Où commence la richesse ? Comment la créer, la préserver ou la développer ? En quoi peut-elle être vertueuse ?
À PARTIR DE QUEL NIVEAU DE REVENU ET DE PATRIMOINE APPARTIENT-ON À LA CATÉGORIE DES FRANÇAIS LES PLUS FORTUNÉS ? SUIS-JE RICHE ? OU SINON, COMMENT LE DEVENIR UN PEU PLUS ?
Les Français, s’ils sont souvent critiques et envieux à l’égard des plus fortunés, n’ont pourtant qu’un rêve : gagner au Loto pour devenir aussi riche que leur voisin ! Ces dernières années, mieux valait toutefois investir en Bourse ou dans la pierre que de risquer sa mise au hasard : les actions et l’immobilier ont connu, malgré les soubresauts et les crises, une incroyable ascension venue avantageusement gonfler le patrimoine de certains. Entreprendre est assurément une autre manière de gagner sa vie, tout en créant des richesses et des emplois. C’est ainsi que l’argent ruisselle et que l’économie prospère, pour le bien de tous… Mais le fisc veille, avec des armes toujours plus sophistiquées pour prélever sa dîme. L’État a besoin d’argent pour financer son train de vie et le coûteux modèle social français.
Tant qu’il y a des riches pour payer, cela fonctionne !
Devenir riche ? Tout le monde en a rêvé un jour ou l’autre. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Il n’existe aucune définition précise ou officielle de la richesse ! À partir de quel seuil de revenu peut-on se considérer comme riche en France ? François Hollande, lorsqu’il était à la tête de l’État, s’était risqué à évoquer la somme de 4 000 € de revenu mensuel, mais, à l’époque, il avait fait sourire : comment prétendre qu’avec un tel revenu on puisse être riche, surtout si l’on habite dans une grande ville où les prix de l’immobilier ont flambé ces dernières années, tant à l’achat qu’à la location, plombant le revenu disponible des ménages ? Philippe Martinez, secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT) – dont le salaire mensuel est proche de cette somme – est le premier à ne pas se reconnaître sous l’appellation de « riche » : pour lui, « être riche en France, ce n’est pas gagner 4000, 6 000, ou même 10 000 € par mois… C’est gagner plusieurs millions par an ! » (« Ecorama », 12 février 2019). Ce qui, pour le coup, place la barre très haut ! À l’évidence, la richesse est une notion large et subjective. Pour y voir plus clair, Le Figaro propose sur le web un outil (Lefigaro.fr/conjoncture/etes-vous-riche-20190418) qui permet à chacun de se situer dans l’échelle de la fortune. Il repose en partie sur une méthode élaborée il y a une vingtaine d’années par l’Observatoire des inégalités, qui consiste à dire qu’une personne est riche quand elle gagne le double du revenu médian disponible (ce que touche un ménage – salaire, revenus locatifs, dividendes – après imposition).
635 000 MILLIONNAIRES FRANÇAIS
En 2016, ce revenu médian disponible était, d’après l’Insee, de 1563 € pour une personne seule, de 3 036 pour un couple sans enfant et de 3 998 pour un couple avec deux enfants. On peut donc être considéré comme riche, selon l’Observatoire, quand on perçoit des revenus mensuels supérieurs à… 3 125 €. François Hollande avait donc en partie raison, même si l’on est loin du ressenti des Français ! Mais attention : ce chiffre ne concerne que les ménages constitués d’une seule et unique personne. Pour un couple sans enfant, le seuil de richesse grimpe à 6 072 €/ mois, et à 7 995 pour un couple avec deux enfants.
En 2018, l’Insee s’est penché plus précisément sur les hauts revenus. Son verdict ? Si 90 % des Français disposent d’un revenu inférieur à 45 220 €/an (3 768 €/mois), 9 % gagnent jusqu’à 106 210 € par unité de consommation (8 850 €/mois pour une personne seule, 18 590 pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans) ce qui les fait entrer dans la catégorie des « hauts revenus ». Et au-delà de ce seuil ? Bienvenue chez les « très hauts revenus » pour reprendre, là encore, la terminologie de l’Insee… soit seulement 1 % de la population. Le profil de ces Français fortunés ? Dans 37 % des cas, il s’agit de couples sans enfant dont le déclarant fiscal est en moyenne âgé de 59 ans. Propriétaires de leur résidence principale dans 86 % des cas, ils sont 30 % à vivre à Paris ou dans les Hauts-de-Seine, 60 % sont des cadres, 10 % des chefs d’entreprise. En termes de revenu, ce centième de la population au portefeuille bien garni est loin d’être homogène, explique l’Insee : 0,9 % sont des personnes aisées (jusqu’à 259 920 € de revenus annuels), 0,09 % sont très aisées (entre 259 920 et 699 230 € de revenus annuels) ; et enfin, 0,01 % (environ 6 400 personnes) gagnent au minimum 699 230 €/an… soit plus de 58 000 €/mois. Ils constituent la catégorie des « plus aisés ». Une autre manière d’appréhender la richesse des Français consiste à s’intéresser à leur patrimoine (276 000 € en moyenne par ménage, en 2018).
DIDIER DECONINCK 145e fortune professionnelle française
“Je n’ai jamais été tenté de m’exiler à l’étranger. Mon pays, c’est la France et je suis heureux d’y rester. L’argent ne serait pas un motif suffisant pour me faire changer d’avis.”
Selon le World Wealth Report 2 019 présenté par l’entreprise de conseil Capgemini, sur 18 millions de millionnaires recensés dans le monde en 2018, 635 000 étaient français. Ce qui fait de la France le cinquième pays abritant le plus de millionnaires après les États-Unis (5 322 000), le Japon (3 151 000), l’Allemagne (1 350 000) et la Chine (1 189 000). Que sait-on de ces millionnaires français ? L’impôt sur la fortune immobilière (IFI) est un outil précieux (bien qu’incomplet), 61 % du patrimoine des ménages étant, selon l’Insee, constitué de biens immobiliers. En 2018, l’IFI, dû par ceux qui détiennent un patrimoine immobilier net supérieur à 1,3 M€, a été payé par 132 722 foyers fiscaux. Quel est le profil du redevable moyen ? Il est âgé de 68 ans et son revenu fiscal annuel médian s’élève à 118 000 €. Il a réglé 9 730 € d’IFI en 2018. Un tiers des redevables gagnent leur vie grâce à des revenus fonciers, un tiers grâce à leurs pensions de retraite et des rentes diverses (seulement 19 % touchent principalement un salaire). Enfin, si le patrimoine net moyen taxable est de 2,3 M€, 1 139 redevables ultrariches déclarent plus de 10 M€ de biens immobiliers.
Mais l’IFI ne dit pas tout : plus la fortune des Français est conséquente, moins la proportion de biens immobiliers qu’ils détiennent est importante (30 % du patrimoine chez les 1 % les mieux dotés), diversification oblige. On comprend pourquoi la suppression de l’ISF (que payaient 351 152 Français) a été perçue comme un cadeau
aux plus riches tandis que les « petits riches » – pour reprendre l’expression de Gilles Carrez (LR), ancien président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale – restaient assujettis à l’IFI. D’où l’idée qu’Emmanuel Macron serait le président des (très) riches, mais en aucun cas celui des « petits riches », assimilables aux classes moyennes supérieures…
ENTREPRENEURS TALENTUEUX
Mais au fait, comment devient-on riche en France ? L’observation des courbes d’évolution du prix des actifs est instructive. Au cours des 50 dernières années, pour s’enrichir, il fallait dans l’ordre miser sur la Bourse et la pierre. Selon le magazine patrimonial Le Revenu, les actions ont rapporté 7 517 % entre 1968 et 2018, à condition de réinvestir ses dividendes année après année. Preuve du dynamisme des marchés boursiers qui, sur une longue période, se révèlent le meilleur des placements possibles ! Ceux qui ont investi sur la même période dans l’immobilier parisien, ne s’en sont pas mal sortis non plus, avec une progression de + 4 353 % de la valeur de leurs biens. « En 1968, un appartement parisien de bonne facture (type haussmannien dans un quartier recherché) s’échangeait sur la base de 16 000 francs le m² (soit 244 €), indique Le Revenu. Cinquante ans plus tard, il vaut près de 10 000 €/m2, soit une hausse de plus de 4 000 %. Même en déduisant l’inflation de 729 % sur la période, les propriétaires restent fortement gagnants ». Et encore : les chiffres cités datent de 2018. Depuis, le prix moyen de l’immobilier a grimpé à 10 380 €/m². Et dans certains quartiers prisés de la capitale, la cote de la pierre a tendance à s’envoler au-delà de 12 000 ou 13 000 €/m2 ! Enfin, troisième placement gagnant, très prisé des Français : l’assurance vie en euros, qui affiche un gain de 3 445 % entre 1968 et 2018. Mais avec la baisse actuelle des taux d’intérêt, aujourd’hui à des niveaux historiquement bas, l’époque bénie où l’on pouvait s’enrichir sans risque, presque en dormant, est révolue ! L’autre manière de s’enrichir en France, c’est bien entendu d’entreprendre. Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France (mais aussi du monde selon le magazine Forbes), est l’exemple même de l’entrepreneur qui a su bâtir un empire à coup d’intuitions et d’audace (le groupe LVMH est aujourd’hui numéro un mondial du luxe). Le classement des 500 plus grandes fortunes professionnelles de France établi chaque année par le magazine Challenges est de plus en plus fourni en entrepreneurs talentueux : Xavier Niel (fondateur de Free) y figure en 2019 à la 16e place, Jacques-Antoine Grangeon (fondadeur de Veepee, ex-vente-privee.com) à la 58e, Stéphane Courbit (LOV group) à la 116e, Marc Simoncini (créateur de Meetic) à la 225e, Pierre Kociusko-Morizet (cofondateur de PriceMinister, devenu Rakuten France) à la 349e, le chef pâtissier-chocolatier Pierre Hermé à la 500e… Autant de réussites spectaculaires et rapides ; autant de fortunes bâties à la force du poignet, mais aussi d’emplois et de richesses créés au bénéfice de l’économie française. « Au cours de ma vie, j’ai personnellement créé des milliers d’emplois, et ma famille des dizaines de milliers », explique Didier Deconinck, propriétaire (avec sa famille) et vice-président du conseil de surveillance du spécialiste mondial des
“Quand on a beaucoup reçu, il faut savoir redonner à la société. Ce qui compte, c’est ce qu’on fait de son argent, comment on l’investit pour permettre à d’autres de vivre.” CLAUDE SOLARZ Vice-président du groupe de recyclage Paprec
(CA : 1,5 milliard d’euros)
revêtements de sol et surfaces sportives Tarkett, issu du regroupement de plusieurs entreprises dont celle créée par son grand-père Joseph Allibert avant la guerre de 1914 et la société Sommer. « Nous n’avons pas dilapidé notre fortune, nous avons toujours fait le choix de réinvestir nos bénéfices dans le développement de notre entreprise, qui fait vivre 13 000 familles », explique-t-il. Aussi, cet homme, qui figure à la 145e place du classement 2019 de Challenges, ne se sent-il pas du tout visé par les critiques dont les plus fortunés font parfois l’objet. « Pourquoi reprocher à des gens d’être trop riches ? interroge Didier Deconinck. Il y a des gens qui savent créer de la richesse et d’autres non, voilà tout ! Quand on a été initié à cela, on se sent un devoir d’en faire profiter les autres. Je connais bon nombre de gens fortunés qui, comme moi, pensent avoir une responsabilité supplémentaire vis-à-vis de la société : celle de lui rendre plus que ce qu’elle nous a offert ! Cela donne un certain sens à la vie… »
NI HONTE NI FIERTÉ
Claude Solarz, même s’il se définit avec modestie comme « un clochard par rapport à Bernard Arnault », est lui aussi à l’abri du besoin. Autodidacte, cet homme d’affaires a créé sa première société de recyclage de vieux papiers en 1960 avant de rejoindre Paprec Group en 2000. À 74 ans, il est encore le vice-président de ce leader français indépendant du recyclage (10 000 collaborateurs) et exerce en parallèle la mission de business angel, investissant au gré de ses intuitions dans les start-up qu’il juge les plus prometteuses. « Je n’éprouve ni honte ni fierté à être riche », confie-t-il, estimant que si les Français sont si jaloux de la fortune de leur voisin, c’est souvent parce que, rêvant de richesse pour eux-mêmes, ils sont amers de n’avoir pas su réussir autant qu’ils l’auraient souhaité. Mais qu’est-ce que la réussite ? « Je n’ai pas d’admiration pour la réussite quand elle constitue une fin en soi et qu’elle ne s’accompagne pas d’une vie réussie. Réussir, ce n’est pas qu’amasser de l’argent et des biens matériels. Ce qui compte, c’est ce qu’on fait de cet argent, comment on rend heureux ceux qui sont autour de soi, qui sont dans le besoin ou qui défendent des causes utiles pour la société », estime Claude Solarz, qui figure parmi les grands donateurs de l’Institut Curie, de l’Institut Pasteur, ou encore de La Table du coeur (40 000 repas gratuits distribués par an aux plus démunis). « Quand on a la chance d’être riche, il faut savoir en faire profiter les autres. Donner, cela vous revient toujours au centuple ! » ■