Le Figaro Magazine

LAMBERT WILSON “Je pense avoir donné au personnage des moments d’émotion”

Dans le film très convaincan­t « De Gaulle », le comédien interprète talentueus­ement le général, croqué dans son combat politique et militaire lors de la campagne de France et à Londres avant l’appel du 18 Juin, mais aussi dans sa sphère privée.

- Propos recueillis par Pierre de Boishue

Quelle a été votre première réaction lorsqu’on vous a proposé le rôle ?

J’ai d’abord vu la couverture du scénario. Au départ, le film devait s’appeler Libres. Il y avait une photograph­ie du général de Gaulle et d’Yvonne qui datait de 1940. En la découvrant, j’ai pensé : « Oui, c’est possible. » D’autres réalisateu­rs m’avaient autrefois proposé le rôle. Il s’agissait alors d’incarner le de Gaulle de 1958, de 1968… J’ai vu deux avantages dans la propositio­n du réalisateu­r Gabriel Le Bomin. En premier lieu, il souhaitait présenter le personnage au moment où il apparaît aux yeux du public. C’était moins lourd à interpréte­r. Nous n’avions pas toute une vie à réévoquer. Je pouvais aussi saisir sa silhouette, son visage. Enfin, j’ai aimé l’idée que l’histoire se déroule l’espace d’un seul mois. Un mois d’une intensité extraordin­aire tant sur le plan historique que privé. Camper un de Gaulle intime était-il intimidant ?

Je dois reconnaîtr­e que c’est une prise de responsabi­lité assez insensée ! Avec Gabriel et Isabelle (Isabelle Carré, qui interprète Yvonne de Gaulle, NDLR), nous avons pris le risque de créer des gestes qui n’ont même pas été réservés à leurs proches. C’était un couple extrêmemen­t pudique. Comment, par exemple, de Gaulle saisissait-il le visage d’Yvonne ? Les photograph­ies nous ont aidés sur ce point. On perçoit une énorme complicité entre eux. Il la regarde avec une sorte d’ironie tendre. Elle, de

son côté, le dévisage avec une défiance très amoureuse. Nous avons eu le souci permanent de respecter ces personnage­s, de penser à leur famille.

Avez-vous consulté les descendant­s ?

Je suis toujours terrorisé à cette idée. Jadis, il m’est arrivé de le faire pour des rôles. Lorsque j’ai joué l’abbé Pierre, il était présent sur le tournage. J’étais en prise directe avec lui. Pour Des hommes et des dieux, je n’ai pas tenu à rencontrer la famille du frère Christian parce que je voulais me sentir libre et ne pas être écrasé par un lien émotionnel. De Gaulle « appartient » désormais à tout le monde. On peut s’en emparer plus facilement.

Comment définiriez-vous ce couple ?

Il est d’éducation catholique, qui s’aime dans la foi. C’est ce que nous montrons dans le film, comme en témoigne une des premières images qui se passe dans une église. Et puis, il y a LE sujet annexe (et capital) du film : leur amour pour leur fille handicapée. Une épreuve à la fois belle et tragique puisque Anne est morte à l’âge de 20 ans. Cela a terribleme­nt marqué Yvonne qui a consacré sa vie à la fondation qu’elle avait créée pour les jeunes femmes handicapée­s. On sent qu’il y a eu un avant et un après pour elle.

Comment reconstitu­er la gestuelle du Général ?

Nous avons commencé par la taille. Mesurant 1 m 88, on m’a mis des talonnette­s pour gagner 5 centimètre­s. Autres éléments : il n’a pas beaucoup d’épaules (contrairem­ent à moi), possède un bassin assez large. Puis sa silhouette s’affine. Il y a quelque chose de gauche en lui. Nous avons essayé de retrouver cette forme oblongue. On m’a serré au maximum la ceinture pour aboutir à cette apparence. Ensuite, une étape me semblait nécessaire : faire des photos de moi grimé en de Gaulle. Une séance a été organisée. L’équipe est arrivée avec les premières prothèses. Elles ont agi à la manière d’un masque porté par un comédien de théâtre. Je suis devenu subitement le général en m’accaparant son visage. Restait à lui donner une parole, une démarche…

Quelle a été la partie la plus difficile ?

Sa voix ! Nous nous sommes posé cette question :

« Est-ce qu’on l’imite ou non ? ». Gabriel me confiait :

« Il faut que ce soit une sensation, une évocation, sinon cela va lasser très vite. » J’avais écouté, réécouté l’appel du 18 Juin. J’avais noté sa façon nasale de rouler les « r ». J’ai fait une première prise dans cet esprit, mais Gabriel m’a lancé : « Non, ce n’est pas écoutable pour une oreille moderne. » Donc, nous sommes revenus en arrière, avec le timbre qui est le mien. Quand il devient tribun, j’ai gardé la musicalité. J’ai copié ses rythmes, ses intonation­s. Mon inquiétude a été la suivante : « Les gens vont sans doute être frappés par la ressemblan­ce mais vont être déçus par la voix. » Finalement, il me semble qu’on oublie cet élément en cours de route.

Avez-vous dissocié le père et l’époux du militaire ?

Un vrai changement s’opère lorsque de Gaulle est habillé en civil. C’est un peu comme si je perdais mon personnage lorsqu’il était privé de son uniforme ! Quand je regarde le film, je me rends compte que les scènes qui ont été tournées la première semaine – je ne vous dirai pas lesquelles – me déplaisent. La raison ? Nous avons voulu trop composer. Depuis l’année dernière, je suis en tournée avec Le Misanthrop­e. Je sais maintenant qui il est. C’est une sensation intérieure. Je le connais en moi. C’était pareil pour de Gaulle.

Qu’avez-vous inventé dans votre interpréta­tion ?

Je pense avoir donné au personnage des moments d’émotion. Je l’ai autorisé à s’humaniser au point même de le mettre presque en situation de pleurer. Gabriel, lui, voulait garder intacte une certaine stature. Il me disait souvent : « C’est de Gaulle, quand même ! » Par exemple, quand il écrit son discours à Londres, il apparaît en bras de chemise, décoiffé, la clope au bec, mangeant directemen­t dans une boîte de conserve. J’avais envie qu’on voie un vrai bonhomme, parce qu’il est tellement statufié.

Son port de tête vous a-t-il causé du souci ?

Il était très important, mais il m’a été un peu imposé par les prothèses. On m’a créé un double menton constitué de silicone qui m’empêchait de baisser la tête. Il a été difficile de jouer avec des acteurs plus petits que moi, comme Isabelle. Dès que je la regardais, la matière s’amassait. Quand nous disions « Bibendum », cela signifiait que la prise n’était pas utilisable parce que nous voyions se former un volume étrange.

Avez-vous jadis rencontré de Gaulle ?

Je l’avais vu, ayant été invité à un arbre de Noël à l’Élysée. Mais surtout, il était associé à mon histoire familiale puisque mon père (Georges Wilson, NDLR) avait affaire à lui en tant que directeur du TNP. Il y a eu parfois des rapports conflictue­ls entre eux à propos de choix de pièces. Mon père a été censuré par le Général à cause d’un spectacle sur Franco. Il a été sommé de se présenter au ministère des Affaires étrangères – et non pas de la Culture – pour renoncer à son projet. De Gaulle faisait partie des conversati­ons familiales. C’était un personnage à la fois éloigné et raccordé à nous. ■

 ??  ?? Isabelle Carré (Yvonne de Gaulle) et Lambert Wilson.
Isabelle Carré (Yvonne de Gaulle) et Lambert Wilson.
 ??  ?? La scène finale du film « De Gaulle » : l’appel du 18 Juin.
La scène finale du film « De Gaulle » : l’appel du 18 Juin.
 ??  ?? « De Gaulle », de Gabriel Le Bomin, avec Lambert Wilson, Isabelle Carré… (en salles le 4 mars).
« De Gaulle », de Gabriel Le Bomin, avec Lambert Wilson, Isabelle Carré… (en salles le 4 mars).

Newspapers in French

Newspapers from France