À la découverte de ces placements utiles et rentables,
Des plates-formes sur internet proposent aux épargnants de faire fructifier leur argent en misant sur des projets écolos, durables… et rentables. Les gains promis sont de 3 à 7 % par an.
Courges, panais, carottes… Malgré la brume et le froid de février, les cagettes ne désemplissent pas. Dans quelques heures, ces légumes estampillés bio seront livrés en paniers à une vingtaine de restaurateurs, dont plusieurs étoilés, Ce potager bio géant né il y a moins d’un an à côté de Rambouillet, au sud-ouest de Paris, n’aurait pas pu voir le jour sans les économies de milliers de particuliers. Ce projet, lancé par l’entreprise Tomato & Co au printemps dernier, a fait appel à l’épargne sur un site de financement participatif – ou crowdfunding. La jeune pousse, dont l’ambition est de créer des potagers « haute qualité » proches des villes, a pu récolter 100 000 € en à peine deux semaines, et boucler son plan de financement. En contrepartie, elle versera un rendement de 4 % par an pendant quatre ans aux particuliers qui lui ont fait confiance. « Sans ce recours massif aux internautes, le projet n’aurait pas pu voir le jour aussi rapidement », reconnaît Nicolas Lebreton, président de Tomato & Co.
Les plates-formes de crowdfunding mettent en relation des porteurs de projets à la recherche d’argent avec des épargnants en quête de revenus. Ce mode de financement connaît un gros succès en matière d’immobilier (la collecte a doublé en 2019, à 373 M €, selon le site HelloCrowdfunding). Mais depuis peu, dans sa version « verte » aussi . Les plates-formes qui investissent dans des projets durables (agriculture, énergies renouvelables) ont récolté un peu plus de 110 M € en 2019, selon des chiffres provisoires de l’association Financement participatif France (FPF). C’est près du double de la collecte de 2018. « C’est, avec l’immobilier, un des deux secteurs du financement participatif à connaître une forte croissance », confirme Jérémie Benmoussa, président de la FPF et directeur de Fundimmo.
L’APPÂT DU GAIN NE FAIT PAS TOUT
Côté rendement, les projets immobiliers restent imbattables avec près de 10 % par an, mais l’appât du gain ne fait pas tout. « On est sur une tendance de fond car la thématique environnementale prend de plus en plus d’ampleur. Le financement participatif permet aux épargnants d’être acteurs de cette évolution », estime Florian Breton, directeur de Miimosa, premier site de crowdfunding à s’être intéressé au financement de PME agricoles, il y a cinq ans. Mais la rémunération de ces projets en espèces sonnantes et trébuchantes – et non en nature – est plus récente. Elle date de 2018. En moyenne, ces plates-formes offrent 3 à 7 % de rendement par an aux investisseurs.
Plus de la moitié des épargnants (57 %) souhaitent désormais que leur épargne intègre le développement durable, selon une étude du cabinet Deloitte publiée l’année dernière. « Le portrait-robot de l’investisseur a beaucoup évolué. Ce n’est plus réservé à seulement quelquesuns. Aujourd’hui, les plus jeunes utilisent les outils web classiques pour militer et investir. Les plates-formes ont révolutionné les pratiques », confirme Patrick Sapy, directeur de Finansol, association qui promeut la solidarité dans l’épargne et les finances. Résident parisien, Antoine Couturier est dans ce cas. Il a déjà investi dans une cinquantaine de projets pour des mises allant de 50 à 100 €. « J’ai déjà de l’assurance-vie et quelques actions en Bourse. J’avais envie de diversifier mes placements, tout en favorisant des entreprises qui ont un impact environnemental », fait valoir ce cadre pas encore trentenaire.
UN COUP DE PROJECTEUR POUR LES PORTEURS DE PROJETS
Côté entreprises, ce mode de financement est aussi un formidable coup de projecteur. Camille Castera peut en témoigner. Quelques jours après avoir lancé sa campagne de crowdfunding, cette viticultrice bio dans l’Aude a vu affluer la presse nationale et locale. « Ce lancement m’a donné une vraie visibilité », constate la vigneronne. Au-delà des 80 000 € récoltés, elle a pu remplir ses carnets de commandes beaucoup plus vite qu’elle ne l’espérait. Ces prêts sont toujours accompagnés d’un financement bancaire. « C’est un financement alternatif, mais cela reste un complément à un prêt classique. C’est sécurisant pour l’entrepreneur, et le prêteur qui voit qu’une banque est prête à suivre le projet », explique Lionel Lasry, cofondateur, d’AgriLend, autre plate-forme de financement de projets agricoles.
Toutefois, ces financements ne sont pas réservés aux petits projets. La ferme urbaine qui s’apprête à voir le jour sur les toits du Parc des expositions Porte de Versailles, la plus grande d’Europe, a collecté en janvier 150 000 € – pour un peu moins de 1 M € de budget global. Certains projets d’envergure sont d’ailleurs désormais cofinancés par des grands groupes industriels comme Carrefour ou Danone. « Du point de vue de l’épargnant, ce coïnvestissement peut être vu comme une preuve de la solidité du projet car les investisseurs, quelle que soit leur taille, sont exposés de la même façon au risque », indique Patrick Setzekorn, multi-investisseur en crowdfunding et auteur du blog sur le sujet, Argent & Salaire.
À DESTINATION DES CLIENTS PATRIMONIAUX
Preuve de l’appétit des grands groupes pour ce secteur tout juste naissant : la Banque postale, qui a racheté en 2017 la plate-forme historique KissKissBankBank et sa filiale Lendopolis, propose des projets de crowdfunding dans sa gamme de produits d’épargne à destination des clients patrimoniaux. De son côté, la plate-forme Lumo, spécialiste des énergies renouvelables, a été rachetée par Société générale en 2018. L’intérêt de l’investissement dans ce type d’énergies ? « Dans ce domaine, le rendement est lié à la vente d’énergie. Or c’est un sujet sur lequel il y a très peu d’inconnues. Le tarif d’achat d’électricité est connu à l’avance », rappelle Laure Verhaeghe, cofondatrice de Lendosphère, leader du financement des projets d’énergie renouvelable. Par ailleurs, les porteurs de projets ont les épaules solides. Ce sont des filiales de fournisseurs d’énergie (Suez, EDF…) ou de grosses PME implantées localement. Mais cette sécurité a une contrepartie. Ces projets sont bien souvent – mais pas toujours – réservés aux voisins immédiats de ces installations ou aux habitants des départements limitrophes, du fait d’engagements pris avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE). L’enjeu ? Que les riverains bénéficient des retombées économiques des projets. Et que les gains promis éteignent les contestations. « Les gros fournisseurs d’énergie n’ont pas d’enjeu de financement quand ils font un appel à l’épargne. Ce sont davantage des enjeux liés à l’acceptabilité de ces équipements par les riverains », explique Léo Lemordant, président d’Enerfip, une autre plate-forme spécialisée dans les énergies renouvelables. Christian Albinet, un ancien salarié d’Enedis, investit régulièrement à côté de chez lui, un petit village de l’Aveyron. « Beaucoup d’éoliennes sortent de terre dans les environs. Chaque projet remboursé me permet d’en financer un nouveau », raconte ce retraité. Les investisseurs doivent avoir en tête qu’il existe un risque de perte en capital. Même si les défauts de paiement sont rares, ils ne sont pas absents. Des entreprises peuvent avoir des difficultés à honorer leurs échéances, voire faire faillite. En proie à de grosses difficultés, la société Heslyom, une ancienne pépite du solaire, a été placée en liquidation judiciaire. L’entreprise comptait pourtant une filiale du Crédit agricole à son capital. Ce défaut met en péril les économies de centaines d’épargnants. « C’est à ce jour la seule vraie défaillance du secteur mais l’essor de la finance participative “verte” est assez récent », indique Patrick Setzekorn. Le financement de PME est par essence risqué, en matière agricole un peu plus que dans le secteur des énergies renouvelables. Les plates-formes mettent en avant une sélection rigoureuse et un taux de défaut proche de zéro, mais nul n’est à l’abri du risque. Environ 5 % des projets agricoles accusent des retards de paiement au-delà de soixante jours. « Chaque secteur d’activité présente des risques qui doivent être analysés précisément », rappelle Julien Paillé, du département gestion d’actifs à l’Autorité des marchés financiers. ■