LES CLÉS POUR COMPRENDRE
Vainqueur des législatives, le parti lié à l’IRA veut gouverner à Dublin et prône le rattachement de l’Ulster à l’Eire.
1 LA PERCÉE DU SINN FÉIN
Avec 24,1 % des voix aux législatives de la République d’Irlande, le Sinn Féin (Nous-mêmes, en gaélique) a obtenu dimanche dernier le meilleur résultat de son histoire. Ce parti, branche politique de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) qui a la particularité de participer aussi aux élections en Ulster, n’avait jusqu’ici joué qu’un rôle accessoire au parlement de Dublin. Ses liens avec l’IRA lui interdisaient toute alliance – même après les accords de paix de 1998. En 2016, le Sinn Féin n’avait récolté que 13,8 % des voix et 23 sièges sur 158, loin des partis centristes Fine Gael (centre-droit 25,5 %) et Fianna Fáil (centre-gauche, 24,3 %). Cette fois, une première depuis la naissance de la République d’Irlande en 1921, la formation dirigée par Mary Lou McDonald (photo au centre) est arrivée en tête et compte bien accéder aux affaires. Grâce à un programme de gauche, le Sinn Féin s’est imposé dans un pays qui n’a toujours pas digéré la crise de 2008. Certes, l’économie va mieux, mais le regain n’a pas profité à tout le monde. Le nombre de sans-abri, l’augmentation des loyers et l’engorgement des hôpitaux figuraient parmi ses thèmes de bataille. À cause de ces mêmes difficultés, les électeurs se sont détournés des deux partis de gouvernement.
2 UNE MAJORITÉ INTROUVABLE
D’emblée, Leo Varadkar, premier ministre sortant, a déclaré que le Fine Gael, crédité de 20,9 % des voix, excluait toute coalition avec le Sinn Féin pour des raisons éthiques et d’incompatibilité politique. En revanche, Micheál Martin, le chef du Fianna Fàil, a semblé prêt à lever le tabou d’une coalition avec les vainqueurs. Bien que soulignant le fossé entre sa formation et celle de Mary Lou McDonald sur certaines positions, il n’a pas réitéré le refus catégorique d’une alliance exprimée durant la campagne.
De son côté, la responsable du Sinn Féin a décrété la mort du bipartisme qui régnait jusqu’ici. Elle n’a pas pour autant tourné le dos aux deux partis centristes pour former une coalition, mais a expliqué privilégier, dans un premier temps, une majorité avec les Verts et de petites formations de gauche. À l’issue de ce scrutin complexe, l’arithmétique parlementaire ne dégage cependant aucun scénario clair : sur 160 sièges, le Sinn Féin en a obtenu 37 (échaudé par son mauvais score aux européennes, il a commis l’erreur de ne se présenter que dans 42 circonscriptions), le Fine Gael 35 et le Fianna Fáil 38. En tout état de cause, l’alliance envisagée par Mary Lou McDonald ne suffira pas à atteindre les 81 sièges nécessaires.
3 UNIFICATION EN LIGNE DE MIRE
La révolution annoncée par Mary Lou McDonald ne concernera pas la seule République d’Irlande mais l’île tout entière. Car l’objectif prioritaire du Sinn Féin n’est autre que la réunification. Or, ce qui paraissait exclu il y a encore quelques mois n’a plus rien de chimérique depuis le Brexit. Au sein de l’Assemblée d’Irlande du Nord, le Sinn Féin compte 26 sièges sur 90. En alternance avec le parti unioniste (DUP), il exerce déjà le pouvoir à Belfast. Mais les élections britanniques de décembre 2019 remportées par les conservateurs de Boris Johnson ont accouché d’un résultat spectaculaire : pour la première fois, le DUP ne constitue pas la majorité des députés nordirlandais aux Communes. Or, on se souvient que Theresa May s’était cassé les dents à plusieurs reprises sur les unionistes qui refusaient l’accord sur le Brexit parce qu’il créait une frontière douanière entre l’Ulster et la GrandeBretagne. Celui que Boris Johnson a fait adopter retient la même disposition. Les liens – au moins commerciaux – avec Londres vont donc se distendre. Et le Sinn Féin veut organiser un référendum sur l’unification. Cent ans après la guerre d’indépendance, les républicains irlandais pensent toucher au but.