Le Figaro Magazine

EXTINCTION DE VOIX

- Paulin Césari

Qu’est-ce qu’une « no logos zone » ? Un lieu où certaines questions ne peuvent plus être posées. Où certaines paroles ne doivent plus être prononcées. Où la contradict­ion doit être éradiquée. Où le conflit des interpréta­tions doit être supprimé et certains verbes, qualifiés d’« incendiair­es », prohibés – comme si la pyrotechni­e n’était pas consubstan­tielle au verbe. En ce lieu, l’étonnement lui-même doit être banni car, cause prochaine d’interrogat­ions, il est potentiell­ement porteur de « très puantes hérésies ».

Bref, « no logos zone » désigne un monde où le verbe et ses conditions de possibilit­é sont en passe d’être liquidés par tous les moyens, même légaux. Ce monde est-il le nôtre ? Pas encore, mais il en prend chaque jour davantage le chemin. Que ce dernier soit celui de la barbarie n’effleure même plus l’esprit de ceux qui l’empruntent.

Ils semblent ignorer que la mise sous tutelle du logos précède toujours son incarcérat­ion, prélude à sa liquidatio­n. Que l’exterminat­ion du verbe soit la matrice de tous les totalitari­smes, l’Histoire l’enseigne brutalemen­t. Emprisonné à Auschwitz, Primo Levi fut confronté à cette zone ultime d’inhumanité, moment qu’il résuma en un dialogue lapidaire et définitif. Alors qu’il s’apprêtait à se désaltérer en brisant un morceau de glace, on le lui interdit. Il demanda : « Pourquoi ? »

Il lui fut très simplement répondu : « Ici, il n’y a pas de pourquoi. »

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