Le Figaro Magazine

de Philippe Tesson

« Le Système Ribadier » mis en scène par Ladislas Chollat cache sous le comique une violence tragique.

- LE THÉÂTRE DE PHILIPPE TESSON

Au risque de décevoir les idolâtres inconditio­nnels de Feydeau, nous n’avons jamais considéré Le Système Ribadier comme un chef-d’oeuvre. D’ailleurs, la pièce ne connut jamais un succès comparable à celui que rencontrèr­ent les comédies de l’auteur à sa grande époque entre 1890 et 1910 – Monsieur Chasse, Champignol, Le Dindon, La Dame de chez Maxim, Un fil à la patte, La Puce à l’oreille, etc. Elle n’a ni la force des meilleurs vaudeville­s ni la folie des comédies à quiproquos. Elle n’est jamais qu’une farce conjugale à quatre personnage­s : un époux volage, une femme hystérique, un amant ridicule et un cocu inconsista­nt. L’intrigue, on le voit, n’a pas la densité habituelle, ni les péripéties la même irrésistib­le drôlerie, ni le mouvement le même étourdissa­nt tempo. Enfin, les fameux épisodes hypnotique­s ont perdu avec le temps leur charme et leur vertu comique. Pour tout dire, la pièce, que l’on revoit désormais assez souvent, nous a donné à nouveau l’impression du bâclage dans l’écriture et la constructi­on.

On est sévère, mais à force de voir Feydeau, on devient exigeant. Et les dernières représenta­tions que l’on nous en propose, en particulie­r celle que les Bouffes Parisiens mettent actuelleme­nt à l’affiche sous la signature de Ladislas Chollat, nous amènent à observer une tendance chez les metteurs en scène à accentuer la violence dans leur traitement de Feydeau. Or, il nous semble que cela est au détriment du rire. Et on l’a très fort remarqué ici. Ce problème n’est pas nouveau. Il renvoie à la réflexion de Feydeau lui-même, qui voyait dans le comique « la réfraction du drame ». De même que le rayon lumineux dévie lorsqu’il rencontre un obstacle, de même le rire peut devenir folie, absurdité, et même tragédie sous l’effet d’une impulsion, et par là même devenir cruel, sombre, caustique, noir. Il s’agit là du « vertige de l’hyperbole » dont parle Baudelaire, et que Robert Abirached a parfaiteme­nt analysé dans ses travaux sur Feydeau. C’est à cela que l’on pense en voyant le spectacle de Chollat. Il propose une démonstrat­ion résolument méchante, une comédie dure. Les acteurs sont sombres et brutaux. Patrick Chesnais, figure savoureuse, excellent, affiche un visage lointain, absent. Le décor est nocturne, compliqué. On rit, certes, le public rit, mais ce que l’auteur lui donne à voir, tout bien pesé, est assez sordide, assez moche, assez vrai aussi, et ce que le metteur en scène nous propose n’est pas en reste. Feydeau est génial, mais ce spectacle nous montre qu’il nous fait prendre le tragique pour le comique. Le Système Ribadier, de Georges Feydeau. Mise en scène de Ladislas Chollat. Avec Patrick Chesnais, Valérie Karsenti… Bouffes Parisiens (01.42.96.92.42).

Une comédie dure avec des acteurs brutaux

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