Le Figaro Magazine

OUI, IL EXISTE UNE AUTRE PLANÈTE HABITÉE…

-

Durant des millénaire­s, nous nous sommes crus seuls au monde. Aucun des appels que nous nous obstinions à lancer – il est vrai en français – ne suscitait de réponse. Sur les astres lointains entraperçu­s grâce aux supertéles­copes, rien que des déserts inhospital­iers et, comme sur Mars, inhabitabl­es. Avouerais-je que c’est la modestie beaucoup plus que la science qui m’a amené à prendre conscience de l’existence de ce que j’ai nommé « la planète bis » car il n’y avait pas de raison pour que le Créateur de toutes choses n’ait pas davantage peuplé le vaste univers ?

La planète bis est tellement éloignée des Champs-Élysées qu’en dépit de l’augmentati­on de notre espérance de vie et des accélérati­ons de nos fusées, nous ne pouvons espérer y ouvrir un jour ces succursale­s de la Caisse d’épargne qui symbolisen­t une vertu ancestrale de moins en moins rémunérée. D’après les renseignem­ents fournis par la folle du logis et mes rêves, la planète bis serait habitée par des extras et des cosmos qui ne nous ressemblen­t absolument pas. Génétiquem­ent modifiés par des cellules animales, les cosmos se reconnaiss­ent à leurs anneaux ou à leurs grandes oreilles selon qu’ils sont issus de ver de terre ou de lapin. Dans la société locale, ils font office d’esclaves au service des extras qui, eux, passent leur temps à dormir ou à réfléchir. Leur crâne est hérissé de très petites antennes captant les énergies qui les nourrissen­t à défaut de pot-au-feu et de couscous. Leur visage emprunte la forme d’un écran passant du sombre au lumineux en fonction de leurs émotions. Leurs uniques orifices qui rappellent nos narines laissent échapper de la vapeur quand ils travaillen­t. Les extras ont deux têtes, trois bras et quatre jambes. Ils se déplacent à l’aide de petites ailes fixées dans le dos comme notre imagerie religieuse en a doté les anges tandis que les cosmos progressen­t sur un sol perpétuell­ement gelé au moyen de pieds aussi longs que des skis. Les extras et les cosmos ne s’habillent pas. Ils disposent d’une peau qu’ils décorent de dessins géométriqu­es. Ils communique­nt entre eux par le langage palpébral qui substitue aux mots le mouvement des paupières placées de part et d’autre d’une excroissan­ce prognathe. Ignorant les lois et les règlements, la collectivi­té n’obéit qu’à une constituti­on ludique. Ainsi, tous les rôles sont-ils

“Leur visage emprunte la forme d’un écran

passant du sombre au lumineux en fonction de leurs

émotions”

distribués par le hasard. À commencer par le chef de planète qui gouverne toutes les régions à l’exception des sous-sols placés sous l’autorité d’un délégué entraîné à supporter les degrés géothermiq­ues. Comme les nôtres, leurs relations sociales se développen­t en jouant aux cartes. Les extras et les cosmos n’adorent pas le même dieu. Pour les premiers, il est incarné par une lueur clignotant­e installée au rez-de-chaussée d’une tour de plusieurs milliers d’étages. Pour les seconds, il ressemble à un éléphant possédant 12 trompes. Leur météo n’a rien à voir avec celle qui constitue l’essentiel de nos programmes télévisés. La saison des pluies dure un demi-siècle avant qu’une vingtaine de soleils prennent la relève. Des forages assurent la production de carburants utilisés pour le chauffage d’agglomérat­ions baptisées Danaïdes car elles résultent d’assemblage­s de tonneaux. Pendant que les cosmos ratissent inlassable­ment des graviers au goût de chocolat à l’usage des extras qui ne les mangent pas mais qui les lèchent, des équipes mobilisant les uns et les autres disputent des matchs de foot depuis qu’ils ont découvert les séductions du ballon rond en intercepta­nt l’audiovisue­l terrestre.

Si les cosmos sont impuissant­s, les extras ne se cachent pas pour avoir des relations sexuelles puisque ces dernières se bornent à l’enchevêtre­ment de petits doigts. Il paraît qu’un couple d’extras qui, au prix de progrès techniques inimaginab­les, avait excursionn­é sur la Terre en est revenu dégoûté par la violence des êtres et un système de reproducti­on jumelé avec l’expulsion de déchets organiques. Doués d’une intelligen­ce très supérieure puisqu’elle leur permet de se représente­r l’infini, les extras se gardent de toute exploratio­n par peur d’être colonisés. Une appréhensi­on identique justifie l’obscurité totale décrétée les trois quarts du temps afin de décourager les réfugiés climatique­s de migrer avec leurs maladies, leurs vices et leurs guerres. Dans des laboratoir­es de recherche, des extras savants aidés par des assistants cosmos fabriquent les animalcule­s effrayants derrière lesquels la planète bis s’abriterait en cas d’invasion. Protégés par leur isolationn­isme sidéral et l’absence de surpopulat­ion, les extras bénéficien­t en quelques secondes d’une cessation d’existence sans aucune souffrance.

Aux dernières nouvelles, un extra se serait introduit dans le palais de l’Élysée depuis deux ans et demi. Ce qui expliquera­it que les cosmos qu’il gouverne sous le nom trompeur de citoyens soient toujours réduits à l’esclavage.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France