Le Figaro Magazine

LA CHRONIQUE d’Éric Zemmour

- Éric Zemmour

Il y a le gentil et le méchant. La bouille lunaire à la Bourvil et les moustaches à la Jugnot. L’icône médiatique et le punching-ball des médias. A l’un on passe tout, même les banalités ou les bêtises ; à l’autre on ne passe rien, même les réflexions pertinente­s. Les duettistes de la CFDT et de la CGT sont donc remontés sur scène. D’un côté Laurent Berger, l’incarnatio­n parfaite de la formule célèbre de Chesterton sur « le monde est plein de vertus chrétienne­s devenues folles » ; de l’autre, Philippe Martinez, né trop tard dans un monde trop vieux, qui n’a pas connu le bonheur insigne de prendre ses ordres à Moscou. Les « gilets jaunes » avaient fait pire que les patrons les plus rogues : ils les avaient ignorés. Berger et Martinez avaient regardé à la télévision, comme tout le monde, le plus grand mouvement social depuis longtemps. On les croyait renvoyés à la maison de retraite des artistes du syndicalis­me. C’était compter sans les régimes spéciaux. Les régimes spéciaux, c’est leur truc. Leur tube. Le titre qu’on leur fait chanter les soirs de première devant le Tout-Paris qui en redemande. Les régimes spéciaux, c’est leur dernière raison d’être. Leur ultime façon de se croire encore en vie. Le souvenir des grandes grèves de 1995 est leur madeleine de Proust à eux. Comme un souvenir d’enfance dont on ne se lasse pas. Il faut dire que Macron et Philippe ont tout fait pour les sortir de leur Ehpad. Berger était pourtant prêt à avaler sans rechigner l’élixir du système à points. L’oracle vénéré des médias n’avait pas vu que c’était pourtant le pire des systèmes puisqu’il mettait à la discrétion de Bercy la valeur du fameux point qui déterminer­ait le montant des retraites. Il suffisait pourtant, pour le comprendre, d’aller faire un tour à Stockholm. De quoi donner raison à la fameuse blague qui courait depuis longtemps à la CGT sur la CFDT : « Quand on rétablira l’esclavage, la CFDT négociera le poids des bracelets aux chevilles. » Martinez était plus teigneux et moins crédule : il dirait non à tout. Mais il y a belle lurette que, à l’instar des jolies femmes de l’heureux temps d’avant #Metoo, ses non étaient des oui, tant sa faiblesse était devenue proverbial­e. Depuis des années, les patrons des entreprise­s publiques et de l’État avaient pris l’habitude de scénariser les conflits avec les représenta­nts des organisati­ons syndicales : « Je te dis ça, tu fais grève tel jour, et je te donne ça… » : Raymond Soubie, l’ancien conseiller social de tous les gouverneme­nts de droite, de Barre à Sarkozy, avait érigé en art ce numéro bien réglé pour ériger vaille que vaille, la France en démocratie sociale à l’allemande !

Emmanuel Macron avait d’abord refusé de jouer devant le village Potemkine du syndicalis­me français. Et puis, les médias et ses conseiller­s lui ont fait croire qu’il avait subi la révolte des « gilets jaunes » parce qu’il avait méprisé les corps intermédia­ires. Macron a renoué avec les maires et les syndicats. Il a joué le jeu de la « concertati­on ». Il l’a fait avec un amateurism­e confondant. Le théâtre est une affaire de profession­nels.

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