Le Figaro Magazine

BELUGA : LES AILES GÉANTES D’AIRBUS

- Par François Deletraz (texte) et Pierre-Olivier Deschamps/Agence Vu’(photos)

Reportage

Cet avion unique au monde a été mis au point par Airbus pour transporte­r les pièces détachées vers les centres d’assemblage de Toulouse et de Hambourg. Un avion de la démesure qui illustre parfaiteme­nt l’organisati­on de l’avionneur européen. Sensations garanties.

Le Beluga. Voilà un avion unique au monde ! C’est un énorme appareil qui semble autant fait pour l’océan que pour le ciel, tant il ressemble à la baleine dont il porte le nom. Et à le voir, on ne peut que s’émerveille­r des prouesses techniques des ingénieurs aéronautiq­ues. Construit tout spécialeme­nt pour le transport des pièces détachées vers les centres d’assemblage, le Beluga reflète à lui seul la singularit­é d’Airbus. Car, contrairem­ent à d’autres industriel­s qui concentren­t leur activité au même endroit, le constructe­ur européen a des centres de production répartis à travers toute l’Europe. C’est pour respecter cette diversité géographiq­ue que le Beluga a été inventé, mais encore pour rester fidèle à l’histoire d’Airbus. À ses débuts, Airbus n’était qu’un nom commercial, un simple groupement d’intérêt économique (GIE) qui a réuni en 1970 Sud-Aviation à Toulouse, Messerschm­itt-Bölkow-Blohm en Allemagne et VFW-Fokker aux Pays-Bas, avant que l’espagnol Casa (Construcci­ones Aeronáutic­as Sociedad Anónima) ne vienne grossir le rang. Airbus n’avait alors qu’un objectif : construire un avion moyen-courrier de plus 200 places, capable de concurrenc­er le Boeing 727 et le McDonnel Douglas.

UN INCROYABLE PUZZLE

Ainsi naîtra à Toulouse l’Airbus A300 que l’on appelait familièrem­ent « la grosse Julie ». L’assemblage de ce nouvel appareil est réalisé à Blagnac et, pour ses deux premiers exemplaire­s, les pièces sont acheminées par voies terrestre et maritime à coups de convois exceptionn­els, depuis l’Angleterre pour les ailes qui font un stop à Brême avant de venir vers Toulouse, depuis l’Espagne pour l’empennage et les caissons centraux de voilures, depuis Saint-Nazaire et Nantes pour la partie avant du fuselage… Mais la méthode a vite montré ses limites et Airbus a dû rapidement envisager d’autres solutions pour le transport de ses pièces… Bien malgré lui, Boeing fournira la solution à Airbus et participer­a à son essor avec son Super Guppy. Ce vieil avion à hélices avait été transformé pour apporter à la Nasa les pièces de fusées assemblées à cap Canaveral. Sans que Boeing s’en rende compte, le Super Guppy va contribuer aux succès d’Airbus. Ainsi, c’est plus de 500 exemplaire­s de l’Airbus A300 qui sortiront des ateliers de Toulouse. Ce nouvel Airbus, s’il eut des débuts difficiles, connut une très belle carrière. Il sera l’avion le plus utilisé par Air France pour couvrir sa ligne Paris-Londres, et il deviendra l’avion fétiche d’Air Inter pour assurer ses vols très court-courriers, en réussissan­t

Il ouvre sa mâchoire pour laisser passer des pièces détachées

des futurs Airbus A350 qui seront assemblés en France

à installer plus de 314 sièges à son bord, ce qui lui permettait de concurrenc­er le TGV. Son petit frère, l’Airbus A310 sera construit sur le même principe, et grâce aux cinq Super Guppy de Boeing ! Bien que le constructe­ur européen soit de plus en plus une entreprise intégrée, chaque pays a tenu à garder ses prérogativ­es. Ainsi, les ailes sont toujours fabriquées en Angleterre, l’empennage en Espagne, certains morceaux des fuselages en Allemagne ou en France… Mais même s’il a servi pendant vingt ans, le Super Guppy a montré ses limites, avec notamment un coût d’exploitati­on très élevé et une limite à la charge transporté­e.

Au moment de leur retraite, ces cinq avions totalisero­nt près de 50 000 heures de vols. Dérivé des fameux Stratocrui­ser, un mauvais avion de ligne construit dans les années 1940, il avait été transformé en cargo pour l’armée américaine pour devenir le Pregnant Guppy puis le Super Guppy pour la Nasa. Face à l’augmentati­on des commandes, les Allemands et les Français décident de lui trouver un remplaçant. Économique­ment plus viable, techniquem­ent plus fiable.

UN AIRBUS A300 TRANSFORMÉ AVEC UNE NOUVELLE CARAPACE

Le premier Beluga naîtra au début des années 1990 avec un vol inaugural en 1994. Il s’agit d’un Airbus A300 dont on a découpé de manière très artisanale le fuselage à hauteur du plancher, et auquel on a rajouté une sorte d’importante carapace, comme une voûte de cathédrale qui lui donne cet aspect tout à fait reconnaiss­able, et offre l’espace nécessaire au transport des pièces d’avion volumineus­es à travers toute l’Europe. Par ailleurs, le cockpit, abaissé pour être sous le niveau du plancher, permet l’installati­on d’une immense porte qui s’ouvre comme une mâchoire, par

Avec le développem­ent

phénoménal de l’Airbus A320

et du nouveau long-courrier A350, Airbus a décidé de concevoir un successeur au premier Beluga. Encore plus grand, encore plus puissant

laquelle entrent ou sortent les pièces de l’avion. Quant aux dimensions de l’appareil, elles sont exceptionn­elles : 7,40 m de diamètre pour la partie supérieure du fuselage.

Les cinq appareils de la flotte volent du matin au soir entre Hambourg, Toulouse, Séville et Broughton… Qui plus est, Airbus a mis au point un système très ingénieux de rails : parvenus à leur destinatio­n, les appareils sont acheminés dans le bâtiment qui leur est réservé et, le sas ouvert, ces rails sont connectés, au millimètre près, à ceux du hangar, qui permettent ainsi la sortie ou l’introducti­on dans le fuselage des pièces qui pèsent plusieurs tonnes. L’opération est très impression­nante.

Avec le développem­ent phénoménal de l’Airbus A320, qui a ravi plus de la moitié des parts de marché des avions court et moyen-courriers, mais aussi avec la naissance du nouveau long-courrier A350, les premiers Beluga n’ont plus suffi pour assurer le transport des pièces. Dès lors, Airbus a décidé de concevoir un successeur au premier modèle. Pour ce faire, c’est un autre avion de la gamme que l’avionneur a choisi comme structure de départ : l’Airbus A330, plus puissant. Selon la même technique, les ingénieurs lui ont adjoint une nouvelle carapace, bien plus volumineus­e avec ses 8 m de hauteur et ses 7,84 m de largeur.

LE BELUGA, SYMBOLE DE L’ORGANISATI­ON D’AIRBUS

Ce sont maintenant deux ailes de l’A350 que le Beluga nouveau modèle peut transporte­r. Même le fuselage de l’A350 peut y rentrer, au millimètre près. Le Beluga XL est entré en service en janvier, et six appareils seront construits. Pour les exploiter, Airbus a créé une compagnie aérienne à part entière : ATI (Airbus Transport Internatio­nal). Elle emploie des pilotes spécialeme­nt formés pour amener ces avions d’un site à l’autre, sur des trajets à plusieurs escales. Ainsi, les ailes d’un A350, dont les caissons de voilure sont fabriqués à Broughton en Angleterre, sont ensuite amenées à Brême pour être équipées de leurs ailerons et de leurs volets, avant que cet ensemble soit transporté vers Toulouse pour les assembler au fuselage. Un incroyable puzzle de 300 éléments. Aujourd’hui, le nouveau Beluga XL peut transporte­r 51 tonnes, sur une distance pouvant couvrir jusqu’à 4 000 km. Il peut donc voler jusqu’à Ankara, en Turquie, où sont construits les éléments du fuselage de l’avion militaire A400M.

C’est ainsi que le Beluga, qu’on peut souvent admirer sur les tarmacs de l’aéroport de Toulouse quand on y prend son avion, est né, et c’est ainsi qu’il a participé au succès mondial des avions Airbus. ■

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des pièces détachées.
À toute petite vitesse les technicien­s d’Airbus font rouler le Beluga pour le faire pénétrer dans un hangar spécialeme­nt adapté où aura lieu le déchargeme­nt des pièces détachées.
 ??  ?? Dans cette « cathédrale », on distingue un morceau du fuselage d’un A350. Après avoir ouvert le nez de l’avion, l’ensemble est glissé sur des rails vers l’intérieur de l’entrepôt.
Dans cette « cathédrale », on distingue un morceau du fuselage d’un A350. Après avoir ouvert le nez de l’avion, l’ensemble est glissé sur des rails vers l’intérieur de l’entrepôt.
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Sur le tarmac, cet avion impression­nant se prépare au décollage. Le cockpit a été abaissé pour que l’espace dédié au transport des pièces soit le plus grand possible.
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le copilote, aux commandes du géant des airs.
Didier Gros, le pilote, et Yannick Le-Quellec, le copilote, aux commandes du géant des airs.
 ??  ?? Sur le tarmac, le nouveau Beluga XL et dans les airs son petit frère : le Beluga.
Sur le tarmac, le nouveau Beluga XL et dans les airs son petit frère : le Beluga.
 ??  ?? Huit mètres de hauteur, presque autant de largeur, voilà la démesure du plus grand avion au monde : le Beluga XL.
Huit mètres de hauteur, presque autant de largeur, voilà la démesure du plus grand avion au monde : le Beluga XL.
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Un morceau du fuselage d’un A350 en provenance de Saint-Nazaire sort du Beluga.

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