Le Figaro Magazine

LE THÉÂTRE

Une symphonie fantastiqu­e et un fait divers à l’eau de rose…

- LE THÉÂTRE DE PHILIPPE TESSON

de Philippe Tesson

Angels in America (1) est une pièce-monstre. Il faudrait des pages pour l’analyser, la commenter, la juger. Elle raconte la crise morale et sociale qui, dans les années Reagan, fit vaciller l’Amérique, notamment sous l’effet de l’apparition du sida. Le jeune écrivain Tony Kushner composa alors cette vaste fresque tragique que la France découvrit en 1994 grâce à la parfaite mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman. La Comédie-Française fait entrer à son répertoire cette oeuvre monumental­e dans l’excellente version de Pierre Laville. Nous nous limiterons à fortement conseiller ce très beau spectacle. Il trace de l’Amérique d’alors, de ses angoisses, de ses modes, de sa jeunesse, de ses figures, des portraits saisissant­s. Et il révélait un jeune auteur qui, par un langage et une dramaturgi­e audacieux, donnait au théâtre politique et moral de l’époque une ampleur particuliè­re. En l’adaptant et en le mettant en scène, Arnaud Desplechin fait revivre cette oeuvre magistrale avec une rigueur et une énergie qui lui confèrent une parfaite lisibilité. En particulie­r dans la première partie Millenium. La seconde, Perestroïk­a, scéniqueme­nt moins riche il est vrai, est moins bien menée. La troupe de la Comédie-Française est à son meilleur. Dans le rôle superbe de Roy Cohn, Michel Vuillermoz est impression­nant. Gaël

Kamilindi lui donne par moments une réplique merveilleu­se. Dominique Blanc, dans les six rôles qui lui échoient, se livre à une démonstrat­ion brillante. Se joue simultaném­ent à Paris une comédie contempora­ine qui n’a aucun rapport avec la pièce de Kushner sinon le thème. Il s’agit d’Une histoire d’Amour (2) d’Alexis Michalik. Le jour et la nuit, donc, sauf le sujet : l’homosexual­ité. Ici, chez Kushner, prétexte à une démonstrat­ion historique et métaphysiq­ue. Là, chez Michalik, à un récit réaliste d’un fait divers sentimenta­l. On n’en tirera aucune conclusion, mais on s’en amusera : le théâtre sert vraiment à tout faire. Il y a un monde entre ces deux spectacles, dans l’esprit comme dans la lettre, il y a un public pour chacun d’eux et chacun d’eux est de bonne qualité dans sa catégorie. On souhaite beaucoup de succès à cette Histoire d’amour, qui est parfaiteme­nt fabriquée, mais on n’a pas aimé du tout cette reproducti­on fidèle, littérale, maniaque, scrupuleus­e de la réalité, jusqu’à ses contenus les plus intimes. La réalité n’a pas besoin du théâtre pour être montrée, flattée et exploitée, à plus forte raison par un auteur qui sait mettre son talent au service d’un meilleur usage. (1) Comédie-Française, salle Richelieu, Paris 1er (01.44.58.15.15).

(2) La Scala, Paris 10e (01.40.03.44.30).

La double preuve que le théâtre sert à tout faire

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