EXTINCTION DE VOIX
Qu’est-ce qu’une « no logos zone » ? Un lieu où certaines questions ne peuvent plus être posées. Où certaines paroles ne doivent plus être prononcées. Où la contradiction doit être éradiquée. Où le conflit des interprétations doit être supprimé et certains verbes, qualifiés d’« incendiaires », prohibés – comme si la pyrotechnie n’était pas consubstantielle au verbe. En ce lieu, l’étonnement lui-même doit être banni car, cause prochaine d’interrogations, il est potentiellement porteur de « très puantes hérésies ».
Bref, « no logos zone » désigne un monde où le verbe et ses conditions de possibilité sont en passe d’être liquidés par tous les moyens, même légaux. Ce monde est-il le nôtre ? Pas encore, mais il en prend chaque jour davantage le chemin. Que ce dernier soit celui de la barbarie n’effleure même plus l’esprit de ceux qui l’empruntent.
Ils semblent ignorer que la mise sous tutelle du logos précède toujours son incarcération, prélude à sa liquidation. Que l’extermination du verbe soit la matrice de tous les totalitarismes, l’Histoire l’enseigne brutalement. Emprisonné à Auschwitz, Primo Levi fut confronté à cette zone ultime d’inhumanité, moment qu’il résuma en un dialogue lapidaire et définitif. Alors qu’il s’apprêtait à se désaltérer en brisant un morceau de glace, on le lui interdit. Il demanda : « Pourquoi ? »
Il lui fut très simplement répondu : « Ici, il n’y a pas de pourquoi. »