Le Figaro Magazine

AU COEUR DE NOS TÉNÈBRES

★★ L’ÎLE DU DERNIER HOMME, de Bruno de Cessole, Albin Michel, 425 p., 21,90 €.

- Jean-Christophe Buisson

Goethe, Orwell, Conrad. C’est sous les auspices de cette Trinité littéraire européenne que Bruno de Cessole inscrit son nouveau roman. Il est vrai que son héros partage avec le premier une extrême sensibilit­é, éprouve la même lucidité désespérée sur le monde moderne que le second, et cultive le goût de l’aventure du troisième. Bref, François Saint-Réal est journalist­e. A l’ancienne. Borderline. Pour enquêter sur les islamistes, il les fréquente. De près. De très près. Dans cette Mauritanie sur laquelle planent les ombres de Lyautey et Psichari ; à Trappes, où les petites frappes de banlieue jouent aux candidats au djihad ; en Syrie, du côté de la sublime Alep défigurée par la guerre civile.

De quoi susciter la méfiance (donc la surveillan­ce) de tous les services secrets occidentau­x. Ainsi celui d’Albion, qui envoie un espion sur ses traces. Ou plutôt : une espionne dans son lit.

Ce sera à Jura, sur cette île écossaise où il ne viendrait à l’idée de personne de faire autre chose que chasser de grands cerfs et boire de savoureux whiskeys. Mais pas chez Cessole, qui sait les grands principes du roman (la liberté, la liberté et la liberté). Espions, chasseurs et islamistes se retrouvero­nt donc tous dans les combes de Jura pour un règlement de comptes final moins spectacula­ire que dans Skyfall mais bien aussi intense, à l’image de ce gros roman, bien charpenté, voyageur, superbemen­t écrit, rehaussé de réflexions sur le monde comme il ne va pas, animé par de beaux dialogues aux ramificati­ons inattendue­s et posant, l’air de rien, mille questions qui fâchent. Sur notre société contempora­ine matérialis­te. Sur notre indifféren­ce aux maux qui rongent la France. Sur notre rapport à l’ennemi en général, les islamistes en particulie­r. Sur le métier de journalist­e, dont Bruno de Cessole a gardé les qualités en jetant au feu certains défauts. A commencer par celui d’écrire des romans de journalist­e. Celui-ci est l’oeuvre d’un romancier pur jus.

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