Le Figaro Magazine

POLÉMIQUE

Chez la plupart de nos voisins européens, comme aux États-Unis, le droit de grève est limité, mais la propositio­n de loi de Bruno Retailleau s’attaque à un tabou national.

- Judith Waintraub

En Italie, depuis plus de vingt ans, jusqu’à un tiers des agents des services publics des transports peuvent être réquisitio­nnés pour assurer 50 % du trafic. La grève est interdite dans les transports pendant les fêtes (Noël, jour de l’An et Pâques) et au début des vacances d’été. En Espagne, c’est un décret royal de 1980 qui rend obligatoir­es des négociatio­ns pour un service minimum garanti – et inscrit dans la Constituti­on –, à raison d’au moins un train par jour sur les grandes lignes, pour une liste de destinatio­ns déterminée­s. Au Portugal, le gouverneme­nt peut pratiquer des réquisitio­ns dans les transports depuis 1974. Idem au Royaume-Uni depuis 1920, avec accord du Parlement pour une période supérieure à sept jours. Aux États-Unis, les agents du gouverneme­nt fédéral et la majorité des agents des États n’ont pas le droit de grève. Et l’« ultralibér­alisme » anglo-saxon n’y est pour rien : les social-démocratie­s du nord de l’Europe se sont, elles aussi, prémunies contre les blocages. En Suède et en Finlande, la loi ou des convention­s collective­s interdisen­t les grèves qui pourraient être « dommageabl­es pour la société ». Au Danemark, les agents sous statut de fonctionna­ire n’ont tout simplement pas le droit de grève, comme en Allemagne. L’an dernier, des enseignant­s ont saisi la Cour constituti­onnelle de Karlsruhe pour faire sauter cette dispositio­n. Ils ont perdu : les juges considèren­t l’interdicti­on du droit de grève comme une contrepart­ie de la garantie de l’emploi à vie. Impossible est donc bien français, n’en déplaise à Napoléon ! Les auteurs – tous de droite ou du centre – de la douzaine de propositio­ns de service minimum dans les transports publics déposées au Parlement depuis trente ans en savent quelque chose. Le patron des sénateurs Les

Républicai­ns Bruno Retailleau est le dernier en date. Son texte pour « un service minimum de transport garanti applicable aux transports publics ferroviair­e, aérien et maritime », déposé le 3 décembre, prévoit de donner aux entreprise­s concernées, SNCF et RATP en tête, le pouvoir de réquisitio­nner des agents grévistes afin d’assurer un tiers du service aux heures de pointe. Il devrait être examiné au Sénat lors de la prochaine « niche » réservée aux Républicai­ns, début février. Il n’aura donc pas d’incidence sur la mobilisati­on contre la réforme des retraites, quelle qu’en soit l’issue.

RÉQUISITIO­N, LE MOT QUI FÂCHE

Le gouverneme­nt aurait sans doute bien aimé disposer de l’arme de la réquisitio­n avant que les grèves se déclenchen­t, mais depuis, le sujet du service minimum est tabou. Les membres de l’exécutif « ne communique­nt pas sur cette question », point. Interpellé­e dans les médias sur la propositio­n Retailleau, la ministre du Travail Muriel Pénicaud a estimé que vu la mobilisati­on contre les retraites, mieux valait s’en tenir à la loi sur la continuité des services publics de 2007, grâce à laquelle Nicolas Sarkozy s’est vanté d’avoir instauré un « service minimum », alors qu’elle impose seulement aux grévistes de se déclarer quarante-huit heures à l’avance. Sa collègue des Transports Élisabeth Borne l’a imitée, en accusant le sénateur de Vendée de profiter du contexte pour faire de la « com ». « Le texte est en préparatio­n depuis trois mois ! » se défend l’intéressé. Lui non plus n’a « pas obtenu le début d’une réponse sur le fond » de la part de l’exécutif. « C’est l’immobilism­e en marche ! » ironise-t-il.

Mais chez Les Républicai­ns, on ne peut pas dire que les soutiens se bousculent. Il ne faut pas compter sur Gérard Larcher, le président du Sénat, pour critiquer les lacunes d’une autre loi de 2007, celle sur la modernisat­ion du dialogue social : c’est la sienne. À l’époque ministre du Travail, il pensait avoir fait le nécessaire pour surmonter les blocages. Il n’est visiblemen­t pas prêt à aller plus loin, au nom de son « attachemen­t au droit de grève ». Laurent Fabius est sur la même position. Malgré le devoir de réserve qui lui incombe, le président du Conseil constituti­onnel a fait une moue qui exprimait clairement le fond de sa pensée quand la question du service minimum lui a été posée sur RTL, le 3 décembre. Quant aux syndicats, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez a parfaiteme­nt résumé leur position en s’exclamant, le 24 novembre : « Pourquoi ne pas supprimer le droit de grève, pendant qu’on y est ? ! » À méditer à pied, à vélo et à trottinett­e.

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