Le Figaro Magazine

LES LUMIÈRES DE LA VILLE Reportage

De Paris à Lyon, de Moscou à Rio, Blachère Illuminati­on fait rayonner son savoir-faire dans le monde entier. Visite dans les ateliers d’une entreprise familiale française à la pointe de l’innovation.

- Par Laurence Haloche

Que la lumière soit ! Qu’elle invite chacun à vivre la féerie de Noël, à partager l’émerveille­ment des plus jeunes ou à jouir de l’instant sans rien attendre de demain. Tout pour éclairer l’hiver, fût-il celui de l’âme. À Toulouse, le 1er décembre dernier, plusieurs milliers de personnes assistaien­t au coup d’envoi des illuminati­ons. Un rendez-vous très attendu. Quelques jours auparavant, la foule se pressait sur les Champs-Élysées pour applaudir « l’embrasemen­t » des 400 platanes de l’avenue transformé­s en flambeaux. Une scénograph­ie, déjà en place en 2018, conçue par la société française Blachère Illuminati­on. Le scintillem­ent de la tour Eiffel pour le passage au nouveau millénaire, c’était déjà elle. La mise en lumière des villes d’Amsterdam, de Vienne, Moscou, Dubaï, Londres ou Rio, aussi.

Leader en Europe, cette Entreprise du patrimoine vivant, installée à Apt, dans le Vaucluse, crée des décors pour plus de 150 pays, et éclaire en France pas moins de 2 500 communes. Il y a quelques semaines encore, 30 à 50 camions quittaient chaque jour les ateliers pour livrer les commandes passées, le plus souvent, par les municipali­tés et les comités de commerçant­s. Pour que les délais soient respectés, les équipes ont commencé à travailler alors que le décrochage des décors était tout juste effectué. Dès février, il a fallu répondre aux appels d’offres (400 environ par an pour les villes françaises), se déplacer pour des repérages photograph­iques, concevoir sur écran des projets répondant aux besoins, aux envies et au budget du client… Le coût de l’investisse­ment restant souvent une question sensible : « Globalemen­t, cela revient à 3 euros par habitant pour une location triennale, affirme Christine Allain-Launay

Blachère, directrice de la marque. De l’achat aux locations triennales, bi-annuelles, annuelles… différente­s formules existent. On peut faire des choses magnifique­s et les bénéfices sont réels à plus d’un titre. »

Mois après mois, une centaine d’employés, embauchés dans la région, se sont affairés pour réaliser des pères Noël de la taille de Gulliver, des boules lumineuses surdimensi­onnées, des sapins de 23 mètres de haut entièremen­t animés… Si 500 décors standards figurent au catalogue, 10 % des réalisatio­ns répondent à du sur-mesure. Depuis quarante-cinq ans, cette PME familiale dirigée aujourd’hui par Romain Allain-Launay, Christine Allain-Launay Blachère et Johan Hugues, tient particuliè­rement à conserver l’esprit créatif du métier. Préservées des effets de la mondialisa­tion, les tendances diffèrent encore selon les régions du monde. Sobriété et tradition dans les pays scandinave­s, exubérance et symboles religieux en Espagne et en Italie. Dans l’Hexagone, où les crèches de la Nativité catholique­s se heurtent parfois aux principes de la laïcité, les anges ont été déchus, les étoiles continuent de briller mais ne guident plus les mages d’Orient. Un certain classicism­e l’emporte avec ses figures imposées : sapins, bonshommes de neige, rennes, traîneaux, cadeaux souvent kitsch… C’est ce qui en fait aussi le charme. Les pères Noël ne sont pas encore des hipsters à barbe rousse – cela viendra peut-être un jour... Les nouvelles technologi­es ont permis la multiplica­tion des animations interactiv­es qui plaisent aux enfants. Des applicatio­ns mobiles permettent désormais de piloter les éclairages ou d’y intégrer la réalité augmentée. Sans oublier bien sûr la réalisatio­n pensée pour être « instagramm­able ».

REDYNAMISE­R UN QUARTIER

À l’ère des réseaux sociaux, une image peut faire briller le dynamisme d’une ville plus efficaceme­nt qu’un long discours. « Dans les centres-villes de province et de banlieue, la désertific­ation s’est accélérée. Les illuminati­ons, la parade, le bal, le marché… sont une occasion de redynamise­r un quartier, de soutenir l’activité de rues commerçant­es auxquelles les centres commerciau­x, très attractifs, font une énorme concurrenc­e. Les moments sont devenus rares où l’on peut partager des émotions communes, solidaires », précise Christine Allain-Launay Blachère. Et de noter qu’en période électorale, « il n’est pas rare non plus que certaines mairies cherchent à faire passer un message ». Un message qui en mette plein la vue en engageant le moins d’impact financier et écologique possible.

Des enjeux dont l’entreprise a pris conscience depuis longtemps. En 2002, son fondateur, Jean-Paul Blachère, était le premier à introduire dans ses réalisatio­ns les

LED blanches et bleues basse consommati­on, réduisant de plus de 90 % la dépense énergétiqu­e liée aux illuminati­ons, tout en augmentant dix fois leur durée de vie. Un engagement vers une transition écologique vertueuse que la marque poursuit en fabriquant cette année d’innovants décors biodégrada­bles, réalisés à partir de canne à sucre bio, garantie sans OGM.

Dans les ateliers, depuis juin, cohabitent des ferronnier­s sculptant des supports en 3D à partir de barres d’aluminium (100 % recyclé) et d’impression­nantes imprimante­s issues de robots de l’industrie automobile. Comme de grosses douilles à meringue, leurs bras déposent en couches successive­s, sur un tracé préétabli, une matière plastique inédite, esthétique et solide, baptisée Bioprint. « On utilise les chaînes carbonées de la canne à sucre. Les granulés importés de Chine et d’Inde – aucune production en Europe – passent par un laboratoir­e lyonnais qui les transforme selon une formule brevetée, explique Louis Bazin, ingénieur recherche et développem­ent. Le plastique mélangé à des pigments naturels est fondu à 170180 °C, puis, sous forme de filaments, il forme les pièces de la structure. Une fois périmée, la matière est broyée en une poudre épaisse qui mélangée à du compost naturel va disparaîtr­e pour devenir du H2O et de l’air. » Cette fourniture qui permet davantage de liberté et de finesse dans les créations remplace déjà environ 70 % de l’aluminium des décors 2D. Par ailleurs, les guirlandes et les composants électrique­s sont collectés et recyclés par un écoorganis­me agréé. Prochain défi ? Pouvoir dans l’avenir rendre tous les composants neutres en carbone : Rilsan (les attaches en plastique qui servent à fixer les guirlandes lumineuses), moquettes et autres accessoire­s largement importés d’Asie et des pays de l’Est. L’évolution des mentalités invite à organiser des spectacles made in France, plus écologique­s et moins énergivore­s. Et ça se voit déjà. Pour les sept semaines d’illuminati­ons des Champs-Élysées (extinction des feux le 8 janvier), la facture énergétiqu­e est désormais comparable à la consommati­on électrique annuelle d’une famille parisienne de quatre personnes. De quoi répondre aux critiques dénonçant le luxe indécent d’artifices coûteux destinés à animer une kermesse purement commercial­e. Pendant la période des fêtes, pas moins de 500 000 promeneurs déambulent sur la célèbre avenue, au coeur de la Ville lumière. L’an dernier, alors que sévissait le mouvement des « gilets jaunes », aucune dégradatio­n sur les installati­ons n’avait été à déplorer. Ni à Paris ni sur aucun rond-point en province. A croire que lorsque les communes de France revêtent leurs habits de lumière, pas même les insurgés n’osent y faire un accroc. ■

DES DÉCORS INNOVANTS RÉALISÉS À PARTIR DE

CANNE À SUCRE BIO ET BIODÉGRADA­BLES

 ??  ?? Le festival Cercle de lumière de Moscou donne lieu à des créations féeriques.
Le festival Cercle de lumière de Moscou donne lieu à des créations féeriques.
 ??  ?? À Paris, les touristes
posent devant l’imposant teddy bear
du Village Royal.
À Paris, les touristes posent devant l’imposant teddy bear du Village Royal.
 ??  ?? Le rideau du Glatt Center de Zurich : 32 km de LED et guirlandes, 301 000 spots.
Le rideau du Glatt Center de Zurich : 32 km de LED et guirlandes, 301 000 spots.
 ??  ?? Les Champs-Élysées illuminés par près de 600 000 points lumineux.
Les Champs-Élysées illuminés par près de 600 000 points lumineux.
 ??  ?? En pleine saison,
250 personnes travaillen­t sur les
commandes.
En pleine saison, 250 personnes travaillen­t sur les commandes.
 ??  ?? L’arche de Blokhus, au Danemark : une photo pour Instagram.
L’arche de Blokhus, au Danemark : une photo pour Instagram.
 ??  ?? Chaque geste compte pour un décor beau et solide.
Chaque geste compte pour un décor beau et solide.
 ??  ?? Nouveau décor fabriqué à partir de canne à sucre.
Nouveau décor fabriqué à partir de canne à sucre.
 ??  ?? Les câbleurs fixent
les guirlandes lumineuses à la main.
Les câbleurs fixent les guirlandes lumineuses à la main.

Newspapers in French

Newspapers from France