BELUGA : LES AILES GÉANTES D’AIRBUS
Reportage
Cet avion unique au monde a été mis au point par Airbus pour transporter les pièces détachées vers les centres d’assemblage de Toulouse et de Hambourg. Un avion de la démesure qui illustre parfaitement l’organisation de l’avionneur européen. Sensations garanties.
Le Beluga. Voilà un avion unique au monde ! C’est un énorme appareil qui semble autant fait pour l’océan que pour le ciel, tant il ressemble à la baleine dont il porte le nom. Et à le voir, on ne peut que s’émerveiller des prouesses techniques des ingénieurs aéronautiques. Construit tout spécialement pour le transport des pièces détachées vers les centres d’assemblage, le Beluga reflète à lui seul la singularité d’Airbus. Car, contrairement à d’autres industriels qui concentrent leur activité au même endroit, le constructeur européen a des centres de production répartis à travers toute l’Europe. C’est pour respecter cette diversité géographique que le Beluga a été inventé, mais encore pour rester fidèle à l’histoire d’Airbus. À ses débuts, Airbus n’était qu’un nom commercial, un simple groupement d’intérêt économique (GIE) qui a réuni en 1970 Sud-Aviation à Toulouse, Messerschmitt-Bölkow-Blohm en Allemagne et VFW-Fokker aux Pays-Bas, avant que l’espagnol Casa (Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima) ne vienne grossir le rang. Airbus n’avait alors qu’un objectif : construire un avion moyen-courrier de plus 200 places, capable de concurrencer le Boeing 727 et le McDonnel Douglas.
UN INCROYABLE PUZZLE
Ainsi naîtra à Toulouse l’Airbus A300 que l’on appelait familièrement « la grosse Julie ». L’assemblage de ce nouvel appareil est réalisé à Blagnac et, pour ses deux premiers exemplaires, les pièces sont acheminées par voies terrestre et maritime à coups de convois exceptionnels, depuis l’Angleterre pour les ailes qui font un stop à Brême avant de venir vers Toulouse, depuis l’Espagne pour l’empennage et les caissons centraux de voilures, depuis Saint-Nazaire et Nantes pour la partie avant du fuselage… Mais la méthode a vite montré ses limites et Airbus a dû rapidement envisager d’autres solutions pour le transport de ses pièces… Bien malgré lui, Boeing fournira la solution à Airbus et participera à son essor avec son Super Guppy. Ce vieil avion à hélices avait été transformé pour apporter à la Nasa les pièces de fusées assemblées à cap Canaveral. Sans que Boeing s’en rende compte, le Super Guppy va contribuer aux succès d’Airbus. Ainsi, c’est plus de 500 exemplaires de l’Airbus A300 qui sortiront des ateliers de Toulouse. Ce nouvel Airbus, s’il eut des débuts difficiles, connut une très belle carrière. Il sera l’avion le plus utilisé par Air France pour couvrir sa ligne Paris-Londres, et il deviendra l’avion fétiche d’Air Inter pour assurer ses vols très court-courriers, en réussissant
Il ouvre sa mâchoire pour laisser passer des pièces détachées
des futurs Airbus A350 qui seront assemblés en France
à installer plus de 314 sièges à son bord, ce qui lui permettait de concurrencer le TGV. Son petit frère, l’Airbus A310 sera construit sur le même principe, et grâce aux cinq Super Guppy de Boeing ! Bien que le constructeur européen soit de plus en plus une entreprise intégrée, chaque pays a tenu à garder ses prérogatives. Ainsi, les ailes sont toujours fabriquées en Angleterre, l’empennage en Espagne, certains morceaux des fuselages en Allemagne ou en France… Mais même s’il a servi pendant vingt ans, le Super Guppy a montré ses limites, avec notamment un coût d’exploitation très élevé et une limite à la charge transportée.
Au moment de leur retraite, ces cinq avions totaliseront près de 50 000 heures de vols. Dérivé des fameux Stratocruiser, un mauvais avion de ligne construit dans les années 1940, il avait été transformé en cargo pour l’armée américaine pour devenir le Pregnant Guppy puis le Super Guppy pour la Nasa. Face à l’augmentation des commandes, les Allemands et les Français décident de lui trouver un remplaçant. Économiquement plus viable, techniquement plus fiable.
UN AIRBUS A300 TRANSFORMÉ AVEC UNE NOUVELLE CARAPACE
Le premier Beluga naîtra au début des années 1990 avec un vol inaugural en 1994. Il s’agit d’un Airbus A300 dont on a découpé de manière très artisanale le fuselage à hauteur du plancher, et auquel on a rajouté une sorte d’importante carapace, comme une voûte de cathédrale qui lui donne cet aspect tout à fait reconnaissable, et offre l’espace nécessaire au transport des pièces d’avion volumineuses à travers toute l’Europe. Par ailleurs, le cockpit, abaissé pour être sous le niveau du plancher, permet l’installation d’une immense porte qui s’ouvre comme une mâchoire, par
Avec le développement
phénoménal de l’Airbus A320
et du nouveau long-courrier A350, Airbus a décidé de concevoir un successeur au premier Beluga. Encore plus grand, encore plus puissant
laquelle entrent ou sortent les pièces de l’avion. Quant aux dimensions de l’appareil, elles sont exceptionnelles : 7,40 m de diamètre pour la partie supérieure du fuselage.
Les cinq appareils de la flotte volent du matin au soir entre Hambourg, Toulouse, Séville et Broughton… Qui plus est, Airbus a mis au point un système très ingénieux de rails : parvenus à leur destination, les appareils sont acheminés dans le bâtiment qui leur est réservé et, le sas ouvert, ces rails sont connectés, au millimètre près, à ceux du hangar, qui permettent ainsi la sortie ou l’introduction dans le fuselage des pièces qui pèsent plusieurs tonnes. L’opération est très impressionnante.
Avec le développement phénoménal de l’Airbus A320, qui a ravi plus de la moitié des parts de marché des avions court et moyen-courriers, mais aussi avec la naissance du nouveau long-courrier A350, les premiers Beluga n’ont plus suffi pour assurer le transport des pièces. Dès lors, Airbus a décidé de concevoir un successeur au premier modèle. Pour ce faire, c’est un autre avion de la gamme que l’avionneur a choisi comme structure de départ : l’Airbus A330, plus puissant. Selon la même technique, les ingénieurs lui ont adjoint une nouvelle carapace, bien plus volumineuse avec ses 8 m de hauteur et ses 7,84 m de largeur.
LE BELUGA, SYMBOLE DE L’ORGANISATION D’AIRBUS
Ce sont maintenant deux ailes de l’A350 que le Beluga nouveau modèle peut transporter. Même le fuselage de l’A350 peut y rentrer, au millimètre près. Le Beluga XL est entré en service en janvier, et six appareils seront construits. Pour les exploiter, Airbus a créé une compagnie aérienne à part entière : ATI (Airbus Transport International). Elle emploie des pilotes spécialement formés pour amener ces avions d’un site à l’autre, sur des trajets à plusieurs escales. Ainsi, les ailes d’un A350, dont les caissons de voilure sont fabriqués à Broughton en Angleterre, sont ensuite amenées à Brême pour être équipées de leurs ailerons et de leurs volets, avant que cet ensemble soit transporté vers Toulouse pour les assembler au fuselage. Un incroyable puzzle de 300 éléments. Aujourd’hui, le nouveau Beluga XL peut transporter 51 tonnes, sur une distance pouvant couvrir jusqu’à 4 000 km. Il peut donc voler jusqu’à Ankara, en Turquie, où sont construits les éléments du fuselage de l’avion militaire A400M.
C’est ainsi que le Beluga, qu’on peut souvent admirer sur les tarmacs de l’aéroport de Toulouse quand on y prend son avion, est né, et c’est ainsi qu’il a participé au succès mondial des avions Airbus. ■