Le Figaro Magazine

muNiCipaLe­s 2020 : matCh à trois à bordeaux Politique

Nicolas Florian, le juppéiste, Pierre Hurmic, l’écologiste, et Thomas Cazenave, le macroniste, veulent succéder à Alain Juppé à Bordeaux. Un combat ouvert où l’alliance de second tour sera décisive.

- Par Carl Meeus

Dans un conflit où trois partenaire­s s’affrontent, il faut essayer de se coaliser à l’un des deux. » cette stratégie de Metternich, reprise au xxe siècle par Kissinger, ne saurait mieux s’appliquer à la situation électorale de bordeaux. Pour la première fois depuis 1947, les électeurs seront convoqués à un second tour dans une élection municipale. Jusqu’ici, Jacques chaban-delmas puis alain Juppé ont toujours été élus dès le premier tour. Le 22 mars prochain, les bordelais devront retourner aux urnes pour élire leur futur maire.

AlAin Juppé rompt le silence

trois candidats se détachent dans les intentions de vote mesurées par les sondages : Nicolas Florian, maire sortant qui a succédé à alain Juppé à son départ pour le conseil constituti­onnel, Pierre hurmic, candidat écologiste à la tête d’une coalition de gauche, et thomas cazenave, macroniste de la première heure, distancé dans les sondages, mais dont le choix des électeurs entre les deux tours sera déterminan­t. Évidemment le jeune homme de 41 ans, qui mène sa première campagne sur son nom, ne veut pas entendre parler de désistemen­t entre les deux tours : « J’essaye de faire la meilleure campagne de premier tour possible. Je regarde une haie après l’autre, je n’anticipe pas. »

Proche d’emmanuel Macron, ancien délégué interminis­tériel à la transforma­tion publique, la tête de liste de renouveau bordeaux, traverse les mêmes difficulté­s que tous les autres candidats LreM. ce soir-là, thomas cazenave a prévu de tenir une réunion publique dans le quartier de La bastide, celui de sa naissance et de son enfance. une vingtaine de bordelais sont venus l’écouter au café darwin. Mais à la grille d’entrée, ils sont autant à vouloir perturber l’événement. thomas cazenave tente de parlemente­r avec eux, de leur faire comprendre que leurs revendicat­ions contre la réforme des retraites n’ont pas grandchose à voir avec le futur de bordeaux. il pense un temps les avoir convaincus. Les manifestan­ts, militants d’extrême gauche pour la plupart, restent à l’écart du restaurant. Mais dix minutes plus tard, ils arrivent à passer et crient leurs slogans anti-Macron, couvrant la voix de thomas cazenave. c’est la troisième fois qu’ils lui font le coup. difficile de mener campagne dans ces conditions, surtout quand l’un des atouts de son jeu se révèle inopérant. en début de campagne, les équipes de thomas cazenave misaient sur le silence d’alain Juppé. elles pouvaient semer le trouble dans les esprits en avançant l’idée que le vrai successeur de l’ancien maire n’était pas Nicolas Florian, mais thomas cazenave. Les deux hommes avaient eu des discussion­s avant le départ de l’ancien premier ministre pour le conseil constituti­onnel. La petite musique était bien rodée : soutien d’emmanuel Macron en 2017, alain Juppé aurait choisi thomas cazenave pour lui succéder un jour, c’était la logique politique.

plAce Aux nouveAux

Patatras, le château de cartes s’est effondré le jour du lancement de la campagne de Nicolas Florian. Présidente de son comité de soutien, isabelle Juppé est venue accompagné­e de son époux. Qui ne restera pas silencieux malgré le devoir de réserve des membres du conseil constituti­onnel : « Je ne peux pas parler mais je peux penser et espérer. Le seul fait que je sois là vous permet de deviner ce que je pense et ce que j’espère. » Le coup est rude, mais la réplique ne se fait pas attendre. thomas cazenave n’attaque pas sur le devoir de réserve, mais annonce début février le ralliement d’élus de la majorité juppéiste. trois conseiller­s viennent le rejoindre, dont JeanLouis david, adjoint au maire de 67 ans, élu à bordeaux depuis 1989.

« Un élu qu’on voulait virer est passé chez Cazenave, la belle affaire. » À la mairie, ce transfert est minimisé. Au fond, il permet même de donner au candidat Florian une image nouvelle. Les anciens s’en vont, place aux nouveaux ! À 50 ans, Nicolas Florian mène finalement lui aussi sa première campagne municipale à Bordeaux sous son nom. En reprenant la méthode Juppé : « Un métro, un tramway, un pont ce n’est ni de droite, ni de gauche. » Et la fermeté de son mentor. À l’hôtel de ville, il reçoit l’associatio­n Greenpeace venue interroger tous les candidats sur leur programme. Dans son bureau, avec derrière lui la photo du général de Gaulle et celle de Juppé en sa compagnie, Nicolas Florian reste ferme sur ses positions face aux demandes des écologiste­s, inquiets de la pollution de l’air, préoccupat­ion première des électeurs bordelais : « Je ne veux pas de politique punitive sans avoir d’abord testé l’incitatif. Je ne suis pas le maire qui interdira la voiture. Je revendique le fait de ne pas interdire les véhicules diesel. Je ne vais pas pénaliser des gens dont c’est le seul moyen de déplacemen­t ! »

Le paradoxe Hurmic

La poussée des enjeux écologiste­s n’entraîne pas Nicolas Florian à la surenchère pour récupérer un vote qui part vers Pierre Hurmic. À 64 ans, le candidat de Bordeaux Respire surfe sur la tendance nationale. Il a réussi à s’inviter dans le match. Son défi ? Être crédible. Car son ascension dans les intentions de vote profite en parallèle à Nicolas Florian. Une sorte de vote utile s’installe entre les deux hommes, au détriment de Thomas Cazenave. Plus Hurmic monte, plus Florian récupère un électorat juppéiste inquiet de voir une gauche très à gauche prendre les rênes de la ville. Pierre Hurmic a bien senti le danger qui fait campagne sur sa capacité à gérer la ville. « J’ai présenté un casting de compétence­s. Sur la liste, il y a des gens qui ont l’expérience du pouvoir. » Opposant historique à Alain Juppé – qui avait en vain tenté de le faire entrer dans sa majorité en 2008 –, le basque Pierre Hurmic est un homme de paradoxes. Catholique pratiquant, militant écologiste engagé depuis longtemps, associé au Parti communiste mais revendiqua­nt ne pas être un homme d’appareil, il continue à faire son semi-marathon tous les samedis et à passer tôt le matin à son cabinet d’avocat malgré la campagne électorale serrée. Comme Nicolas Florian, il sait que le second tour va

Nicolas FloriaN

a repris la méthode Juppé : “uN métro, uN tramway, uN poNt, ce N’est Ni de droite, Ni de gauche”

se jouer sur les électeurs de Thomas Cazenave. « Si par hasard il se retirait, ses voix seraient dans la nature, et comme je suis écolo, je les prends », lance, amusé, Pierre Hurmic. Même si au fond de lui il ne pense pas qu’un retrait du candidat LREM, qui plus est en sa faveur, soit possible. « Cazenave n’est pas en position de gagner, mais peut nous faire perdre », craint-on à la Mairie de Bordeaux, même si on considère compliqué pour lui d’appeler à voter pour des gens qui s’opposent au niveau national à Emmanuel Macron. À Paris, au siège de LREM, on suit attentivem­ent le cas de Bordeaux.

Le vrai enjeu : La métropoLe

La ville ne laisse pas insensible le patron de Matignon, Édouard Philippe, ancien lieutenant d’Alain Juppé. Des messages ont été passés à Nicolas Florian. « Il y a deux lignes rouges qui ne seront pas franchies : on ne soutiendra pas les Verts au second tour. On ne veut pas d’un Piolle (maire de Grenoble) à Bordeaux. On fera une campagne propre pour la réconcilia­tion au second tour. » Autrement dit, Paris laisse Cazenave jouer sa carte jusqu’au 15 mars et compte ensuite sur son pragmatism­e. Sachant qu’un maintien de sa candidatur­e peut aussi éviter de renforcer les opposants. Le match à trois n’est pas terminé, d’autant que le véritable enjeu derrière la ville de Bordeaux reste le contrôle de la Métropole, lieu du pouvoir économique. ■

 ??  ?? Les électeurs de Thomas Cazenave détiennent la clé du scrutin.
Les électeurs de Thomas Cazenave détiennent la clé du scrutin.
 ??  ?? L’écologiste Pierre Hurmic surfe sur la vague verte et s’invite au second tour.
L’écologiste Pierre Hurmic surfe sur la vague verte et s’invite au second tour.
 ??  ?? Successeur d’Alain Juppé à la mairie, Nicolas Florian affiche la même déterminat­ion.
Successeur d’Alain Juppé à la mairie, Nicolas Florian affiche la même déterminat­ion.
 ??  ?? Isabelle et Alain Juppé soutiennen­t Nicolas Florian.
Isabelle et Alain Juppé soutiennen­t Nicolas Florian.
 ??  ?? Thomas Cazenave peut faire perdre Florian...
Thomas Cazenave peut faire perdre Florian...
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... même si à Paris LREM ne veut pas d’un soutien à Pierre Hurmic.

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