LA CHRONIQUE
À l’ampleur de la mobilisation de la grève du 5 décembre s’ajoute une autre inconnue : la durée effective de ce mouvement social.
Nous sommes 15 millions de plus qu’en 1968, 7 millions et quelques de plus qu’en 1995. La société de 2019 ressemble-t-elle à celle d’il y a cinquante et un ans, est-elle plus proche de celle d’il y a vingt-quatre ans ? Les jeunes gens de 1968 ont franchi la barre des 70 ans ; ceux de 1995, celle des 45 ans. Les premiers regardent la scène en spectateurs, les seconds sont encore des acteurs. En 1968, de Gaulle et Pompidou gouvernaient. Au printemps, dans la foulée des étudiants qui avaient mis par terre le Quartier latin, les ouvriers étaient descendus dans la rue : ils avaient négocié avec Pompidou et obtenu de fortes hausses de salaires, des allocations pour les personnes âgées et le paiement des jours de grève.
Puis de Gaulle était revenu d’une escapade chez le général Massu à BadenBaden et il avait décidé que tout cela serait soumis au vote des Français. Le premier tour des élections eut lieu le 23 juin, moins d’un mois après les manifestations. Avec le second tour, le 30, les électeurs offrirent à la droite et au centre 358 des 485 députés ! Gros perdants, la gauche et les communistes.
Ils attendraient douze ans pour s’en remettre et prendre le pouvoir, en mai 1981. En 1995, la droite était de retour aux affaires depuis deux ans – elle avait 473 sièges sur 577 ! – quand Jacques Chirac succéda à François Mitterrand. Il chargea Alain Juppé, son Premier ministre, de conduire le gouvernement et celui-ci se mit en tête de lancer, le 15 novembre, une grande réforme de la Sécurité sociale – avec celle de la retraite des fonctionnaires et la restructuration de la SNCF… Il provoqua la grève. D’abord des trains, puis du métro, de La Poste, etc.
Le 12 décembre, 1 million de grévistes défilaient dans la rue (2, selon les syndicats) ; Juppé abandonna son plan le 21…
En 1968, sous de Gaulle, on s’était arrêté deux semaines entières ; en 1995, sous Chirac, on avait doublé le score. Quel est l’état du risque sous Emmanuel Macron ? Les appels à la grève, à la RATP, puis à la SNCF et dans les services publics, ont été lancés depuis un mois. Il s’agit toujours de s’opposer à une réforme de fond
(la retraite par point) pour « améliorer le système actuel » – c’est-à-dire ne rien faire. Le mouvement doit commencer le jeudi 5 décembre. Jean-Paul Delevoye, le hautcommissaire, et le tout neuf secrétaire d’Etat aux Transports Jean-Baptiste Djebbari, ont invité les syndicats à discuter.
La CFDT n’est pas gréviste. Les autres le sont, mais on ignore pour combien de temps.