de Jean Sévillia
Tout en rappelant les duretés de la vie quotidienne au Grand Siècle, Agnès Walch montre que les Français y furent heureux.
Les mots ont une histoire que l’historien ne peut ignorer, car, s’agissant du passé, la sémantique n’est pas innocente. « Ancien Régime », par exemple, est une expression qui date de 1790, de même que le terme « absolutisme » a été inventé en 1796 afin de vilipender les institutions que la Révolution avait fait disparaître. Il reste qu’aucun contemporain de Louis XIV ou de Louis XVI n’avait idée qu’il vivait sous un régime destiné à être aboli, ni n’éprouvait un manque de liberté, un sentiment d’oppression.
Telle décision royale pouvait être source de mécontentement, les ministres pouvaient être impopulaires et fortement critiqués, les impôts (déjà) étaient considérés comme une ponction inique, mais jamais la personne du monarque ni le principe de sa fonction n’étaient attaqués.
« Avant 1789, il n’est pas question de remettre en cause l’autorité royale », observe Agnès Walch. Professeur à l’université d’Artois, cette historienne, spécialiste de l’Ancien Régime et de l’histoire de la conjugalité, publie un ouvrage d’un grand bonheur de lecture où elle analyse avec subtilité les mentalités des XVIIe et XVIIIe siècles. Or, le constat dressé par elle est direct : malgré la dureté des temps, les hommes de la France classique étaient globalement heureux.
Agnès Walch n’oublie rien, cependant, des maux du Grand Siècle : épreuves climatiques, carences alimentaires, souffrances physiques incurables, mortalité effroyable, difficultés de la vie quotidienne au regard de nos critères (le froid, l’obscurité, l’hygiène minimale, les odeurs), insécurité et violence. Mais son enquête, précise et documentée, explore tous les volets de cette époque, tous les pans de la société, de la paysannerie aux salons du faubourg Saint-Germain, et montre que chacun avait ses joies et ses plaisirs. Par les attitudes devant la vie et la mort, par la foi commune en l’au-delà et la crainte de l’enfer – l’athéisme alors naissant était un phénomène marginal –, par une certaine civilité, plus raffinée, certes, dans les hautes couches sociales mais néanmoins présente dans le peuple, par la proximité des sexes et, notamment en ville, la cohabitation relative des riches et des pauvres, il y eut un art de vivre à la française, qui fut, en dépit de tout, une « douceur de vivre » (Talleyrand).
La Vie sous l’Ancien Régime, d’Agnès Walch, Perrin, 364 p., 24 €.