Le Figaro Magazine

LE THÉÂTRE

« L’Heureux Stratagème » : une langue superbe du XVIIIe siècle au service d’une morale légère du XXIe siècle.

- de Philippe Tesson

L’Heureux Stratagème ne compte pas parmi les comédies les plus accomplies de Marivaux. Mais c’est une pièce très plaisante. L’argument sur lequel elle est bâtie est assez simple : il s’agit d’une variation pleine de charme sur le thème de l’infidélité. Le problème est posé dès les premières scènes qui ouvrent sur un éblouissan­t festival de mensonges, de trahisons, de feintes et de perfidies, dans le plus délicieux mépris de la morale. Sans ambages, Marivaux, par la voix de quatre aristocrat­es et de leurs valets, d’un cynisme plus extravagan­t les uns que les autres, va nous apporter la preuve que l’infidélité n’est pas un crime et que les lois de l’amour n’exigent surtout pas la sincérité et la loyauté. Notre auteur chéri est parfois plus fin dans ses oeuvres, mais rarement plus comique. L’ouvrage est drôle, les sentiments qui le traversent sont élémentair­es et confinent à la cruauté, et c’est sur cette simplicité volontiers complaisan­te que repose la gaieté ambiante du spectacle, un vrai bonheur pour les acteurs. Ladislas Chollat l’a parfaiteme­nt compris et les comédiens qu’il dirige s’en donnent à coeur joie. Ils ne ménagent pas leurs efforts ni leurs effets. Le texte les y aide. C’est vrai notamment pour Jérôme Robart dans le rôle coloré du chevalier gascon. Vrai pour les valets et les paysans, Jean-Yves Roan, Simon Thomas, Florent Hill. Les femmes montrent la même joie de vivre et de jouer : Suzanne Clément, la délicieuse Roxane Duran, Sylvie Testud enfin, que l’on retrouve avec bonheur. Cette belle équipe fait un généreux carrousel de jeunesse, plutôt inattendu chez Marivaux, autour de l’amusante figure de carême interprété­e par Eric Elmosnino, le cocu de la farce.

Il nous a semblé superflu que le spectacle fût transposé de nos jours, de surcroît dans un décor compliqué d’Emmanuelle Roy. La modernité en effet, exceptionn­elle, est dans le texte, elle n’a pas besoin d’être soulignée. Au contraire : la pérennité, l’éternité, l’universali­sme d’un auteur tel que Marivaux apparaisse­nt d’autant plus évidents, plus éloquents, que l’environnem­ent scénograph­ique dans lequel s’inscrivent ses textes est fidèle à leur époque. De même, il n’y a rien de plus réjouissan­t que d’entendre dans son authentici­té historique­ment originelle la langue superbe, très vivante et très marquée par son époque de cet Heureux Stratagème au service d’une morale, ou plutôt d’une absence de morale, d’une extraordin­aire modernité. L’Heureux Stratagème, de Marivaux.

Mise en scène de Ladislas Chollat. Avec Jérôme Robart, Sylvie Testud, Eric Elmosnino… Théâtre Edouard-VII (01.47.42.59.92).

Chez Marivaux, l’amour n’oblige pas à la fidélité

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