LeCture / poLémique Requiem pour l’universalisme
Dans un essai percutant, la philosophe Chantal Delsol examine les critiques adressées à l’Occident par d’autres cultures qui contestent ce qu’elles considèrent comme un « impérialisme » des droits de l’homme.
L’universalisme est à la peine en Occident. Dans nos facultés, il est conspué par une gauche identitaire qui y voit le parangon d’une culture blanche oppressive à déconstruire. Mais c’est sans doute à l’extérieur qu’il trouve sa critique la plus virulente : venues d’Asie, d’Europe de l’Est ou de russie, des voix contestent la prétention occidentale à imposer une vision des droits de l’homme illimitée. C’est ce « crépuscule de l’universel » qu’analyse avec finesse la philosophe Chantal Delsol dans son dernier livre *, nous invitant à un véritable décentrement de nos convictions que nous estimons larges, mais qui sont en réalité très étriquées. Nous croyions la démocratie libérale le meilleur des régimes, le culte des droits de l’homme la religion des temps nouveaux et l’individu délié d’appartenances l’horizon indépassable de l’espèce humaine : mais à pékin, à prague, à Moscou on ne pense pas ainsi. Et la philosophe de citer
Xi Jinping, le président chinois (« Il faut avoir conscience qu’un individu n’est rien : seules les masses avancent »), le singapourien Lee Kuan Yew, théoricien de l’illibéralisme, ou, plus familier, le dissident russe Alexandre soljenitsyne, qui dénonçait dans son discours de Harvard la « supériorité illusoire » de l’Occident.
Le rêve d’une « fin de l’histoire », d’une mondialisation heureuse réconciliant les peuples sous la bannière du marché et du droit est bel est bien enterré. selon Chantal Delsol, nous ne sommes pas non plus dans le paradigme d’un « choc des civilisations », mais plutôt dans un affrontement entre l’individualisme occidental, libéral et mondialiste face à des cultures holistes et enracinées. En réalité, veut croire Chantal Delsol, c’est moins le rejet de l’Occident que professent ces autres cultures qu’une critique de l’emballement de l’universalisme occidental, passé de l’humanisme à l’humanitarisme. On assiste à une sorte de « surchauffe de la vertu », qui veut une émancipation absolue sans limite, tout de suite, partout. Et qui conspue et ostracise qui ne va pas à son rythme : les militants de la Manif pour tous, la pologne qui n’adopte pas les mêmes règles que nous en matière d’avortement, la russie de poutine, etc. Cette religion morale s’étend désormais sans frein : « Au relativisme moral des années 1960, succède à peu d’intervalle une rigide obligation de vertu : les anciens soixante-huitards sont des apôtres de l’Ordre moral ». Cette idéologie du progrès provoque en réaction une idéologisation de la tradition. Contre l’abstraction progressiste, Chantal Delsol rappelle que nos valeurs fondées sur la dignité de la personne humaine proviennent elles aussi d’une culture fondée sur le double héritage grec et judéo-chrétien. Elle appelle au retour d’une forme de modestie et de prudence : le progrès n’est pas une convergence inéluctable mais un tâtonnement, une discussion permanente qui n’évacue pas la dimension tragique de l’Histoire.
Le Crépuscule de l’universel, de Chantal Delsol, Éditions du Cerf, 377 p., 22 €.