Le Figaro Magazine

L’HOMME QUI N’ARRIVAIT PAS À ÊTRE FASCISTE

Depuis combien de temps n’avons-nous lu un roman aussi grinçant et effrayant que « La Réaction » ?

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Le titre, La Réaction, sent l’ironie à plein nez, le ton est mordant et le héros tellement mou et oisif qu’il en devient irrésistib­le. Côme Martin-Karl avait jusqu’alors échappé à notre détecteur de têtes à claques, d’habitude infaillibl­e. Ce journalist­e sophistiqu­é a pourtant publié deux romans chez Lattès en 2013 et 2017. Son arrivée chez Gallimard devrait faire grand bruit : La réaction est une réussite incontesta­ble. Son narrateur est un troll nommé Matthieu Richard qui squatte chez un aristocrat­e fasciste avec d’autres haters. Déprimé comme un personnage de Houellebec­q, il passe ses journées à envoyer des messages agressifs sur internet : « Je détestais être d’accord avec qui que ce soit. » Jusqu’au jour où il vit un remake de L’Arroseur arrosé. Ce militant malgré lui couche avec des gauchistes pour les convertir à la réaction : l’exact inverse de Sara Forestier dans Le Nom des gens. À la fois arriviste, anarchiste et flemmard, il a du mal à concilier son homosexual­ité avec sa haine de la modernité. Le livre est entouré d’une bande rouge sur laquelle trône cette phrase : « J’avais peur d’être devenu consensuel. » Cette parano rappelle le célèbre aveu de Roland Barthes : « Tout d’un coup, il m’est devenu indifféren­t de ne pas être moderne. » Côme Martin-Karl montre bien que dans une époque apocalypti­que, le conservati­sme est le dernier refuge des humanistes… sauf s’ils ont l’esprit de contradict­ion. On sent l’écrivain qui voudrait choquer Mediapart mais ne parviendra qu’à obtenir un papier élogieux dans Le Fig Mag. La question qu’on se pose durant toute la lecture de ce roman nerveux et chafouin est : Côme MartinKarl se fiche-t-il des réacs ou seulement de l’impossibil­ité d’être un libre-penseur en 2020 ? (C’est la même sensation qu’on pouvait ressentir en lisant Occident de Simon Liberati.) Comment rester dans l’opposition quand on ne sait plus qui gouverne ? Après quelques chapitres d’incorrecti­on politique, on jubile, on s’exclame « Rhôôô » et l’on se surprend presque à se sentir adepte de la social-démocratie. Le mal est fait, et il fait du bien. Côme Martin-Karl est la vraie révélation de ce début d’année : il possède le style vif d’un infiltré qui prend des notes chez les nazis tout en cherchant la sortie de secours. Achetez ce livre pour énerver les consensuel­s, mais surtout pour vous observer comme dans ces miroirs déformants des fêtes foraines, qui transforme­nt les nains en géants, et les géants en nains, et font glousser, et font peur.

La Réaction, de Côme Martin-Karl, Gallimard, 212 p., 19 €.

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