eN vue Bernie Sanders
Un Robespierre américain
Depuis qu’il s’est installé en tête de la course à l’investiture démocrate, le sénateur du Vermont a pris la place du favori. Une aubaine pour Donald Trump qui espère affronter et battre facilement ce vieux gauchiste en novembre prochain.
Grâce à lui, John Lennon connaît une résurrection. Près de cinquante ans après son lancement, Power to the People (le pouvoir au peuple), le tube du défunt Beatle signale l’arrivée du candidat Bernie Sanders à chacun de ses meetings électoraux. Pourtant, dès que celui-ci ouvre la bouche, le discours n’a rien du Flower Power cher aux hippies de ces années-là. D’une voix rauque et tonitruante teintée d’un fort accent new-yorkais, le sénateur du Vermont tient un propos radical comme jamais un candidat à la Maison-Blanche n’avait osé.
Bernie Sanders est devenu le favori des primaires démocrates, donc l’adversaire le plus probable de Donald Trump, le 3 novembre prochain. Battu d’un souffle en Iowa par le jeune Pete Buttigieg (38 ans), l’expérimenté sénateur du Vermont (78 ans) a ensuite triomphé dans le New Hampshire et le Nevada, et il talonne l’ancien vice-président Joe Biden dans les sondages en Caroline du Sud qui votera le 29 février. À quelques jours du « super mardi » qui verra, le 3 mars, les électeurs appelés aux urnes dans 14 États fédéraux, dont les mastodontes Californie et Texas, pour désigner un gros tiers des 4 000 délégués à la convention démocrate prévue à Milwaukee en juillet prochain, les sondeurs font de Bernie Sanders le vainqueur potentiel.
En 2016, lorsqu’il s’était lancé dans la bataille contre Hillary Clinton, l’homme faisait figure de marginal. Parlementaire à Washington depuis près de trente ans, représentant puis sénateur du Vermont, il avait affiché l’étiquette d’indépendant apparenté au groupe démocrate. Ses diatribes anticapitalistes et ses convictions socialistes – qui l’ont conduit à vanter les sandinistes du Nicaragua, à faire l’éloge du castrisme et même à passer sa lune de miel en URSS – l’avaient rendu infréquentable pour beaucoup d’élus. Pourtant, en 2016, fait rarissime lors d’élections primaires, il a tenu la dragée haute à Hillary Clinton. Cette dernière n’obtint la majorité de délégués qu’en juin, une semaine avant l’ultime étape : le district de Columbia.
Quatre ans plus tard, Bernie Sanders a donc lancé sa campagne sur un socle solide. Fort de son score de 2016 – 1 865 délégués sur les 4 763 à la convention de Philadelphie –, le sénateur du Vermont est reparti à l’assaut de la Maison-Blanche en mobilisant ses réseaux de partisans, notamment des jeunes électeurs déjà conquis. En outre, la célébrité acquise lors du combat singulier contre Hillary Clinton lui a valu la notoriété nécessaire pour remplir très tôt ses caisses de campagne. En 2016, au moins au début, Bernie Sanders manquait de moyens face à la machine Clinton ; cette année, son trésor de guerre, supérieur à 130 millions de dollars avant même le coup d’envoi des primaires, lui offre des spots de télévision, la location d’un jet privé et une organisation efficace dans chaque État.
“UNE COALITION QUI VA BALAYER TOUT LE PAYS ”
Les analyses des premiers scrutins montrent que le candidat Sanders séduit toutes les tranches d’âge, hormis les plus de 65 ans. Lors des caucus du Nevada, il a même sérieusement mordu sur l’électorat modéré qu’on attendait plus massivement derrière Joe Biden ou Pete Buttigieg. Et il a dominé tous ses adversaires dans le vote des Latinos. Lors d’un meeting à San Antonio, Bernie Sanders a souligné ce succès : « Au Nevada, nous avons rassemblé une coalition multigénérationnelle et multiraciale qui (…) va balayer tout le pays. »
Ses rivaux ont beau rappeler que Sanders le socialiste est beaucoup trop à gauche pour gagner en novembre, rien n’y fait. Comme si la radicalité et la brutalité que Donald Trump a installées au pouvoir incitaient les électeurs démocrates à se jeter dans les bras d’un vieux gauchiste au verbe haut et aux idées révolutionnaires. À la Maison-Blanche, le Président se frotte les mains. De tous les prétendants démocrates, les stratèges républicains pensent que Bernie Sanders sera le plus facile à battre.