ÉDITION, TON UNIVERS IMPITOYABLE
Un vrai-faux huis clos sanglant autour de la sortie d’un best-seller : d’une idée formidable, Régis Roinsard fait des « Traducteurs » un exercice de style(s) un tout petit peu… brouillon.
CHERS AMATEURS DE POLARS, vous vous interrogez et vous avez raison. Après avoir récemment vu un excellent roumain du genre (Les Siffleurs) et un divertissant anglo-saxon (À couteaux tirés), vous vous demandez si le français en salles depuis mercredi (Les Traducteurs) vaut le déplacement. Son scénario est diaboliquement habile : un éditeur (Eric Angstrom) enferme dans un bunker, au sous-sol d’un manoir protégé par des gardeschiourmes russes aux airs de gardiens de goulag, neuf traducteurs de différentes nationalités. Ils ont deux mois pour travailler sur le dernier tome d’une trilogie romanesque dont les deux premiers volumes se sont vendus à des millions d’exemplaires (quelque chose entre les chiffres de Dan Brown et ceux d’Elena Ferrante). La terreur d’Angstrom le bien nommé (« Angst » signifie angoisse dans plusieurs langues du nord de l’Europe…) : voir des extraits paraître sur le net avant la sortie mondiale du livre en librairie. Or, la chose survient : plusieurs pages sont publiées par un hacker qui menace de diffuser la suite si une rançon ne lui est pas versée. Dans cette affaire, tout le monde semble suspect : le Grec anticapitaliste, la Danoise déprimée, l’Italien déférent, la Russe trop belle pour être honnête, le Chinois discret, etc. Sans parler du petit Anglais dont le jeune âge intrigue. Sur cette trame singulière, Régis Roinsard (réalisateur en 2012 du très réussi Populaire) se lance dans un film qui ne cesse de louvoyer. Truffé de fréquentes incursions dans le passé et l’avenir, irrigué de multiples scènes qu’on croirait sorties qui d’un polar britannique (type Le Crime de l’Orient-Express), qui d’un film d’arnaque (Usual Suspects), qui d’un film de vengeance froide (par exemple le trop méconnu Tiré à part, de Bernard Rapp), cet exercice de style(s) chahute l’attention. Et du chahut au chaos, il n’y a parfois qu’un pas, une image, un dialogue… Les brusques changements d’atmosphère, les virages scénaristiques au cordeau, les basculements répétés entre le film choral et le focus sur le personnage-monstre (l’éditeur, évidemment…) donnent à l’ensemble une couleur incertaine. D’aucuns appelleront cela de l’originalité, une patte, un style. Pourquoi pas ?
Post-apostrophum : à rebours de son interprétation dans De Gaulle, où il ânonne un anglais hésitant dans un accent français épouvantable, Lambert Wilson parle ici fluently la langue de Shakespeare. D’où il se révèle presque aussi bon acteur qu’Emmanuel Macron dans le même exercice…