LA CHRONIQUE
L’anniversaire fut malheureusement à la hauteur de ce qu’on craignait. Destructions, saccages, affrontements avec la police. Un an après, le mouvement des « gilets jaunes », même ramené à de modestes effectifs, ne parvient plus à s’arracher à la gangue de violence qui l’entoure depuis le début. Il n’empêche. Ce mouvement a coupé le mandat de Macron en deux, ainsi que ses ambitions réformatrices ; il a révélé la fureur d’une France périphérique, jusque-là laissée à l’écart des grands circuits de richesse, et méprisée par le monde médiatique et intellectuel du pays. Dans la lignée des travaux du géographe Christophe Guilluy, le sondeur Jérôme Sainte-Marie analyse ce retour de la lutte des classes qu’on voulait croire disparue.
Il décrit la coagulation des petits indépendants et des salariés, qui étaient jadis séparés par le marxisme, et se retrouvent ensemble dans le même camp des vaincus de la mondialisation ; et de l’autre côté, des cadres, des habitants de métropoles, des retraités, même de condition modeste, ayant vu dans la violence des « gilets jaunes » le retour d’une terreur révolutionnaire qui les a jetés dans les bras d’un parti de l’ordre incarné par Macron. Sainte-Marie se projette avec raison en 1848 lorsque les troupes de la République tirèrent sur les ouvriers révoltés. Il pense que ces deux camps sociologiques s’incarneront politiquement dans les candidatures d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen.
Avec cette analyse, il répond aussi à celle de son collègue, Jérôme Fourquet qui, quelques mois plus tôt, avait développé ces thèmes autour de « l’archipel français ». Aux forces centrifuges de Sainte-Marie, Fourquet préfère les forces centripètes, celles d’un éclatement français vidé de sa matrice catholique unitaire, et qui s’éparpille au gré des volontés, des individus, et surtout des communautés. L’identité est le fil conducteur du travail de Fourquet ; le social, celui de Sainte-Marie. Fourquet montre l’importance de ces enclaves banlieusardes en voie de réislamisation massive ; Sainte-Marie ne le nie pas, mais rappelle que ces Français de fraîche date votent peu. Ce qui est vrai pour les élections intermédiaires, mais faux pour la présidentielle.
En fait, au-delà des nécessités dialectiques entre nos deux brillants sondeurs, leurs analyses sont complémentaires. La France n’est pas coupée en deux, mais en trois. Un bloc des métropoles, scindé entre une mondialisation par le haut, des centres-villes, et une mondialisation par le bas, des banlieues. En dépit des efforts de l’extrême gauche et des comités Adama et autres, et de la discrétion, voire la pusillanimité, des « gilets jaunes » sur l’immigration et l’islam, il n’y a pas eu de jonction avec les « jeunes » des banlieues. Ceux-ci ne voteront pas pour Marine Le Pen en dépit de son discours social ; et les électeurs de Mélenchon, en dépit des prédictions de Sainte-Marie, n’ont quasiment pas voté au second tour de 2017 pour une candidate qu’on leur a présentée comme fasciste depuis des décennies. « L’archipel » cher à Fourquet continuera à disloquer « le cher et vieux pays » et l’électorat des métropoles reconstituera son unité lors des seconds tours de la présidentielle.
La guerre des deux Jérôme n’aura pas lieu.