histoire de la Ve République ou l’on assiste, pour la première fois, à la convergence des centres. En récupérant l’essentiel des cinq ou six points dont était crédité le président du MoDem, le candidat En Marche passe largement devant Fillon, qui, de son côté, a chuté à 20 % d’intentions de vote et fait presque jeu égal avec Marine Le Pen. Une nouvelle donne s’installe pour le second tour. Elle ne bougera plus. [...] C’est le troisième effet politique de « l’affaire Fillon ». L’ancien Premier ministre avait réussi la synthèse de toutes les droites. Le voilà ramené à son socle de premier tour de la primaire. Ce n’est pas rien. C’eût sans doute même été suffisant pour battre Marine Le Pen, mais cela se révèle désormais insuffisant pour bloquer l’échappée Macron. [...]
LA MOBILISATION DU TROCADÉRO
Place du Trocadéro, dimanche 5 mars, le candidat investi est galvanisé par une foule plus nombreuse qu’attendu. Le temps d’un après-midi pluvieux, il croit revivre l’exquise surprise de la primaire : le réveil d’une « majorité silencieuse » que les belles consciences médiatiques et politiques avaient ignorée. Le « peuple de droite » est là qui l’encourage, là même où, entre les deux tours de la présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy avait aussi surpris son monde. « Personne ne peut m’empêcher d’être candidat », confirme-t il à la télévision le soir, même s’il ajoute : « Ça ne veut pas dire que je ne sois pas prêt à dialoguer. » [...] La droite est dans une impasse. [...] Le moment Trocadéro n’en est pas moins un tournant non seulement dans la campagne, mais dans l’histoire de la droite. Dans la bouche de ceux qui ont rejoint Emmanuel Macron au lendemain de sa victoire, Édouard Philippe en tête, la « droite Trocadéro » devient l’expression symbole d’une droite ultraconservatrice, pour ne pas dire rance, vieillissante et radicalisée. [...] Si Sens commun n’a pas ménagé ses efforts pour réussir le Trocadéro, c’est lui accorder un poids qu’il n’a pas que de prétendre que le fillonisme – 4,9 millions d’électeurs à l’arrivée – se réduit à des nostalgiques de la Manif pour tous. En fait, la fracture de la primaire n’a pas été résorbée. Il y a bien deux droites, dont l’une a été largement dominante en novembre 2016.
L’ÉCHEC DE LAURENT WAUQUIEZ
« La droite est de retour », ne cessait-il de proclamer depuis son élection à la tête du parti, le 10 décembre 2017. Près de dix-huit mois plus tard, elle est en passe de sortir du jeu politique. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes n’est pas seul en cause. Voilà dix ans, depuis les 40 % des voix
“Dans la bouche d’Edouard Philippe, la « droite Trocadéro » devient l’expression symbole d’une droite ultraconservatrice, pour ne pas dire rance, vieillissante et
radicalisée”
atteints aux législatives de 2007 – son record historique –, que l’UMP, devenue Les Républicains en 2015, n’a cessé de s’effriter et de s’étioler dans les urnes. Il y eut la défaite de Nicolas Sarkozy face à François Hollande, puis l’élimination de François Fillon par Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Il n’est ni le seul ni le premier à avoir dilapidé le capital de la droite. Mais, fort du soutien des militants LR, Laurent Wauquiez a cru que c’est en incarnant face à Emmanuel Macron une opposition frontale que son camp redresserait la tête. Les 8,48 % de la liste Bellamy – score définitif – sont bien un camouflet personnel. Il sait désormais que ses heures à la tête des Républicains sont comptées. [...]
AVRIL 2017 : PANIQUE À LR !
Au lendemain du premier tour, c’est panique à LR. La victoire d’Emmanuel Macron est acquise, mais la droite ne sait pas comment se positionner. Que faire face à ce ministre de François Hollande qui se retrouve face à Marine Le Pen ? Au soir de l’éviction de Fillon, les dirigeants des Républicains sont conscients de ce partage de leurs électeurs. Parmi ceux qui ont voté au premier tour pour l’ancien élu de la Sarthe, une petite moitié (entre 43 et 48 % selon les sondages) est spontanément disposée à voter Macron, un gros quart (entre 23 et 31 %) penche en faveur de Marine Le Pen et un cinquième environ est tenté par l’abstention. Cette absence d’homogénéité n’est pas nouvelle. Ceux qui votent pour la droite ont toujours été partagés à l’égard du parti lepéniste. Ceux qui la dirigent ferment unanimement la porte à tout rapprochement formel avec lui. La véritable question n’est pas tant « Que faire face au FN ? » que « Comment gérer ce hiatus par rapport à son propre électorat ? ». Et c’est sur ce point que l’intervention de Laurent Wauquiez en bureau politique se révèle décisive. Tous reconnaissent qu’une présidentielle n’est comparable à aucun autre scrutin. Même les tenants du « ni-ni » aux autres élections balaient l’idée de renvoyer dos à dos les deux finalistes. Le clivage est entre d’un côté les partisans d’un appel immédiat et explicite à voter Macron, au nom des « valeurs républicaines » (Xavier Bertrand, NKM, Jean-François Copé) ; et de l’autre ceux qui veulent préserver la liberté de vote en appelant à faire barrage à Marine Le Pen, ce qui laisse la possibilité de s’abstenir. C’est la position défendue par Wauquiez, le député de Nice Éric Ciotti, et même le très chiraquien François Baroin. La formulation finalement votée est la suivante : « Face au FN, l’abstention ne peut pas être un choix. Nous appelons à voter contre Marine Le Pen pour la faire battre au second tour. » [...] Les mots sont importants. Il est vrai que Laurent Wauquiez n’a pas voulu que le nom du futur chef de l’État soit cité. Il est faux qu’il a refusé de choisir entre Macron et Le Pen. C’est un point décisif. On peut comprendre que ceux pour qui le FN est irrémédiablement extérieur au champ « républicain » s’insurgent contre une insuffisance de clarté de la prise de position de leur parti.
Mais il y a eu d’emblée une extrapolation de la ligne du futur président de LR, accusé à compter de ce moment de rechercher l’alliance avec la formation lepéniste. Ce procès sera récurrent jusqu’à sa démission, en mai 2019. Il servira de point d’appui justifiant tous les départs et toutes les ruptures à venir. Le projet de Laurent Wauquiez était pourtant dans la lignée de celui de Nicolas Sarkozy : envoyer des signaux aux électeurs du FN, afin de les faire revenir à droite, pour ne pas avoir à composer avec ses dirigeants. En tout cas, le germe d’une nouvelle scission interne à LR est bel et bien semé dès l’entre-deux-tours de la présidentielle. [...]
MAI 2017 : LA FRACTURE MACRON
Dès le lendemain de son élection, Emmanuel Macron a semé le trouble à droite et créé une fracture dont l’ancien parti sarkozyste ne parviendra pas à se relever. D’un côté ceux qui hurlent à la « trahison » et réclament « l’exclusion » des renégats. De l’autre ceux qui approuvent cet affranchissement des vieux clivages stériles. Le macronisme insup
“Laurent Wauquiez se fait fort de rééditer l’exploit de Nicolas Sarkozy en 2007 : « siphonner » l’électorat FN en tenant un discours
musclé. Il n’y est pas parvenu”
porte aussitôt les premiers et séduit d’emblée les seconds. [...] Ce divorce suscite enfin un effet mécanique : le ralliement à Macron de la sensibilité la plus « centriste » déplace vers la droite le centre de gravité de LR. Pour le dire autrement, la droitisation du parti résulte moins de sa radicalisation que de son amputation. [...]
Face au président de la République, la droite se partage donc en trois catégories. La première choisit de le rejoindre, gouverner avec lui ou le soutenir explicitement. La deuxième, sans le rejoindre formellement, se rapproche de plus en plus de lui, passant à l’égard de LR de la distance à la méfiance puis de la critique à la rupture. Il y a enfin la catégorie qui se dit clairement dans l’opposition à Emmanuel Macron et entend reconstruire la droite. Ce qui ne les conduit pas, tant s’en faut, à travailler ensemble, ni même à partager la même vision de l’avenir. Le trio Sarkozy-FillonJuppé ayant brûlé ses dernières cartouches avec la présidentielle, une nouvelle génération arrive en première ligne. Ils sont cinq « barons » locaux à prétendre aux premiers rôles. Cinq présidents de région, ce qui prouve au passage un changement de filière dans la fabrication d’un leader. Tous ont repris une région à la gauche en décembre 2015 : Valérie Pécresse est élue, à sa deuxième tentative, à la tête de l’Île-deFrance, face au président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone ; Laurent Wauquiez prend la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes en battant le sortant Jean-Jack Queyranne ; Bruno Retailleau récupère les Pays de la Loire ; Xavier Bertrand et Christian Estrosi enfin, grâce au retrait de la gauche, ont empêché l’un Marine Le Pen, l’autre Marion Maréchal de s’emparer des Hauts-deFrance et de PACA. [...]
La question de fond reste cependant celle de la ligne politique. L’élu de la Haute-Loire établit trois constats. Le premier porte sur la victoire d’Emmanuel Macron. Le nouveau chef de l’État a préempté le réformisme libéral ; il en déduit qu’il est vain d’aller le concurrencer sur ce terrain. Le deuxième porte sur la nature de la droite et sur l’évolution générale de la société. Il est convaincu que la crise française est culturelle et sociétale avant d’être économique et sociale.
Il y a un mal-être identitaire dans le pays, le sentiment de déclassement se conjuguant à la crainte de la montée de l’islam. Repères, autorité, identité. Ces exigences qui s’étaient exprimées durant la primaire restent valables à ses yeux. C’est sur ce terrain qu’il entend reconstruire la droite. Le troisième constat, enfin, porte sur Marine Le Pen. Pour Wauquiez, sa crédibilité a été irrémédiablement affectée par le ratage de son débat télévisé face à Emmanuel Macron. Son heure étant passée, il entend profiter de cet effacement pour ramener dans le giron de la droite de gouvernement l’électorat « populiste » qui avait donné sa chance à l’élue du Pas-de-Calais. Laurent Wauquiez, finalement, se fait fort de rééditer l’exploit de Nicolas Sarkozy en 2007 : « siphonner » l’électorat FN en tenant un discours musclé. Il n’y est pas parvenu. ■
Le journaliste invite la droite à méditer la leçon de François Mitterrand, qui a repris un PS à terre en 1971 : il « ne s’est pas lamenté sur l’absence de place entre
le gaullisme au pouvoir et le communisme dominant à gauche ; il a imposé son offre, et ses alliances ». Et conquis le pouvoir, dix ans plus tard.
Vous faites le récit de « soixante ans de rendez-vous manqués » pour la droite. A quelle condition peut-elle vaincre cette « malédiction » ? La première condition d’une reconquête me semble être plus psychologique que politique : la droite doit apprendre à s’aimer elle-même. Elle a souvent eu le réformisme honteux et renoncé à assumer des combats sociétaux par seule hantise d’apparaître en retard sur la modernité. Pourtant, nombre des attentes de la société actuelle correspondent à son « ADN ». Jamais l’exigence d’autorité n’a été aussi forte : à l’école, dans les cités, face aux craintes migratoires, sur les grands thèmes régaliens… Les succès des émissions de Stéphane Bern ou de Franck Ferrand, le goût du patrimoine et des commémorations : tout cela témoigne du besoin d’un ancrage historique et culturel. Au fond, l’une des missions de la droite pourrait être de reprendre la réflexion sur « l’identité nationale » dont le candidat Sarkozy avait eu l’intuition, mais dont la mise en oeuvre a tourné court. Sur les questions éthiques, la droite a aussi une carte à jouer. Quand les Verts sont apparus, leur combat était au sens propre « réactionnaire » contre une évolution jugée irréversible de l’économie et des modes de vie. Qui conteste aujourd’hui l’urgence environnementale ? Aujourd’hui, face aux manipulations du vivant, à la poussée des idéologies antispécistes, aux perspectives du transhumanisme, la droite ne pourraitelle pas proclamer une urgence éthique pour sauver, outre la planète, l’humanité elle-même ? S’aimer elle-même, c’est encore pour la droite accepter de faire de la largeur de son spectre idéologique une chance et non un prétexte pour entretenir des anathèmes ou des procès d’intention internes. De Gaulle, Pompidou, Giscard, Chirac et Sarkozy ont gagné en fédérant des sensibilités plus diverses encore qu’elles le sont aujourd’hui. Quelle qu’elle soit, la future tête de la droite ne pourra se priver d’aucun courant.
Comment la droite peut-elle faire revenir les électeurs partis chez Macron ?
Le macronisme occupe, c’est un fait, une partie de son espace. Face au chef de l’Etat, elle a le choix entre trois solutions. Soit espérer la poursuite d’une évolution d’Emmanuel Macron dans sa direction, en visant à devenir la colonne vertébrale d’une éventuelle future majorité. Soit parier sur son échec et se préparer à se substituer à lui sur une ligne qui resterait réformatrice et libérale. Soit enfin organiser la confrontation idéologique avec lui en s’opposant au « progressisme » qu’il veut incarner. Les deux premières options passent par la reconquête de catégories qui lui ont été longtemps acquises (cadres, commerçants, chefs d’entreprise, retraités, urbains aisés) ; la troisième suppose le retour de catégories populaires perdues depuis plus longtemps et de l’électorat rural ou périphérique perdu plus récemment, autrement dit de catégories parties chez Marine Le Pen. Cette option suppose d’accepter de faire à nouveau sa place à une forme de souverainisme et de conservatisme qui ont été progressivement exclus de ses discours officiels. Le passé récent l’a montré : les glissements de terrain électoraux peuvent être rapides et spectaculaires. Absence de résultats tangibles, usure et lassitude, crise sociale… Un pouvoir en place est toujours fragile. La droite a deux ans pour crédibiliser un projet d’alternance. La nouvelle génération des Républicains, François Baroin, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Bruno Retailleau, a-t-elle les moyens de reconquérir le pouvoir ?
Tous ont de l’expérience (ministres, présidents de Région, président de l’AMF, président de groupe parlementaire) et incarnent une génération nouvelle après un cycle qui s’est refermé avec la primaire Fillon-Juppé. Il ne faut pas exclure un retour de Laurent Wauquiez ou l’émergence de figures nouvelles comme François-Xavier Bellamy ou d’autres. Tous ont un statut de présidentiable et chacun incarne une sensibilité particulière. Mais comment sélectionner un candidat si aucun ne s’impose naturellement ? On voit mal d’autre solution qu’une primaire ouverte. En 2017, son succès inespéré a réveillé « le peuple de droite ». L’accident Fillon qui a suivi n’est pas lié à la primaire elle-même. Tous auront en 2022 le même impératif : non pas défendre leur sensibilité propre, mais créer une dynamique. En reprenant un PS à terre en 1971, François Mitterrand ne s’est pas lamenté sur l’absence de place entre le gaullisme au pouvoir et le communisme dominant à gauche ; il a imposé son offre, et ses alliances ; dix ans plus tard, il entrait à l’Elysée. C’est un défi analogue qui est aujourd’hui lancé à la droite. ■