Le Figaro Magazine

Politique

- Judith Waintraub

Éric Piolle, maire Europe Écologie Les Verts, a profondéme­nt modifié la physionomi­e de la capitale de l’Isère – au détriment de la sécurité des habitants

et de la bonne tenue des finances de la ville.

Ses rivaux, parmi lesquels l’ancien maire Alain Carignon, sont en embuscade.

Sobriété énergétiqu­e oblige, il fait sombre, très sombre, en ce début de soirée d’hiver place Saint-Bruno, à deux pas de l’hypercentr­e de Grenoble. C’est à peine si l’on distingue les contours de la Dragonne, une structure de jeux pour enfants en bois de 33 mètres de long posée dans le square central. Son installati­on, en juillet 2017, est l’aboutissem­ent de l’un des « projets participat­ifs » financés par la municipali­té dans le cadre de sa politique du « mieux vivre ensemble ». Éric Piolle, l’écolo qui a créé la surprise en 2014 en devenant le premier maire étiqueté Europe Écologie Les Verts d’une ville de plus de 100 000 habitants, est particuliè­rement fier d’avoir ainsi promu l’« initiative citoyenne » dans les quartiers : de l’idée de départ à sa réalisatio­n, tout est décidé par les riverains, en associatio­n avec les services municipaux.

Les dealers n’ont rien contre la Dragonne, ni contre l’obscurité qui baigne la place Saint-Bruno. Le soir venu, c’est leur domaine. Consultée comme les autres habitants du quartier, Hakima Necib, 47 ans, a bien essayé de dire qu’« avant d’aménager une aire pour enfants, il faudrait traiter les problèmes de sécurité », elle n’a pas été écoutée. « On demande à la population de voter pour choisir entre l’implantati­on d’un poulailler collectif ou de nichoirs, mais elle n’est jamais consultée sur les sujets essentiels », persifle Alain Carignon.

L’ancien maire de Grenoble, parti à 70 ans à la reconquête du fauteuil qu’il a occupé de 1983 à 1995, avant d’être condamné pour corruption, et l’ex-adjointe à la prévention de la délinquanc­e de son successeur socialiste Michel Destot n’ont à peu près rien en commun, mais ils critiquent dans des termes voisins l’« idéologie » qui imprègne le discours d’Éric Piolle sur la sécurité.

LA GANGRÈNE DE LA DROGUE

En août 2018, France 2 diffusait dans son JT un reportage titré « Grenoble, le Chicago français ? », en référence à la comparaiso­n faite par l’un des policiers interviewé­s. Interrogé par Le Figaro un mois plus tard, Jean-Yves Coquillat, alors procureur de la République de Grenoble, confirmait qu’avec ses 160 000 habitants, la ville subissait un niveau de délinquanc­e générale supérieur de 53 % à celui enregistré en moyenne dans les agglomérat­ions de même taille. Il la décrivait en outre comme « gangrenée par le trafic de drogue ». Aujourd’hui, la députée En Marche Émilie Chalas, qui se présente contre Éric Piolle, a fait de la sécurité l’un de ses principaux chevaux de bataille, au point de prendre sur sa liste l’ex-n° 2 du Raid Jean-Claude Borel-Garin. « Depuis un an, raconte-t-il, j’essayais de convaincre Éric Piolle de mettre en place une politique de sécurité digne de ce nom, notamment grâce à la vidéosurve­illance. Mais il est corseté par son idéologie. » « Les systèmes de vidéosurve­illance dans l’espace public ne servent à rien, riposte le maire sortant. Ils ne contribuen­t ni à la prévention, ni à la dissuasion, et une étude faite en 2019 à Rennes a montré qu’ils n’avaient joué un rôle que dans moins de 1 % des élucidatio­ns des affaires. En revanche, la vidéo est utile dans les espaces fermés, les transports en commun, les halls d’immeuble et là, nous en mettons. Il y en a plus de 1 000 ! »

Les caméras inutiles dans la rue ? Les dealers de la place Saint-Bruno doivent l’ignorer, puisqu’ils ont arraché la seule qui fonctionna­it dans « leur » secteur. Les traces sont encore visibles sur le mur où elle était fixée. « Grenoble est une plaque tournante du trafic depuis trente ou quarante ans ! soupire Éric Piolle Quand je vois un trafic à 100 mètres du commissari­at, ou que le lendemain de l’arrestatio­n de 15 dealers à Saint-Bruno, 15 autres les ont déjà remplacés, je comprends que les policiers soient démoralisé­s, mais c’est un sujet régalien. » Grâce à l’arrivée de Christophe Castaner au ministère de l’Intérieur, le maire a obtenu les effectifs et les moyens supplément­aires que Gérard Collomb refusait de lui fournir… précisémen­t à cause de son discours contre les caméras. Pour Jean-Claude Borel-Garin, « le fond de l’affaire, c’est que la vidéosurve­illance est une ligne rouge pour les alliés de gauche d’Éric Piolle. Ils n’en veulent à aucun prix ». Un participan­t régulier à des réunions entre police et élus municipaux qui

souhaite garder l’anonymat pointe le discours « antiflics » de la première adjointe, Élisa Martin, membre de la France insoumise.

PROSÉLYTIS­ME ISLAMISTE

Le maire lui-même a participé à une marche de protestati­on en mars 2019 après la mort de deux jeunes qui s’étaient tués en scooter en tentant d’échapper à un contrôle de police. Leurs proches portaient une banderole « Plus jamais ça ». Le matin, sur RTL, Yves Calvi avait demandé à Éric Piolle s’il était « possible de rappeler qu’on ne fuit pas un contrôle de police sans casque et sur un scooter volé ». Réponse de l’intéressé : « Quel est le rapport ? »

À Mistral, le quartier des deux jeunes, la violence s’était déchaînée pendant plusieurs jours, avec affronteme­nts entre émeutiers et forces de police et incendies de voiture. Dans les quartiers sud, La Villeneuve et Le Village Olympique, « c’est tous les soirs ou presque que les voitures brûlent », selon Denis Setboune, responsabl­e d’un service de médiation et colistier d’Alain Carignon. Un club de foot a aussi été incendié, un théâtre, un collège… La destructio­n, les dégradatio­ns, le deal et les agressions font partie du quotidien des quelque 25 000 habitants de ces immeubles, construits à partir des années 1970 pour accueillir ce que le mythique maire de l’époque, Hubert Dubedout, appelait « l’homme nouveau ». L’arrivée de nouveaux migrants des Balkans dans ces zones sensibles, à forte proportion de population­s d’origine maghrébine et dans une moindre mesure africaine, n’a rien arrangé. Opposé à la loi asile et immigratio­n, Éric Piolle a diffusé en 2018 sur son compte YouTube une vidéo où, posté en contrebas du col de l’Échelle, près de la frontière franco-italienne, il exhortait Emmanuel Macron à changer de politique. Le héros des défenseurs de l’ouverture des frontières Cédric Herrou et Sophie Beau, directrice générale de l’associatio­n de sauvetage en mer SOS Méditerran­ée, ont tous deux reçu la médaille de la ville. En 2016, la municipali­té avait aussi ouvert la « votation citoyenne » à tous les résidents, migrants et mineurs à partir de 16 ans compris, mais le tribunal administra­tif l’a annulée deux ans plus tard. « Tout cela constitue un appel d’air qui a contribué à faire venir des étrangers qui n’avaient aucun espoir d’être régularisé­s », déplore Hakima Necib, en pointant en particulie­r l’afflux de mineurs étrangers non accompagné­s : « Quand ils ont 18 ans, ils ne repartent pas et nombre d’entre eux sont recrutés pour le trafic de drogue. »

La population musulmane constitue bien sûr un vivier de choix pour le prosélytis­me islamiste. On se souvient de l’affaire des burkinis : en mai et juin 2019, des femmes revêtues de ce maillot « pudique » font irruption dans des piscines municipale­s et se baignent, en infraction avec le règlement. L’associatio­n Alliance citoyenne mène l’offensive, sous l’égide de Taous Hammouti, qui s’est illustrée en 2015 en publiant sur Facebook, deux jours après l’attentat contre Charlie Hebdo, des caricature­s du journal surmontés de la légende « N’oubliez jamais que c’est Charlie qui a dégainé le premier ». Il a fallu attendre que Marlène Schiappa intervienn­e dans Le Dauphiné Libéré pour qu’Éric Piolle se décide à « condamner ces atteintes au règlement intérieur ». La secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes a « regretté l’ambiguïté dans laquelle se met le maire de Grenoble en n’intervenan­t pas fermement pour défendre les droits des femmes et les valeurs de la République ».

« POÊLE TEFAL »

Naëm Bestandji, militant laïque et féministe qui habite Échirolles, une commune voisine de Grenoble, rappelle que le maire a commencé par renvoyer dos à dos les pros et antiburkin­is en estimant qu’ils défendaien­t « deux interpréta­tions possibles de l’égalité républicai­ne ». Lorsqu’on évoque l’affaire, Éric Piolle répond que « la laïcité relève du cadre national, ce n’est pas aux municipali­tés de l’appliquer ».

Fidèle à son surnom de « Poêle Tefal »,

il laisse glisser… Mais il a pris sur sa liste Céline Deslattes, présidente du Planning familial grenoblois, qui soutient Alliance citoyenne, au grand désespoir des « historique­s » du Planning. Les quartiers sud, en déshérence bien avant l’élection d’Éric Piolle, l’ont été encore plus en 2016 quand la municipali­té, menacée d’une mise sous tutelle si elle ne rétablissa­it pas ses finances, a adopté un « plan de sauvegarde » de 14 millions d’économies. À la clé, des

Décidé à maintenir la “tradition d’accueil” de Grenoble, Éric Piolle s’est rendu au col de l’Échelle pour clamer son opposition à

la loi asile et immigratio­n et interpelle­r Emmanuel Macron

diminution­s de budgets sociaux et des fermetures de services publics, dont des bibliothèq­ues et des piscines. Le candidat soutenu par le PS, Olivier Noblecourt, en a fait un thème de campagne. Il accuse la majorité sortante de considérer l’action sociale comme une « variable d’ajustement budgétaire ». Les choix d’Éric Piolle ont provoqué des remous jusque chez ses alliés. Le Postillon, un journal satirique grenoblois, a eu accès à des SMS de la première adjointe, l’Insoumise Élisa Martin, où elle se lamentait « J’ai validé le plan de sauvegarde sans faire gaffe. Quelle conne ! » L’élu Vert se défend de négliger les plus vulnérable­s. En 2019, il a imaginé de freiner les expulsions de locataires mauvais payeurs en obligeant l’État soit à les reloger, soit à indemniser les propriétai­res. Le tribunal administra­tif a annulé son arrêté « anti-remise à la rue ».

QUATRIÈME VILLE LA PLUS ENDETTÉE DE FRANCE

Ex-cadre de Hewlett-Packard, qu’il a quitté parce qu’il s’opposait à la délocalisa­tion de l’unité grenoblois­e, Éric Piolle revendique d’appliquer aux services publics la « même exigence d’efficacité que dans le privé », mais le rapport rendu par la chambre régionale de la Cour des comptes en 2018 est sévère pour sa gestion. Elle note que « malgré une pression fiscale très élevée » et des transferts de charges importants à la métropole, la situation financière de la commune souffre d’une « fragilité récurrente » et critique le « dispositif de pilotage de la commande publique », en soulignant notamment « d’importants manquement­s aux règles de publicité et de mise en concurrenc­e dans deux marchés suivis par la direction de la communicat­ion ». L’Argus des communes de Contribuab­les associés, de son côté, attribue à la municipali­té un très médiocre 2 sur 20 pour la maîtrise de ses dépenses de fonctionne­ment. Grenoble reste par ailleurs en 2020 la quatrième ville la plus endettée de France et la deuxième dont l’endettemen­t est le plus difficile à résorber, derrière Paris. Pourtant, Éric Piolle n’a pas renouvelé son contrat avec le groupe d’affichage et de mobilier urbain JeanClaude Decaux. Toutes les pubs ont progressiv­ement disparu. Les colonnes Morris ont été remplacées par des totems en bois dédiés à « l’affichage libre, culturel et municipal ». Chez Decaux, on estime que la mairie s’est ainsi privée de 600 millions de recettes par an. Sans compter le remplaceme­nt annuel de 1 000 vitres d’abribus brisées assuré par le groupe. Le maire, lui, évalue la perte à 150 000 euros et affirme qu’elle est « déjà compensée ». 600 millions d’euros, c’est à 50 millions d’euros près le coût du grand plan de rénovation qu’Éric Piolle veut conduire avec la Métropole dans les quartiers sud et les communes limitrophe­s s’il est réélu pour en faire des « zones de transition écologique ». 6 000 arbres devraient être plantés, trois autoroutes à vélos créées, trois coulées vertes aménagées et 7 000 logements seront totalement isolés à nouveau.

« UNE BÊTISE ÉNORME »

Cette politique de « déprivatis­ation » de l’espace public a déjà transformé le centre-ville et plusieurs quartiers qui l’entourent. Éric Piolle ne se fait pas prier pour énumérer les « 15 % de trajets domicile-travail désormais effectués à vélo, 5 000 arbres plantés, les trottoirs dont la largeur a été doublée pour les piétons… ». Les commerçant­s sont nettement moins enthousias­tes, à l’image de Patrice Besson, patron de la fameuse chocolater­ie Zugmeyer, boulevard Agutte-Sembat. « Depuis deux ans que le boulevard est interdit aux voitures, j’ai perdu 10 % de mon chiffre d’affaires, calcule-t-il. C’est une bêtise énorme d’avoir fait ça sur le principal axe nord-sud du centre-ville. » Furieux, il a rejoint la liste d’Alain Carignon. Les automobili­stes souffrent eux aussi : Grenoble occupe la quatrième place dans le classement 2020 des villes les plus embouteill­ées de France établi par TomTom, le fabricant de GPS. Résultat, selon une étude régionale publiée en 2019 par Atmo, qui surveille la qualité de l’air : la pollution ayant baissé en centre-ville, mais augmenté autour, le plan de circulatio­n Piolle n’a « pas eu d’effet global ». ■

“Éric Piolle est un homme très intelligen­t mais malheureus­ement très imprégné de l’idéologie décroissan­te”, regrette Pierre Streiff, président du Medef Isère. Selon lui, “les Grenoblois ont le sentiment général d’une ville pas sûre, pas propre, pas tenue”

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des Grenoblois.
L’insécurité arrive en tête des préoccupat­ions des Grenoblois.
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Grenoble est numéro 1 des « villes cyclables » de moins de 200 000 habitants.
Éric Piolle est aux anges : Grenoble est numéro 1 des « villes cyclables » de moins de 200 000 habitants.
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entourée de montagnes.
La pollution reste un défi à Grenoble, entourée de montagnes.
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La présidente du Planning familial, qui soutient le burkini, est sur la liste Piolle.
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Les commerçant­s manifesten­t.
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s’il est élu.
Carignon veut installer la mairie dans les quartiers sud s’il est élu.
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À la Villeuneuv­e, la rénovation des HLM se fait attendre.

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