La charge du corsaire Rioufol
Dans « Les Traîtres, ils ont abandonné la France », le chroniqueur du « Figaro » sonne la charge contre les « élites » et se fait le porte-parole des « gilets jaunes ».
Le saviez-vous ? Ivan Rioufol, né à Nantes, est descendant de capitaine corsaire. À ne pas confondre avec les pirates, qui pratiquaient le banditisme, les corsaires étaient autorisés par leur gouvernement à attaquer, en temps de guerre, tout navire battant pavillon ennemi. Corsaire, Ivan Rioufol l’est dans l’âme : toujours prêt à partir à l’abordage, à ferrailler avec panache contre ses adversaires. Sa plume est son sabre. Dans son dernier essai *, il ne retient pas ses coups contre ceux qu’il appelle « les traîtres »: « dirigeants hébétés », « intellectuels frivoles », « universitaires endormis », « médias distraits »… « Cela fait quarante ans et plus qu’ils déambulent dans les allées du pouvoir ou traînent leurs guêtres dans les cuisines de la politique ». Par lâcheté, cynisme ou idéologie, ils ont, selon Rioufol, abandonné la France aux ravages de la mondialisation et du multiculturalisme. Cette trahison des élites, d’autres avant lui – Christophe Guilluy ou Jean-Claude Michéa notamment – l’ont démontrée avec plus de rigueur conceptuelle. Mais Rioufol n’a pas la prétention d’être un théoricien. Il s’est assigné un autre rôle tout aussi noble : venger les humiliés. Il le fait à coups de formules
féroces : Daniel Cohn-Bendit, « ce leader de Mai 68 qui tient des propos de petit bourgeois apeuré », le pape François,
« faux gentil qui regarde ailleurs »,
Macron, « président pyromane »,
adepte « de la matraque policière et du gourdin moral »…
Les humiliés, ce sont les « gilets jaunes ». Ivan Rioufol, qui a fait ses premiers pas de journaliste en tant que localier, ne s’est pas contenté de les observer par le prisme des chaînes d’information. Il est allé à leur rencontre dans les manifs, sur les rondspoints… L’ambiance lui rappelle les conversations qui se tenaient, il y a quarante ans, dans les fermes de la région nantaise où le verre de l’amitié passait de main en main et de bouche en bouche, « en signe d’une fraternité qui n’avait pas besoin d’être formulée ».
L’immense mérite de Rioufol est de redonner un visage aux fameuses « foules haineuses ». Un visage souvent indélicat, mais aussi franc et humain. S’ils ont parfois des accents de poissards, la plupart des « gilets », explique-t-il, ne sont pas des sansculottes. « Ils sont là pour rappeler aux dirigeants ce qu’est la démocratie : le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Leur crime ? Ils veulent démocratiser la démocratie. »
L’auteur discerne même dans leur révolte spontanée et brouillonne un début de projet de société, l’embryon d’une révolution conservatrice et nationale. D’aucuns lui reprocheront de manquer de distance, de ne pas suffisamment insister sur les dérives gauchistes du mouvement, d’épouser une vision romantique de la révolte. On peut aussi lui reconnaître son refus du regard en surplomb et l’honnêteté d’afficher d’où il parle. On a blâmé les « gilets jaunes » de ne pas avoir de leader. Avec Ivan Rioufol, ils ont au moins trouvé un bouillonnant compagnon de route, un porte-parole. * Les Traîtres, ils ont abandonné la France, d’Ivan Rioufol, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 180 p., 18 €.