LE FOND DE LA PISCINE SUISSE
Le deuxième roman de Georgina Tacou raconte comment une narratrice suicidaire est sauvée par « Mars » de Fritz Zorn.
Une femme confie à son psychiatre qu’elle veut se tuer. Flora parle comme Clamence, le héros de La Chute de Camus : un monologue, intime et ultime, pour se sauver. il est toujours préférable que les héros de roman n’aient plus rien à perdre, ni à cacher. Mais Flora tient tout de même à deux trucs. « Les seules choses qui m’attendrissaient encore étaient les gens en maillot de bain à la piscine et ceux qui dansaient. » son désespoir n’est donc pas si incurable. apercevant Mars, de Zorn, dans la bibliothèque de son médecin, Flora retrouve la force qui lui manquait. Évangile des égarés n’est pas un roman mais une excroissance, une concrescence, une bouture ayant poussé sur le livre du Zürichois le plus cancéreux, malheureux et colérique jamais mort à 32 ans. De même qu’une rose est une rose est une rose, nous n’hésitons pas à affirmer ici qu’un livre est un livre est un livre. La résurrection de la déprimée passera par un hommage inconditionnel à ce chef-d’oeuvre unique de 1976… mais aussi par la fraternisation avec les autres désaxés de sa clinique et la révolte de son fils Vladimir contre twitter. Comme Mon année de repos et de détente, d’Ottessa Moshfegh, le livre de Georgina tacou est l’aventure d’une femme en pleine crise de nerfs qui s’aperçoit, grâce à la littérature, que sa vie est devant elle. C’est surtout la victoire de la solidarité sur la solitude. Présenté de la sorte, on dirait le programme politique d’Olivier Faure ! alors insistons sur un point : après tout, on se ficherait de sa reconstruction si le chemin de Flora n’était si subtilement accouché. Les phrases miraculeuses s’encastrent les unes aux autres comme dans un château de cartes de cristal. Ce cauchemar évaporé ressemble à un oiseau empaillé qui reprendrait vie. Voici un livre de femme qui rend féministe uniquement par la prouesse de son style brisé. Georgina tacou, dont c’est le deuxième roman après La mort n’en saura rien, en 2009, n’a nulle revanche à prendre sur son enfance saccagée, ni de comptes à régler avec sa famille riche : ce livre est une simple machine à transformer la mélancolie en beauté, et les sourires forcés en larmes douces. C’est un pamphlet contre les bourgeois qui font semblant que tout va bien quand, à l’intérieur, tout va mal. Le message de Georgina tacou est universel : au lieu de prétendre sauver le monde, si l’on commençait par sauver notre peau ? On ne le répétera jamais assez : la littérature est une cure bien plus efficace que le Xanax.
Évangile des égarés, de Georgina Tacou, L’Arpenteur/Gallimard, 186 p., 18 €.