Le Figaro Magazine

Milo Djukanovic

Au pouvoir depuis près de 30 ans, le président autocrate du Monténégro est contesté par la rue après avoir fait passer une loi nationalis­ant les biens locaux de l’Église orthodoxe serbe.

- Jean-Christophe Buisson

Milo Djukanovic fêtera-t-il l’an prochain ses 30 années de pouvoir presque ininterrom­pues à la tête du Monténégro ? Malgré le soutien de ses alliés américains, malgré la relative bonne santé économique d’un pays dont les splendeurs touristiqu­es attirent les foules toute l’année, malgré la perspectiv­e de rejoindre l’Union européenne (après l’Otan) que ses habitants voient (naïvement ?) comme un graal, la question se pose. La faute à une situation tendue provoquée par le Président lui-même il y a un mois et demi et qui a mis dans la rue jusqu’à 200 000 des 600 000 habitants !

Chaque jeudi et chaque dimanche, dans les principale­s villes du pays (Podgorica, Niksic, Bar…), se rassemblen­t des dizaines de milliers de familles qui manifesten­t de manière inédite leur rejet de Djukanovic. Après avoir servi Milosevic, à qui il doit son accession au pouvoir à 29 ans il y a tout juste vingt-neuf ans (il est nommé premier ministre de la république du Monténégro yougoslave le 15 février 1991), puis bravé son pouvoir en battant son mentor communiste (Momir Bulatovic) lors de la présidenti­elle de 1998, puis évité les bombardeme­nts de l’Otan en 1999 en condamnant lui-même son ancien maître et conduit son pays à l’indépendan­ce en 2006 en coupant ses liens avec la Serbie, le président monténégri­n semble avoir commis cette fois le geste de trop. Le 26 décembre dernier, les députés de son parti majoritair­e au Parlement ont voté une loi prévoyant la récupérati­on par l’État des biens de l’Église orthodoxe serbe au Monténégro si celle-ci ne fournit pas ses titres de propriété. Or, ceux-ci datent parfois de six ou sept siècles, dont plusieurs sous occupation ottomane puis fasciste (19411945) et communiste (1944-1991). Autant dire qu’ils ont souvent été détruits ou volés. Dans la mesure où cette loi épargne par ailleurs les cultes catholique et musulman, elle a immédiatem­ent été perçue comme un acte d’hostilité contre l’Église serbe à laquelle est affiliée une immense majorité des Monténégri­ns. Ce n’était pas la première fois, Djukanovic ayant, à l’instar des chefs d’État communiste­s des pays d’Europe de l’Est jadis, oeuvré avec ardeur pour développer une Église orthodoxe monténégri­ne autocéphal­e à sa botte – en vain.

Les foules déterminée­s et pacifiques qui se rassemblen­t depuis un mois et demi derrière le métropolit­e Amfilohije témoignent d’abord de leur attachemen­t à une Église serbe installée dans la région depuis le XIIIe siècle – position identitair­e religieuse qui ne les empêche pas de se dire, par ailleurs, pleinement monténégri­ns. Mais elles expriment aussi un ras-le-bol pour un homme dont le parcours est loin d’être sans tache.

SUSPECTÉ DE TRAFIC DE CIGARETTES

Outre sa proximité avec Milosevic durant les années de guerre (1991-1995) et sa rouerie pour se maintenir au sommet de l’État depuis près de trente ans (tantôt président, tantôt premier ministre), lui sont reprochés sa gestion autocratiq­ue voire despotique du pays (au détriment, notamment, de la liberté de la presse), son implicatio­n passée dans le trafic de cigarettes avec l’Italie (qui a émis un mandat d’arrêt contre lui), son alignement jugé systématiq­ue sur les positions des États-Unis et de l’Otan, son enrichisse­ment personnel par des conflits d’intérêts lors des privatisat­ions de banques (son salaire mensuel est de 1 400 dollars et on lui prête une fortune de 14 millions…), un népotisme systématiq­ue (son frère Alexandre, dit « Aco », promoteur de concerts, s’est considérab­lement enrichi dans l’immobilier, et sa soeur avocate, Ana, serait elle aussi millionnai­re…), etc.

La semaine dernière, à Podgorica, la capitale du Monténégro, une jeune femme brandissai­t un carton sur laquelle elle avait écrit : « Gotov je » (« Il est fini »). Le même slogan que celui des Serbes à l’automne 2000, dans les jours précédant la chute de l’autre « Milo »…

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