PIERRE LE MIRACULEUX
Si vous ne lisez pas « Paris de ma jeunesse », de Pierre Le-Tan, notre chroniqueur va se fâcher avec vous.
Rien, jamais, ne nous consolera de la mort de Pierre Le-Tan. Ce n’est pas seulement un grand dessinateur qui vient de nous quitter, c’est une façon d’être, un raffinement extrême, une érudition d’esthète unique, c’est une forme inimitable de hachures, c’est la discrétion d’un pince-sans-rire. Personne, jamais, ne le remplacera. Ceci n’est pas un dithyrambe d’enterrement mais un constat strictement factuel : le décès de Pierre Le-Tan est un événement aussi grave que l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie. Trop de souvenirs s’enchevêtrent, qui ne peuvent être racontés ici car ils impliquent des comportements excessifs avec des personnes de mauvaise vie (on ne citera pas leurs noms pour ne pas nuire à Franck Maubert, Jean-Jacques Schuhl, Edouard Baer et Simon Liberati).
Je me souviens de l’appartement de la rue Saint Augustin, envahi de bibelots anciens, de livres rares et d’enfants aimés. Je pense à Olympia et Cléo, à des fêtes déguisées du siècle dernier, quand il fallait porter Pierre sur son dos car il riait trop fort pour être capable de marcher. Je revois des cartons d’invitation, des binocles rondes et des souliers vernis, des serpentins multicolores autour du cou, et une danse en costume blanc sur les pavés de la place du palais Bourbon, au petit matin. La dernière fois que je l’ai vu, c’était au bar de l’hôtel Grand Amour, rue de la Fidélité. Il ne buvait plus d’alcool ; j’aurais dû me douter que quelque chose n’allait pas. Ce descendant du vice-roi du Tonkin avait le chic qui coulait dans ses gènes. Manuel Carcassonne réédite chez Stock Paris de ma jeunesse (1988), son chef-d’oeuvre. Cette nouvelle version est augmentée par l’auteur de nouveaux chapitres, qui façonnent un guide des endroits les plus fantomatiques de la capitale, de la place de Breteuil à l’hôtel de Suède (rue Vaneau), en passant par les escaliers sinistres de l’avenue de Camoëns, le San Francisco de l’avenue de Versailles et l’étrange église Sainte-Marie-Médiatrice, sur le boulevard Sérurier. Il en a corrigé les épreuves jusque sur son lit d’hôpital. Ses vignettes en noir et blanc de lieux envoûtants sont accompagnées d’un texte tiré à quatre épingles. Ce dosage de nostalgie et de mystère est le secret de ses quarante années de complicité avec Patrick Modiano. Pierre Le-Tan n’était pas seulement un dandy tendre et un puits de culture : c’était un mirage. Toute personne l’ayant croisé saura exactement ce que je veux dire. Tout lecteur qui n’achètera pas immédiatement Paris de ma jeunesse peut se considérer comme mon ennemi personnel.
Paris de ma jeunesse, de Pierre Le – Tan, Stock, 148 p., 20 €. Préface de Patrick Modiano.