LES CLÉS POUR COMPRENDRE
Éclipsée du continent africain pendant vingt ans, la Russie y reprend pied,
lentement mais sûrement. Pour combler son retard face à une Chine omniprésente et damer le pion aux anciennes puissances coloniales,
elle s’impose dans le domaine qui lui est familier : celui des armes. 1 ALLIANCES HISTORIQUES ET HÉRITAGE COMMUNISTE
C’est ce qu’on appelle un signe fort. Du 24 au 26 octobre dernier, Vladimir Poutine a invité 43 chefs d’État africains dans son fief de Sotchi. Le pendant slave des sommets France-Afrique, avec photo de famille, accolades et embrassades. De quoi faire tiquer au Quai d’Orsay. Dans son discours d’ouverture, le patron du Kremlin n’a pas caché ses ambitions : « La Russie veut renforcer ses relations avec l’Afrique. » À vrai dire, il s’agit plus d’un retour que d’une première. Pendant la guerre froide, l’URSS disposait d’un réseau important de « pays amis », soudés par le combat anticolonialiste et le marxismeléninisme : Éthiopie, Mozambique, Tanzanie, Angola, etc. Autant de nations dans lesquelles Moscou peut encore trouver des interlocuteurs russophones. Ancien officier du KGB et nostalgique de l’empire défunt, Vladimir Poutine cherche ainsi à réactiver des liens historiques (comme il l’a fait au Moyen-Orient, avec la Syrie) et à occuper le vide laissé par les États-Unis (absents du continent depuis le traumatisme somalien). Autre objectif, et non des moindres : contenir l’OPA de la Chine sur l’Afrique.
2 ARMES ET HOMMES DE GUERRE
En bon joueur d’échecs, le président russe a procédé avec patience et méthode. Il a commencé son offensive de charme en Algérie et en Égypte. Dans ce pays, il a d’emblée soutenu le maréchal al-Sissi, à rebours de la communauté internationale. La politique d’influence de Moscou repose sur trois axes : annulation des dettes passées, signature d’accords de défense (avec une vingtaine de partenaires africains, à ce jour) et généreuses livraisons d’armements (pour un montant global de
3,5 milliards d’euros). Un tiers des armes circulant en Afrique subsaharienne sont déjà made in Russia. Mais Moscou ne se limite plus à la bonne vieille kalachnikov. Les matériels livrés en Ouganda, en Angola, au Mozambique, au Nigeria ou en Éthiopie vont du missile antichar à l’hélicoptère de combat en passant par les véhicules blindés. Outre cette coopération officielle, la Russie est aussi présente de manière plus insidieuse via le groupe Wagner, une société militaire privée proche du Kremlin. Ses mercenaires sont présents en Centrafrique et en Libye, aux côtés du maréchal Haftar.
3 BALANCE COMMERCIALE ET RESSOURCES NATURELLES
Si la Russie se concentre actuellement sur les aspects sécuritaires, c’est parce que c’est le secteur où sa plus-value est la mieux reconnue. À tel point qu’elle menace désormais les intérêts de la France au Sahel. Lors du sommet de Sotchi, Vladimir Poutine ne l’a pas caché : « La Russie va soutenir les efforts du G5 (Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Mali, Tchad) dans leur action contre le terrorisme. » Une annonce saluée par le très opportuniste président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, qui surfe aussi sur les sentiments francophobes de son opinion publique : « Ce concours sera peut-être plus pertinent et plus efficace. » Mais à plus long terme le but est « au minimum de doubler » les échanges avec l’Afrique, indique le Kremlin. Pour l’instant, ces échanges ne représentent que 20 milliards de dollars, contre
200 milliards pour la Chine et 50 milliards pour la France. Il lui faut donc combler ce retard. Les ressources naturelles sont évidemment dans le viseur (diamants centrafricains ou hydrocarbures libyens), mais la Russie souhaite étendre son offre aux infrastructures (chemins de fer), à l’énergie ou l’agroalimentaire. Après la guerre tout court, voici le temps de la guerre commerciale.