Aux confins du sauvage
★★★ eugénie, d’Antoine de Baecque, Stock, 130 p., 18,50 €.
Le 4 septembre 1835, des curieux se pressent autour du pavillon des Petites Loges. La salpêtrière, épicentre de l’expérience asilaire en ces années d’avancées médicales, accueille les protagonistes de la mission expédiée à travers les alpes par l’aliéniste Jean-Pierre Falret : Jules, son fils, l’austère Jean itard, de l’institut des sourds-muets, célèbre pour avoir conduit Victor, l’enfant sauvage de l’aveyron, vers les rivages de la civilisation, et trois jeunes femmes soustraites à leur famille moyennant dédommagement, trois naines, difformes, goitreuses, incapables d’émotions, pense-t-on, comme tous les sujets de cette « race dégénérée », découverte dans le sillage des voyages du naturaliste Horace bénédict de saussure, les Crétins. La mission n’avait pour but que de soumettre ces malheureuses aux recherches de Falret. ses expérimentations douteuses en tuent deux. La survivante s’appelle eugénie. À saint-Véran, son village natal, elle jouissait de la tolérance des siens qui la considéraient comme le versant sombre, mais nécessaire, de la nature. Là-bas, elle était respectée ; à Paris, elle amuse, jusqu’à la farce quand on découvre son « goitre chantant » et qu’on décide de la faire monter sur les planches. Ce portrait, juste et poignant, construit sur des archives inédites, restitue à l’obscure eugénie sa part volée d’humanité. une humanité bien troublante, dans sa profondeur aux confins du sauvage.