Le Figaro Magazine

d’Eric Zemmour

- Éric Zemmour

Il est au moins un domaine où l’Allemagne a vingt ans de retard sur la France : la politique. L’épisode de Thuringe où des élus de la CDU ont accepté celles des populistes de l’AFD, provoquant un charivari médiatique et politique et la démission de la présidente de l’Union chrétienne démocrate, rappelle furieuseme­nt les élections régionales françaises de 1998. Alors, quatre présidents de région de droite (RPR ou UDF) avaient accepté les voix du Front national pour être élus. Leurs noms sont largement oubliés aujourd’hui : Charles Millon, Jean-Pierre Soisson, Jacques Blanc et Charles Baur ; mais depuis, plus aucun membre de la droite, que ce soit sous le nom de l’UMP ou de LR, n’a osé les imiter. À l’époque, le président Jacques Chirac, celui du RPR, Philippe Séguin, et son numéro 2, Nicolas Sarkozy, étaient très fiers d’avoir expulsé les rebelles et fait respecter par les autres le « cordon sanitaire » entre la droite et « l’extrême droite ». Les Allemands en général, et la CDU en particulie­r, devraient regarder avec effroi le sort qui leur est promis. Le passé de la droite française est leur avenir. C’est-à-dire leur lente et inexorable dégringola­de au détriment du Front national. De même, la CDU est condamnée à mort et la montée de l’AFD, inexorable. Comme les partis de la droite française, la CDU ne comprend pas qu’on a changé d’époque. Que les pages du passé, même hitlérien, sont nécessaire­ment tournées. Comme le duopole RPR-PS, et même de manière plus ordonnée que lui, le duopole CDU-SPD date d’un temps où les problémati­ques étaient économique­s et sociales, et où l’émergence d’une large classe moyenne assurait une stabilité sociale rassurante. La mondialisa­tion a bouleversé nos pays. La classe moyenne est déstabilis­ée, prolétaris­ée, laminée. L’immigratio­n du sud a pris une ampleur effrayante. La question sociale ne concerne plus la répartitio­n des fruits de la croissance entre bourgeois et ouvriers, mais des fractures entre France (ou Allemagne) des métropoles et France périphériq­ue. L’ancienne RDA est l’Allemagne périphériq­ue, qui n’a pas les mêmes valeurs que l’Ouest, largement soumis aux diktats de la « société des individus » née dans les années 1960.

Comme la droite française de Chirac, la CDU de Merkel a ressemblé à un parti de gauche aux yeux d’un nombre croissant de ses électeurs. Comme la droite de Sarkozy, la droite allemande de Merkel n’a jamais osé prendre à bras-lecorps la question migratoire et a semblé accepter, dans les faits, la création d’enclaves étrangères sur leur territoire national et la montée des violences. La mort annoncée de la CDU a été précédée par celle du SPD, exactement comme en France, celle du PS à la présidenti­elle de 2017, a précédé l’effondreme­nt de LR aux européenne­s de 2019. Les deux partis gouvernaie­nt ensemble en Allemagne et faisaient la même politique en France. Un nouveau clivage va sans doute peu à peu s’organiser autour du duel entre les populistes nationalis­tes de l’AFD et les écologiste­s internatio­nalistes des Verts. Entre ceux qui ont peur du grand remplaceme­nt et ceux qui ont peur du grand réchauffem­ent.

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