LE BLOC-NOTES de Philippe Bouvard
Jadis, la télé diffusait quelques petites publicités entre deux grandes émissions. Aujourd’hui, elle propose quelques petites émissions entre deux interminables tunnels publicitaires. Au point que, lorsque le présentateur claironne « Et maintenant, une page de publicité », il faut plutôt disposer du temps d’un livre. Les annonceurs qui mettent le grappin sur une rubrique météorologique pouvant intervenir vingt fois dans une journée se recrutent moins chez les marchands de parapluies que parmi les amateurs de promotions et sans rapport avec la pluie et le beau temps. Ainsi, un grossium immobilier ne délivre-t-il pas d’autre message que l’obligation de meubler l’antenne avant et après l’évocation d’une température relevée sous un abri n’empêchant pas le mercure de descendre au-dessous de zéro à Aurillac. Et c’est parti pour le défilé de tous ceux qui souhaitent vanter leurs produits pour mieux les vendre. Leurs avocats ne portent pas la robe mais une tenue de travail correspondant à leur spécialité. Les chocolatiers en toque blanche touillent le liquide noir appelé à former des tablettes ne devant rien à l’informatique. Un artiste de complément déguisé en chirurgien arrache un cachet en incarnant un arracheur de dents. Les goûteurs d’eaux minérales affichent une satisfaction plus mesurée que celle des oenologues se délectant d’un vieux bordeaux. Les fanatiques du fromage sortis du conservatoire troquent « C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit » contre un « Hum ! que c’est bon ! » mâchonné entre deux bouchées. J’ai longtemps cru que le prophète d’un régime amaigrissant était le véritable créateur de la marque en raison de son visage émacié. C’est en reconnaissant sa voix au service d’autres firmes que j’ai compris ma méprise. Il a d’ailleurs été remplacé par des dames auxquelles une semaine de repas gratuits suivis de ripailles sévèrement dosées ont fait perdre une vingtaine de kilos. Car rien n’est plus efficace que la prestation testimoniale de prétendus consommateurs heureux. Encore faut-il dénicher un acteur ayant assez de talent pour parler comme un client lambda. Certains opticiens chargent des comédiennes à la diction volontairement hésitante d’exprimer leur gratitude pour l’achat d’une paire de lunettes à un prix raisonnable en attendant que l’État leur en fasse cadeau. La dame enfonce le clou en remerciant le technicien en dioptries d’avoir bien voulu remplir gracieusement à sa place les formulaires de la Sécu. S’agissant des spots ordinaires, le débit est beaucoup plus précipité. Dans l’audiovisuel, tout le monde bavasse deux fois plus vite que la normale. Les journalistes pour pouvoir rentrer chez eux pas trop tard ; les speakerines afin d’aller cachetonner ailleurs. Les annonceurs y trouvent leur compte qui, pour le prix de trente secondes, en font dire aussi long que vous et moi pendant une minute. Dommage cependant que cette accélération un peu sordide abrège tellement l’apparition d’un superbe mannequin qu’on n’a pas le loisir de s’y attacher. Certes, la naïade blonde et dénudée qui émerge de l’onde a droit à un traitement de faveur : cinq secondes pour laisser aux observateurs les plus doués le temps d’imaginer l’anatomie coupée au montage. Mention spéciale également aux danseuses en tutu exécutant un ballet mutualiste qui augmentera peut-être la cotisation. À la vieille pub immobile précisant le montant global de l’acquisition s’est substituée la nouvelle communication qui, sur fond d’images virevoltantes, convertit l’investissement en mensualités, forcément moins élevées. La voiture est reine. Comme tous les véhicules se ressemblent désormais, on ne les distingue plus que par leur scénario : quand, au nombre de trois, les petites merveilles se trémoussent ; lorsque les 4 x 4 empruntent une belle route de montagne qui les familiarisera avec l’impossibilité de stationner. Monsieur conduit. Madame rectifie une mèche dans le miroir de courtoisie. Mais aucun passager. Ils ont dû préférer le vélo ou la trottinette. Même neuve, la voiture est une occasion. L’occasion d’un contact humain chaleureux. Après avoir transmuté l’argent en ferraille, l’acheteur et le vendeur échangent une cordiale poignée de main.
Si l’aspirateur rappelle toujours que l’homme n’est que poussière, l’épreuve du coin fenêtre, supplice du créatif débutant dans la réclame lessivière, a disparu. Les raviolis qui assuraient l’harmonie du couple se sont faits plus discrets alors qu’on espérait que le gouvernement désireux de lutter contre les violences conjugales les dispenserait de TVA. Enfin, je verse un pleur sur l’époque où la publicité se mariait humoristiquement avec l’actualité. Le camembert Président succédait à une allocution de François Mitterrand et le slip Eminence apparaissait sans gêne au beau milieu d’un concile.
“Un artiste de complément
déguisé en chirurgien arrache un cachet en incarnant un arracheur
de dents”