Le Figaro Magazine

HUIT ÉCRIVAINS À L’ÉPREUVE DES BULLES

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Les rues du Marais qu’à onze ans je parcours seul ou avec mon meilleur ami Philippe Rochette, le coeur léger devant ces hôtels particulie­rs que je prends pour des châteaux, mes futurs logements.

* Dans la 404 Peugeot de mon père, la rêverie de ma mère quand nous longeons la cité U, boulevard Jourdan. Mira y avait-elle aimé, avant sa rencontre avec Gabriel dans un dancing de la rue des Italiens, un ou plusieurs étudiants yougoslave­s ?

* La rue Eugène-Delacroix – revisitée l’autre jour avec Anne-Sophie Stefanini, désormais Besson, en attendant que Yannis ait fini son cours d’échecs boulevard Flandrin – où je m’engage, à quatorze ans, avant ma rencontre avec la rédactrice en chef adjointe de Confidence­s Claude Fessaguet qui va publier ma première nouvelle : Rêver sa vie,

titre original : Le Seigneur des ténèbres.

* Le jour des résultats du bac pour fêter la mention Très bien, je prends un taxi à la Croix-de-Chavaux avec une grande Montreuill­oise brune au visage d’enfant bien nourri pour l’emmener déjeuner à la terrasse d’un restaurant grec de la rue Saint-Jacques, aujourd’hui français. Pourquoi la plupart des restaurant­s grecs sont-ils devenus français ? Les Grecs en ont-ils eu assez de nous faire la cuisine ?

* Les sorties parisienne­s, dans la R5 jaune de Sylvain Madigan. Films en VO au Quartier latin, restos chinois à Montparnas­se, boîtes douteuses sur les Grands Boulevards. Le meilleur moment était le retour sur l’autoroute et le glissement du véhicule vers la bretelle arrondie de la Boissière, QG des frères gitans Hornec. J’aimais aussi beaucoup les tartines de beurre et d’ail que je mangeais chez Sylvain dans sa cuisine de l’allée Andréa, à Bondy.

* Frédérique Lavergne endormie dans une chambre de l’hôtel Trianon, rue de Vaugirard, pendant ces permission­s de 36 heures que j’étais le seul à prendre au 1er régiment de spahis, les autres appelés préférant la 48 heures qui me paraissait absurde : deux nuits assis dans un train. Il y avait aussi la 96 heures, large tranche de temps dont on avait l’impression qu’on ne verrait jamais le bout, mais on voit le bout de tout.

* Mon producteur sur France Inter Patrice Galbeau, invité par moi à dîner rue de la Huchette et regardant autour de lui avec une stupeur mélancoliq­ue qu’il m’expliquera bientôt : « Je n’étais pas revenu dans ce quartier depuis vingt ans. »

* Au retour de l’armée, la première fois que j’entends la voix d’Éric Neuhoff dans le téléphone en bakélite de mon hôtel meublé, rue de Saussure. Éric a une dent contre Marcel

Schneider qui l’a empêché d’écrire un article sur mon roman au Seuil Lettre à un ami perdu. Ça s’est terminé par une note de dix lignes dans Le Quotidien de Paris, que j’aimerais bien retrouver.

* Le fauteuil en rotin dans le salon d’Isabelle Robinet, place Adolphe-Chérioux, où je lisais John Le Carré en regardant la télévision.

* Agathe de Lastic Saint-Jal en rouge et noir lors de notre premier dîner chez Dominique, le restaurant russe de la rue Bréa, aujourd’hui transformé en boucherie.

* Florence Godfernaux, à vingt-trois ans, achetant une baguette de pain un soir d’hiver dans une boulangeri­e de la rue des Moines, et la même à la fête Rive Droite, place Pigalle, en robe Moshkino, passant la soirée en tête à tête avec mon éditeur d’alors Richard Ducousset, aujourd’hui son employeur chez Albin Michel depuis vingt-sept ans.

* Les dîners à la Frégate, quai Voltaire, avec Jacques Brenner et son chien Falco, bientôt remplacé par Hardi. La table préférée de Jacques : près du plateau de fromage, au-dessus des WC.

* Cette peur, quand j’attends Oscar devant la maternelle de la rue Vandrezann­e, que tous les enfants sortent sauf lui.

* Rue Dutot, Christian Giudicelli et son ami peintre Claude Verdier nous invitent, Gisela Blanc, Roger Vrigny et moi. C’est un jeune Mauritanie­n, mort du sida depuis, qui fait la cuisine.

* L’unique baiser, sur les Champs-Élysées, de Jessica Nelson (voir page 217 de Patrick Besson au Point, Fayard, 2012).

* Le Nouvel An russe à la Closerie des Lilas, boulevard du Montparnas­se : Laura Smet pas encore déshéritée par son père et Adélaïde de Clermont-Tonnerre pas encore bestseller chez Grasset.

* Mon fils aîné Paul (Paris-Saint-Denis, Lattès) ne me laissant pas entrer dans le studio que je loue pour lui rue de la Providence, où je comprends qu’il n’a pas fait le ménage depuis environ six mois.

* Letitre de Jacques Lanzmann qui m’a toujours intrigué : Mémoires d’un amnésique, roman sur l’écriture, le divorce et les impôts qui m’occuperont bien dans la vie. Le fait est que je ne me souviens pas de grand-chose. Heureuseme­nt que j’écris mon journal dans les journaux, c’est un aide-mémoire.

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