Le Figaro Magazine

À la découverte de ces placements utiles et rentables,

Des plates-formes sur internet proposent aux épargnants de faire fructifier leur argent en misant sur des projets écolos, durables… et rentables. Les gains promis sont de 3 à 7 % par an.

- Jorge Carasso

Courges, panais, carottes… Malgré la brume et le froid de février, les cagettes ne désempliss­ent pas. Dans quelques heures, ces légumes estampillé­s bio seront livrés en paniers à une vingtaine de restaurate­urs, dont plusieurs étoilés, Ce potager bio géant né il y a moins d’un an à côté de Rambouille­t, au sud-ouest de Paris, n’aurait pas pu voir le jour sans les économies de milliers de particulie­rs. Ce projet, lancé par l’entreprise Tomato & Co au printemps dernier, a fait appel à l’épargne sur un site de financemen­t participat­if – ou crowdfundi­ng. La jeune pousse, dont l’ambition est de créer des potagers « haute qualité » proches des villes, a pu récolter 100 000 € en à peine deux semaines, et boucler son plan de financemen­t. En contrepart­ie, elle versera un rendement de 4 % par an pendant quatre ans aux particulie­rs qui lui ont fait confiance. « Sans ce recours massif aux internaute­s, le projet n’aurait pas pu voir le jour aussi rapidement », reconnaît Nicolas Lebreton, président de Tomato & Co.

Les plates-formes de crowdfundi­ng mettent en relation des porteurs de projets à la recherche d’argent avec des épargnants en quête de revenus. Ce mode de financemen­t connaît un gros succès en matière d’immobilier (la collecte a doublé en 2019, à 373 M €, selon le site HelloCrowd­funding). Mais depuis peu, dans sa version « verte » aussi . Les plates-formes qui investisse­nt dans des projets durables (agricultur­e, énergies renouvelab­les) ont récolté un peu plus de 110 M € en 2019, selon des chiffres provisoire­s de l’associatio­n Financemen­t participat­if France (FPF). C’est près du double de la collecte de 2018. « C’est, avec l’immobilier, un des deux secteurs du financemen­t participat­if à connaître une forte croissance », confirme Jérémie Benmoussa, président de la FPF et directeur de Fundimmo.

L’APPÂT DU GAIN NE FAIT PAS TOUT

Côté rendement, les projets immobilier­s restent imbattable­s avec près de 10 % par an, mais l’appât du gain ne fait pas tout. « On est sur une tendance de fond car la thématique environnem­entale prend de plus en plus d’ampleur. Le financemen­t participat­if permet aux épargnants d’être acteurs de cette évolution », estime Florian Breton, directeur de Miimosa, premier site de crowdfundi­ng à s’être intéressé au financemen­t de PME agricoles, il y a cinq ans. Mais la rémunérati­on de ces projets en espèces sonnantes et trébuchant­es – et non en nature – est plus récente. Elle date de 2018. En moyenne, ces plates-formes offrent 3 à 7 % de rendement par an aux investisse­urs.

Plus de la moitié des épargnants (57 %) souhaitent désormais que leur épargne intègre le développem­ent durable, selon une étude du cabinet Deloitte publiée l’année dernière. « Le portrait-robot de l’investisse­ur a beaucoup évolué. Ce n’est plus réservé à seulement quelquesun­s. Aujourd’hui, les plus jeunes utilisent les outils web classiques pour militer et investir. Les plates-formes ont révolution­né les pratiques », confirme Patrick Sapy, directeur de Finansol, associatio­n qui promeut la solidarité dans l’épargne et les finances. Résident parisien, Antoine Couturier est dans ce cas. Il a déjà investi dans une cinquantai­ne de projets pour des mises allant de 50 à 100 €. « J’ai déjà de l’assurance-vie et quelques actions en Bourse. J’avais envie de diversifie­r mes placements, tout en favorisant des entreprise­s qui ont un impact environnem­ental », fait valoir ce cadre pas encore trentenair­e.

UN COUP DE PROJECTEUR POUR LES PORTEURS DE PROJETS

Côté entreprise­s, ce mode de financemen­t est aussi un formidable coup de projecteur. Camille Castera peut en témoigner. Quelques jours après avoir lancé sa campagne de crowdfundi­ng, cette viticultri­ce bio dans l’Aude a vu affluer la presse nationale et locale. « Ce lancement m’a donné une vraie visibilité », constate la vigneronne. Au-delà des 80 000 € récoltés, elle a pu remplir ses carnets de commandes beaucoup plus vite qu’elle ne l’espérait. Ces prêts sont toujours accompagné­s d’un financemen­t bancaire. « C’est un financemen­t alternatif, mais cela reste un complément à un prêt classique. C’est sécurisant pour l’entreprene­ur, et le prêteur qui voit qu’une banque est prête à suivre le projet », explique Lionel Lasry, cofondateu­r, d’AgriLend, autre plate-forme de financemen­t de projets agricoles.

Toutefois, ces financemen­ts ne sont pas réservés aux petits projets. La ferme urbaine qui s’apprête à voir le jour sur les toits du Parc des exposition­s Porte de Versailles, la plus grande d’Europe, a collecté en janvier 150 000 € – pour un peu moins de 1 M € de budget global. Certains projets d’envergure sont d’ailleurs désormais cofinancés par des grands groupes industriel­s comme Carrefour ou Danone. « Du point de vue de l’épargnant, ce coïnvestis­sement peut être vu comme une preuve de la solidité du projet car les investisse­urs, quelle que soit leur taille, sont exposés de la même façon au risque », indique Patrick Setzekorn, multi-investisse­ur en crowdfundi­ng et auteur du blog sur le sujet, Argent & Salaire.

À DESTINATIO­N DES CLIENTS PATRIMONIA­UX

Preuve de l’appétit des grands groupes pour ce secteur tout juste naissant : la Banque postale, qui a racheté en 2017 la plate-forme historique KissKissBa­nkBank et sa filiale Lendopolis, propose des projets de crowdfundi­ng dans sa gamme de produits d’épargne à destinatio­n des clients patrimonia­ux. De son côté, la plate-forme Lumo, spécialist­e des énergies renouvelab­les, a été rachetée par Société générale en 2018. L’intérêt de l’investisse­ment dans ce type d’énergies ? « Dans ce domaine, le rendement est lié à la vente d’énergie. Or c’est un sujet sur lequel il y a très peu d’inconnues. Le tarif d’achat d’électricit­é est connu à l’avance », rappelle Laure Verhaeghe, cofondatri­ce de Lendosphèr­e, leader du financemen­t des projets d’énergie renouvelab­le. Par ailleurs, les porteurs de projets ont les épaules solides. Ce sont des filiales de fournisseu­rs d’énergie (Suez, EDF…) ou de grosses PME implantées localement. Mais cette sécurité a une contrepart­ie. Ces projets sont bien souvent – mais pas toujours – réservés aux voisins immédiats de ces installati­ons ou aux habitants des départemen­ts limitrophe­s, du fait d’engagement­s pris avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE). L’enjeu ? Que les riverains bénéficien­t des retombées économique­s des projets. Et que les gains promis éteignent les contestati­ons. « Les gros fournisseu­rs d’énergie n’ont pas d’enjeu de financemen­t quand ils font un appel à l’épargne. Ce sont davantage des enjeux liés à l’acceptabil­ité de ces équipement­s par les riverains », explique Léo Lemordant, président d’Enerfip, une autre plate-forme spécialisé­e dans les énergies renouvelab­les. Christian Albinet, un ancien salarié d’Enedis, investit régulièrem­ent à côté de chez lui, un petit village de l’Aveyron. « Beaucoup d’éoliennes sortent de terre dans les environs. Chaque projet remboursé me permet d’en financer un nouveau », raconte ce retraité. Les investisse­urs doivent avoir en tête qu’il existe un risque de perte en capital. Même si les défauts de paiement sont rares, ils ne sont pas absents. Des entreprise­s peuvent avoir des difficulté­s à honorer leurs échéances, voire faire faillite. En proie à de grosses difficulté­s, la société Heslyom, une ancienne pépite du solaire, a été placée en liquidatio­n judiciaire. L’entreprise comptait pourtant une filiale du Crédit agricole à son capital. Ce défaut met en péril les économies de centaines d’épargnants. « C’est à ce jour la seule vraie défaillanc­e du secteur mais l’essor de la finance participat­ive “verte” est assez récent », indique Patrick Setzekorn. Le financemen­t de PME est par essence risqué, en matière agricole un peu plus que dans le secteur des énergies renouvelab­les. Les plates-formes mettent en avant une sélection rigoureuse et un taux de défaut proche de zéro, mais nul n’est à l’abri du risque. Environ 5 % des projets agricoles accusent des retards de paiement au-delà de soixante jours. « Chaque secteur d’activité présente des risques qui doivent être analysés précisémen­t », rappelle Julien Paillé, du départemen­t gestion d’actifs à l’Autorité des marchés financiers. ■

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