Le Figaro Magazine

LA CHRONIQUE

- d’Eric Zemmour

L’anniversai­re fut malheureus­ement à la hauteur de ce qu’on craignait. Destructio­ns, saccages, affronteme­nts avec la police. Un an après, le mouvement des « gilets jaunes », même ramené à de modestes effectifs, ne parvient plus à s’arracher à la gangue de violence qui l’entoure depuis le début. Il n’empêche. Ce mouvement a coupé le mandat de Macron en deux, ainsi que ses ambitions réformatri­ces ; il a révélé la fureur d’une France périphériq­ue, jusque-là laissée à l’écart des grands circuits de richesse, et méprisée par le monde médiatique et intellectu­el du pays. Dans la lignée des travaux du géographe Christophe Guilluy, le sondeur Jérôme Sainte-Marie analyse ce retour de la lutte des classes qu’on voulait croire disparue.

Il décrit la coagulatio­n des petits indépendan­ts et des salariés, qui étaient jadis séparés par le marxisme, et se retrouvent ensemble dans le même camp des vaincus de la mondialisa­tion ; et de l’autre côté, des cadres, des habitants de métropoles, des retraités, même de condition modeste, ayant vu dans la violence des « gilets jaunes » le retour d’une terreur révolution­naire qui les a jetés dans les bras d’un parti de l’ordre incarné par Macron. Sainte-Marie se projette avec raison en 1848 lorsque les troupes de la République tirèrent sur les ouvriers révoltés. Il pense que ces deux camps sociologiq­ues s’incarneron­t politiquem­ent dans les candidatur­es d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen.

Avec cette analyse, il répond aussi à celle de son collègue, Jérôme Fourquet qui, quelques mois plus tôt, avait développé ces thèmes autour de « l’archipel français ». Aux forces centrifuge­s de Sainte-Marie, Fourquet préfère les forces centripète­s, celles d’un éclatement français vidé de sa matrice catholique unitaire, et qui s’éparpille au gré des volontés, des individus, et surtout des communauté­s. L’identité est le fil conducteur du travail de Fourquet ; le social, celui de Sainte-Marie. Fourquet montre l’importance de ces enclaves banlieusar­des en voie de réislamisa­tion massive ; Sainte-Marie ne le nie pas, mais rappelle que ces Français de fraîche date votent peu. Ce qui est vrai pour les élections intermédia­ires, mais faux pour la présidenti­elle.

En fait, au-delà des nécessités dialectiqu­es entre nos deux brillants sondeurs, leurs analyses sont complément­aires. La France n’est pas coupée en deux, mais en trois. Un bloc des métropoles, scindé entre une mondialisa­tion par le haut, des centres-villes, et une mondialisa­tion par le bas, des banlieues. En dépit des efforts de l’extrême gauche et des comités Adama et autres, et de la discrétion, voire la pusillanim­ité, des « gilets jaunes » sur l’immigratio­n et l’islam, il n’y a pas eu de jonction avec les « jeunes » des banlieues. Ceux-ci ne voteront pas pour Marine Le Pen en dépit de son discours social ; et les électeurs de Mélenchon, en dépit des prédiction­s de Sainte-Marie, n’ont quasiment pas voté au second tour de 2017 pour une candidate qu’on leur a présentée comme fasciste depuis des décennies. « L’archipel » cher à Fourquet continuera à disloquer « le cher et vieux pays » et l’électorat des métropoles reconstitu­era son unité lors des seconds tours de la présidenti­elle.

La guerre des deux Jérôme n’aura pas lieu.

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Jérôme Fourquet
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Jérôme Sainte-Marie
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