Le Figaro Magazine

LE THÉÂTRE

Un chef-d’oeuvre de fraîcheur, « Une des dernières soirées de Carnaval », dans une mise en scène de rêve de Clément Hervieu-Léger.

- de Philippe Tesson

Venise, 1760. Pour honorer la fin du Carême, le tisserand Zamaria organise une grande fête qui réunit ses amis parmi lesquels le jeune dessinateu­r Anzoletto dont on fêtera en même temps le proche départ pour Moscou où il rejoindra ses amis artisans. L’argument d’Une des dernières soirées de Carnaval peut paraître faible. Pas pour l’auteur de cette brillante comédie pour qui cette fête a en effet valeur de symbole. Car Goldoni va lui-même connaître l’exil : il va quitter Venise pour Paris afin d’y rejoindre les Comédiens Italiens. Il en a assez de la guerre que mène contre lui Gozzi. Il a envie de faire un théâtre différent, plus proche de la vérité. Cette fête est son adieu à Venise, à ses vieux amis, comédiens et artisans. Il y a dans ce Carnaval un sous-texte qu’on pourrait appeler profession­nel relatif à l’expérience théâtrale de l’illustre faiseur de comédie.

Mais ce qu’on retiendra de la pièce et du spectacle, c’est davantage la joie profonde qu’ils procurent. Tout y est : légèreté, jeunesse, gaieté, sincérité, simplicité, vérité. Cette avalanche d’épithètes, rien ne saurait mieux la résumer que ce mot venu sous la plume de Jean-Claude Penchenat qui a remarquabl­ement traduit la pièce avec Myriam Tanant : « fraternité ». Penchenat écrit ceci : « J’aime le théâtre de Goldoni avec passion. C’est pour moi un modèle constant d’écriture. C’est le théâtre artisanal, qui laisse voir ses charnières. On sent de quel bois il est fait. Les acteurs qui l’ont créé sont encore vivants derrière les mots. » A cet hommage on ajoutera le nom du metteur en scène, Clément Hervieu-Léger, qui offre ici le modèle parfait d’un travail de troupe, à partir d’un texte qui est lui-même un chef-d’oeuvre de précision, de finesse et de grâce. Quinze comédiens, chacun dans une partition d’une vivacité charmante, ou rassemblés dans des scènes d’une harmonie folle, comme celle du jeu de cartes ou celle du bal, composent sous nos yeux, comme s’il était improvisé, comme s’il était la vie, une sorte d’opéra joyeux. Rien n’y manque, l’élégance du costume, l’accompagne­ment musical délicieux, le mouvement chorégraph­ique, la vérité simple du décor, et ici et là une touche mélancoliq­ue, qui accrédite la référence à Tchekhov souvent faite à propos du théâtre de Goldoni. De ce spectacle pensé, conçu, réalisé, dirigé et interprété avec une intelligen­ce et un talent remarquabl­es, il se dégage un esprit de liberté, une humanité et un « savoir-vivre » exceptionn­els.

Une des dernières soirées de carnaval, de Carlo Goldoni. Mise en scène de Clément Hervieu-Léger. Avec Stéphane Facco, Aymeline Alix, Clémence Boué… Théâtre des Bouffes du Nord (01.46.07.34.50).

Ce spectacle procure une joie

profonde

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