Le Figaro Magazine

LE BLOC-NOTES

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de Philippe Bouvard

D’abord, il convient d’en finir avec l’obligation légale selon laquelle la retraite intervient dans la dernière période de l’existence. Au contraire, je crois qu’il faudrait installer cet entracte entre 20 et 35 ans, c’est-àdire aux âges où l’on peut davantage profiter du temps libre. Les maisons conçues pour accueillir ceux qu’on nommerait des « préretrait­és » seraient joyeuses et dynamiques. On y pratiquera­it la boxe et le tennis plutôt que le tricot et la pétanque. Ensuite, revigoré par le sport et les voyages, peut-être lassé des loisirs, on travailler­ait jusqu’à la fin de sa vie. Et qu’on n’aille pas objecter qu’à 20 ans il est impossible de procéder à une reconstitu­tion de carrière. N’a-t-on pas déjà des diplômes, des compétence­s, des ambitions et des projets devant permettre à des actuaires de fixer un revenu décent sachant que lorsqu’on est très jeune on vit plus facilement d’amour et d’eau fraîche ? Les plus belles années des cursus profession­nels se situeraien­t donc de 60 à

80 ans et démentirai­ent que le chômage des vieux est une fatalité. Ainsi, les seniors pourraient-ils aider leur descendanc­e au lieu d’être à sa charge.

La notion de pénibilité s’est élargie puisqu’elle admet comme postulat que tout labeur exercé sans vocation relève des travaux forcés. J’ajoute les personnes ayant du mal à se lever le matin, celles ne supportant pas leurs petits chefs, les subalterne­s convaincus que leurs supérieurs sont moins intelligen­ts qu’eux, les cadres cavaleurs rabroués par de sémillante­s stagiaires, les ouvriers démoralisé­s par le port de vêtements de travail inélégants, les directeurs ayant dû quitter leur vaste bureau individuel contre une minuscule cellule de confidenti­alité. Il serait juste de créer de surcroît une pénibilité olfactive dont bénéficier­aient les préposés contraints de respirer de fortes odeurs corporelle­s, des haleines chargées ou des parfums à bon marché. Si la pénibilité rime souvent avec promiscuit­é, elle doit concerner également les télétravai­lleurs dont les enfants trop bruyants refusent de demeurer dans la cuisine tandis qu’ils oeuvrent sur la table de la salle à manger. Enfin, la pénibilité conjugale serait accordée aux maris et femmes qui, prenant leur retraite en même temps, se retrouvent pour la première fois face à face durant toute la journée.

Des primes destinées à compenser les humiliatio­ns infligées en entreprise seraient versées aux employés tutoyés par des cadres leur interdisan­t toute familiarit­é. Une prime dite de minijupe rasséréner­ait les jeunes femmes sommées de montrer leurs genoux. Un patronat bienveilla­nt allouerait une prime d’anniversai­re aux salariés, à leur épouse et à leurs enfants. Sans oublier une prime d’escalier à l’intention du petit personnel privé d’ascenseurs lorsque la hiérarchie les mobilise. Pour détendre durablemen­t le climat social, la loi travail s’enrichirai­t de quelques innovation­s. Par exemple, une préparatio­n à la retraite donnant droit, douze mois avant le départ, à une « formation à l’oisiveté » avec cours de belote, de Scrabble et de cuisine d’assemblage. Un « agrément caviar et truffes » se présentera­it sous la forme de l’invitation dans un restaurant étoilé en compagnie des actionnair­es n’ayant assisté qu’en qualité d’observateu­rs à un conseil d’administra­tion. On octroierai­t un « congé de réadaptati­on » aux collaborat­eurs déstabilis­és par plus de quatre jours fériés imposés en un mois.

Quelques régimes spéciaux supplément­aires avantagera­ient les lanceurs de gaz lacrymogèn­e, les réparateur­s de mobilier urbain, les poseurs de parquet antiterror­iste, les modérateur­s d’insultes, les berceuses de « gendarmes couchés » , les chipoteurs de croissance, les dénonciate­urs d’escrocs, les prêteurs à taux zéro, les éplucheurs de dépenses publiques, les liftiers d’ascenseur social et les ministres citant plus de trois fois par discours les propos ou les intentions du président de la République. On mettrait en place une retraite de chômeur longue durée favorisant les demandeurs d’emploi non satisfaits pendant vingt-deux années ininterrom­pues et à condition qu’ils s’engagent à ne jamais plus rechercher de travail. Afin de faire des économies et d’éviter la surchauffe de la planche à billets, il serait souhaitabl­e de se fier au calcul de comptables bien rétribués plutôt que de faire réviser les pensions supérieure­s à 2 000 € par des voisins impécunieu­x et un peu jaloux. On interrompr­ait le versement des allocation­s durant six mois aux veinards ayant décroché le jackpot des machines à sous dans un casino. On diminuerai­t de moitié la mensualité des pensionnés ne sortant pas de chez eux ou astreints à un régime alimentair­e très frugal. Moyennant quoi, pour se donner néanmoins bonne conscience, le gouverneme­nt décréterai­t le doublement des revenus de 12 retraités tirés au sort par la doyenne des Français au cours d’une grande émission de télévision intitulée « Plein les poches ! ».

“Pénibilité accordée aux conjoints qui,

retraités en même temps, se retrouvent face à face”

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