À L’AFFICHE
Son nouveau spectacle, plus grave, plus exigeant, plus profond, plus audacieux, fait redécouvrir le génial Jean Cau, qu’il marie notamment avec la prose de Philippe Lançon.
Luchini, c’est le furet du bois joli. Il est passé par ici, il repassera par là. Un jour sur grand écran dans Alice et le maire, formidable film politique qui se dirige vers le million d’entrées ; le lendemain à Paris (au Théâtre de la Porte Saint-Martin le lundi et le mardi, photo) ou dans une ville de France, parlant argent via Péguy, Marx, Pagnol et Zola ; dans quelques jours à nouveau au cinéma, au côté de Patrick Bruel, dans Le Meilleur reste à venir ; et désormais aussi tous les jeudis *, sur les planches refaites du Studio Marigny, pour un nouveau spectacle, exigeant, étonnant et éblouissant. Saisi à la lecture des portraits à la fois cruels, tendres et justes que fit Jean Cau de Gaston Gallimard, Jean Cocteau et Jean Genet dans ses Croquis de mémoire (La Table Ronde), le comédien a décidé d’en faire profiter son prochain, ressuscitant par là une langue superbe autant qu’un homme injustement oublié – sans doute parce qu’il avait eu le toupet de passer de gauche à droite, de Sartre, dont il était le secrétaire, à Pauwels, dont il était devenu un proche. À ces portraits jubilatoires, éminemment littéraires (comme d’autres, signés Verlaine, Baudelaire ou Rimbaud), Luchini a ajouté ceux de deux femmes et d’un enfant. Le petit, c’est Bébert dans le Voyage de Céline : merveilleusement tragique. Les femmes, ce sont la chirurgienne dépeinte par Philippe Lançon dans Le Lambeau (Gallimard) et « la touriste blonde » du célèbre poème de Philippe Muray. Les deux n’ont rien à voir, mais par une alchimie extraordinaire (la voix, le rythme, l’énergie, la conviction), la magie opère. La bêtise naïve de la bobo soumise qu’un rien enchante (surtout s’il est le fruit du sacro-saint progrès) fait écho à l’efficacité froide du médecin aux mains et aux vertus réparatrices. Les vers cocasses, cinglants et destructeurs de Muray répondent à l’écriture blanche et neutre de Lançon. Du grand art.
* Conversation autour des portraits et auto-portraits,
(Paris VIIIe), les jeudis, 18 h, jusqu’en mars 2020.
Studio Marigny