Le Figaro Magazine

Les nouvelles techniques des escrocs,

LES COULISSES DE L’INDUSTRIE DES ARNAQUES AUX PLACEMENTS Forex, bitcoins ou diamants, les investisse­ments fictifs ont fait perdre plus de 1 milliard d’euros aux épargnants, depuis 2017. Aujourd’hui, les escrocs inventent de nouvelles offres pour appâter

- Frédérique Schmidiger

Un milliard d’euros volatilisé­s en deux ans. C’est ce que les Français ont perdu en investissa­nt dans des miroirs aux alouettes, victimes d’escroqueri­es aux placements. Une estimation – basse – communiqué­e en septembre dernier lors d’une conférence de presse organisée dans les bureaux du procureur de la République, Rémy Heitz. Autour de lui, des représenta­nts de l’Autorité des marchés financiers (AMF), le régulateur des produits financiers, et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui surveille le secteur de la banque et de l’assurance. Le but de cette mobilisati­on exceptionn­elle, c’est Robert Ophèle, le président de l’AMF, qui l’expose : «Nous ne savons que limiter les dégâts d’escrocs qui agissent à l’échelle internatio­nale. Il convient d’avoir une action préventive contre ce fléau en informant le public sur leur mode opératoire. » L’enjeu n’est pas seulement d’alerter les épargnants mais aussi de les pousser à porter plainte et à signaler les sites, e-mails et appels suspects. À cette fin, l’AMF a créé une applicatio­n, AMF Protect Épargne. Elle a aussi noué un partenaria­t avec l’associatio­n Signal Spam (Signal-spam.fr). Les arnaques aux placements sont partout : e-mails, annonces sponsorisé­es sur les moteurs de recherche, publicités sur internet, les applicatio­ns ou les réseaux sociaux. Opportunis­tes, les escrocs surfent sur les placements à la mode : faux investisse­ments dans des start-up qui n’existent pas (crowdfundi­ng non autorisé), dans de prétendues cryptomonn­aies (bitcoin, ethereum…), des diamants d’investisse­ment, des parts de cheptels de vaches, des bouteilles de vin, des terres rares. « Récemment ont émergé des offres frauduleus­es sur les parkings ou même le cannabis thérapeuti­que », révèle Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants à l’AMF.

LE PIÈGE DES FORMULAIRE­S

L’enjeu pour les escrocs est de susciter la curiosité pour diriger vers leurs sites et d’inciter à livrer son e-mail et son numéro de téléphone. Certains n’ont pas d’autre objet que de collecter ces données pour les commercial­iser. Il s’est développé une véritable industrie qui ne sévit pas seulement pour les placements. Il suffit, par exemple, de laisser ses coordonnée­s afin d’obtenir des informatio­ns sur l’isolation à 1 €, pour qu’elles finissent entre les mains d’escrocs. Lesquels se les échangent, se les revendent ou se les volent. Vous êtes ensuite contacté par un conseiller d’un centre d’appels sur un fond sonore digne d’une salle des marchés. Il appelle, rappelle, fait culpabilis­er ou pousse à verser très vite les fonds pour ne pas rater une occasion en or. Des techniques de manipulati­on bien rodées. Myriam, une retraitée qui a perdu l’argent qu’elle pensait avoir investi en bitcoins, n’a jamais imaginé que

derrière le site très profession­nel sur lequel elle pouvait suivre l’évolution de son compte en temps réel, il n’y avait que du vent. D’abord méfiante, elle a investi de petites sommes et a demandé un remboursem­ent pour tester. «Je l’ai obtenu tout de suite, sans comprendre que c’était pour que j’investisse davantage. » Ce qu’elle a fait en virant de grosses sommes sur un compte d’une banque étrangère. L’arnaque peut se doubler d’extorsion de fonds par violence. Les arnaqués sont approchés par de soi-disant représenta­nts d’autorité française ou étrangère, de la Banque de France, du fisc… qui leur réclament de l’argent pour débloquer leurs fonds. On leur fait peur. On les menace en usurpant l’identité de vrais policiers ou de magistrats. Cela peut durer des mois et leur coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros de plus. Nul n’est à l’abri. «Nous sommes alertés par des proches de jeunes gens, inquiets face à des offres de packs de formation au trading qui les ciblent et les incitent à recruter leurs camarades, avec déscolaris­ation à la clé et désocialis­ation », raconte Claire Castanet. Mais les plus de 60 ans restent les plus exposés, notamment en région Paca. Ce qui ne facilite pas le travail de la justice et des enquêteurs, saisis aux quatre coins de la France.

UN CADRE LÉGAL PLUS PROTECTEUR

S’il ne s’agit pas d’arnaques, la loi se charge également de protéger les épargnants des produits les plus risqués. Depuis 2016, la loi Sapin 2 a interdit les publicités numériques sur les produits les plus spéculatif­s (CFD, options binaires…) qui risquent de faire perdre plus que le montant investi. «Ces publicités ont quasiment disparu. Mais on voit réapparaît­re des offres de petits pays en dehors de l’Union européenne qui cherchent à attirer les investisse­urs en contournan­t les règles européenne­s de protection des épargnants », alerte Claire Castanet. La loi pacte a aussi permis une avancée notable en fixant un cadre réglementa­ire aux opérations portant sur les cryptomonn­aies. Le démarchage, y compris sous forme de collecte de coordonnée­s personnell­es via des formulaire­s, pour des offres sur des actifs numériques ou cryptomonn­aies est interdit – si ces offres n’ont pas le visa de l’AMF ou si les prestatair­es ne sont pas agréés. Autre arme de l’AMF, depuis la loi Sapin 2, l’article L. 551-3 du code monétaire et financier interdit de proposer au public des investisse­ments promettant des rendements financiers sur des biens divers ou atypiques (diamants, terres rares, vins, cheptels de vaches…) sans avoir soumis les documents d’informatio­n à l’AMF et avoir fait enregistre­r l’offre. Seuls trois acteurs sont à ce jour enregistré­s sur la liste des offres de biens divers autorisées (consultabl­e sur le site Geco.amf-france.org, rubrique « Produit financier »/« Consulter les produits de biens divers »). L’un, EcoTree, propose d’investir dans la forêt durable, les deux autres, U’Wine et Cavissima, d’investir dans le vin. Se faire enregistre­r n’est, il est vrai, pas une mince affaire. «Il nous a fallu quatre ans pour construire notre modèle économique, échanger avec l’AMF et le valider, afin d’aboutir à l’enregistre­ment de notre offre Mandat », témoigne Thomas Hébrard, président fondateur de U’Wine, société de négoce en vins implantée à Bordeaux. Il a dû expliquer à l’AMF comment fonctionna­it son modèle de cave patrimonia­le et garantir, après plusieurs scandales dans le secteur, l’existence des bouteilles et leur valorisati­on (inventaire, expertise…). Des informatio­ns contrôlées par un audit du cabinet KPMG. « Avant d’investir dans du vin ou d’autres biens divers, il faut s’intéresser aux produits et au modèle. Il faut comprendre les frais et les commission­s, comment est fixée la valeur à l’achat et à la revente, comment et quand cette revente est assurée à terme. Si vous n’avez pas les réponses à ces questions clés, il ne faut pas investir », conclut Thomas Hébrard.

Attention aussi aux usurpateur­s. U’Wine et Cavissima ont vu leurs sites détournés par des escrocs. « Ma photo, mon CV, tout y figurait! Seuls mes nom et prénom avaient été légèrement modifiés », s’étonne encore Dorothée Berny, responsabl­e marketing et communicat­ion de U’Wine. Un phénomène d’usurpation et de clonage de site qui touche aussi les banques et les assurances.

Si la liste blanche des acteurs enregistré­s par l’AMF est très courte, ses listes noires et celle tenue par l’ACPR recensent plus de 1 000 noms de sociétés et sites non autorisés, qui proposent des placements financiers, des livrets d’épargne mais aussi des services de paiement ou des crédits (listes consultabl­es sur Amf-france.org et Abe-infoservic­e.fr). Les consulter est nécessaire mais pas suffisant. De nouveaux acteurs émergent chaque jour. Car si les placements souffrent des taux bas, les arnaques, elles, prospèrent. ■

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