Le rosey, Le peNsioNNat de La jeuNesse dorée Reportage
Ils dévalent les pistes de ski tout en révisant leurs leçons de mathématiques ou de français. Bienvenue au Rosey, l’internat suisse favori des élites mondialisées, prêtes à payer au prix fort l’éducation de leurs enfants.
École privée suisse à vocation internationale fondée en 1880, Le Rosey séduit les familles les plus fortunées de la planète
L’hiver, Gstaad retrouve sa jeunesse. Et pas seulement parce que cette station de ski plus que centenaire de l’Oberland bernois, appréciée pour ses boutiques de luxe, ses restaurants d’altitude et ses jolis chalets en bois, se couvre d’un manteau neigeux qui lui donne l’air pimpant sous les rayons du soleil d’hiver… En fait, si la station mythique de la jet-set et des milliardaires rajeunit soudainement, c’est tout simplement parce qu’elle accueille, comme chaque année, de janvier à mars, les élèves du Rosey.
Fondé en 1880, cet internat privé helvétique s’est donné pour vocation d’assurer la formation des enfants des élites cosmopolites. Un marché de niche sur lequel il tire son épingle du jeu depuis plusieurs générations. Parmi les milliers d’anciens figurent des têtes couronnées, des enfants de stars, d’hommes d’affaires… Du prince Rainier de Monaco à
Joe Dassin, l’Aga Khan, Anthony Delon, le milliardaire égyptien Dodi al-Fayed, Fouad II, roi d’Égypte, Baudouin, roi des Belges, Juan Carlos d’Espagne ou encore les enfants du dernier shah d’Iran, d’Elizabeth Taylor, de Roger Moore, de John Lennon ou de Diana Ross… tous sont passés par le Rosey.
au grand air des montagnes
Il faut dire que ce pensionnat pas tout à fait comme les autres ambitionne d’offrir ce qu’il estime être le meilleur en matière d’éducation : une ambiance internationale, des professeurs aux petits soins, garants d’une atmosphère cosy et familiale ; des activités sportives à volonté, un accès quasi illimité à toutes sortes d’activités culturelles et artistiques… Sans oublier la vie au grand air des montagnes suisses, ce qui justifie le déménagement annuel, à Gstaad, de toute l’école, élèves et professeurs réunis, dans les immenses chalets que possède le Rosey au coeur de la station. Le programme a de quoi faire rêver : cours le matin, ski l’après-midi ! Et en prime, des sorties sont organisées régulièrement avec les professeurs, qu’il s’agisse d’aller au cinéma ou au restaurant, de faire une descente aux flambeaux ou de grimper en raquette, à la nuit tombante, jusque dans un chalet d’alpage… Quant aux plus âgés, ils n’hésitent pas, le week-end, à faire la fête au GreenGo, le night-club de l’iconique Gstaad Palace !
La tradition du déménagement du Rosey à Gstaad remonte à 1915, lorsque le directeur de l’établissement, fils de son fondateur, décida de faire monter dans la station les enfants qui ne pouvaient pas rejoindre leurs parents en raison de la guerre. L’expérience fut si concluante, les élèves revinrent avec une si bonne mine et tant d’énergie que l’on décida de réitérer l’opération chaque année. Si bien que le gotha planétaire se mit lui aussi à fréquenter assidûment Gstaad dans l’idée d’y croiser ses chérubins entre deux leçons de mathématiques ou de ski…
Malgré des frais de scolarité de 100 000 euros par an, les parents
se bousculent pour inscrire leurs enfants au Rosey
Le reste de l’année, les élèves du Rosey ne sont pas vraiment à plaindre. Leur campus habituel, à l’écart du bourg de Rolle, a lui aussi de quoi faire rêver. Imaginez un château sur les bords du lac de Genève, au pied des montagnes enneigées ; un domaine d’une trentaine d’hectares plantés d’arbres séculaires, des courts de tennis, des piscines au bleu profond, deux terrains de football impeccablement tenus sur lesquels évoluent des jeunes gens à l’allure sportive… Au coeur de ce campus qui pourrait faire penser à celui d’un prestigieux internat britannique, une gigantesque bulle futuriste conçue par l’architecte-star Bernard Tschumi abrite, sous une vaste coupole d’acier, une salle de concert de 900 places à l’acoustique et aux équipements dernier cri, une bibliothèque rassemblant 18 000 ouvrages rédigés dans des dizaines de langues, un théâtre, des salles réservées à la création artistique, aux répétitions, aux cours de cuisine…
près de 70 nationalités
Le Rosey est sans doute l’une des écoles les plus luxueuses qui soient au monde, tant elle offre d’opportunités à ses élèves ! C’est aussi l’une des plus onéreuses, et de loin : compter 100 000 euros par an pour avoir la joie d’inscrire son enfant dans cet établissement ! Une école de fils à papa ? Certes, les élèves du Rosey sont de bons clients des boutiques de luxe de Gstaad et certains soirs, au GrennGo, les notes des barmen frisent la démesure (surtout quand les parents accompagnent leurs ados, semble-t-il). Certes, ils baignent au Rosey dans un environnement ultraprivilégié, l’école ne reculant devant rien pour satisfaire leurs envies : en 2016, elle a, par exemple, fait venir à Rolle le chanteur Phil Collins pour un concert dans le cadre de la saison culturelle et musicale du Rosey, ouverte au public ; en 2018, c’était au tour de Francis Huster, venu animer le festival de théâtre dans les jardins organisé chaque année par le Rosey… « La question de la richesse n’est pas du tout centrale dans les discussions entre les élèves, précise cependant Felipe Laurent, un ancien du Rosey qui, après plusieurs années dans le marketing des montres de luxe et à la Fondation Agha Khan, a rejoint la direction du développement de l’institut. Certes, il faut de l’argent pour rentrer au Rosey. Mais paradoxalement, il y a bien moins de snobisme que dans d’autres écoles car les élèves n’ont rien à se prouver, sachant qu’ils sont tous issus de familles fortunées. » En tout cas, la facture réclamée aux parents, aussi élevée soit-elle, ne décourage pas les candidats, toujours plus nombreux à frapper à la porte du Rosey : chaque année, l’Institut reçoit 400 demandes d’inscription, pour seulement 80 à 100 places ! Certes, les temps ont changé : aujourd’hui, les Roséens ne sont plus nécessairement issus de la fine fleur du gotha européen ! Venus des États-Unis, d’Amérique du Sud, de Russie, du Japon, d’Afrique, du Moyen-Orient, mais aussi d’Europe (50 % des élèves), ils appartiennent pour beaucoup à ces richissimes élites mondialisées des affaires, sans cesse entre deux avions, voyageant au gré de leurs responsabilités, de leurs caprices et de leurs investissements planétaires. Depuis une dizaine d’années, la part des Asiatiques oscille entre 20 et 25 %. Parmi eux, les Chinois représentent 9 % des effectifs. « Ils se battent pour inscrire leurs enfants au Rosey, explique Bérangère, enseignante chez les juniors depuis quinze ans. Ce sont souvent des entrepreneurs pour qui le montant des frais de scolarité ne pose absolument aucun problème. Ils veulent donner le meilleur à leurs enfants, à commencer par ce qu’ils n’ont peut-être pas toujours eu la chance de recevoir eux-mêmes : l’éducation, la culture, les clés de compréhension de la société occidentale… »
Ce brassage multiculturel est la clé du succès du Rosey, qui rassemble, au total, pas loin de 70 nationalités. « Nous prenons garde, dans nos recrutements, à ce qu’il n’y ait pas plus de 10 % d’élèves issus d’une même région linguistique », explique Christophe Gudin, directeur de l’institut. Vingt-cinq langues sont enseignées dans l’établissement, qui compte, par exemple, deux professeurs de chinois, un professeur de finnois, un autre de swahili… « Ma classe rassemble neuf nationalités pour dix enfants : ces derniers sont, japonais, polonais, américains, indiens, néerlandais, chinois, anglais, français, suisses… », reprend Bérangère. Ici, en apprenant à compter, à lire et à écrire ensemble, dans un contexte multiculturel (les classes sont toutes bilingues), les élèves construisent les bases de leur réussite future. Ils se dotent d’un carnet d’adresses qui leur sera précieux dans leur future carrière professionnelle, avec des points d’entrée dans de nombreux pays, souvent au plus haut niveau vu le profil des élèves du Rosey.
le secret du vivre-ensemble
Mais surtout, ils apprennent à se comprendre et découvrent le secret du vivreensemble et du respect mutuel, que ce soit dans les maisonnées où ils sont rassemblés par classe d’âge, sous la responsabilité de certains de leurs professeurs (ces derniers vivent sur place avec leur propre famille et les plus petits ont le droit de les déranger en cas de cauchemar !), au réfectoire où ils servent à tour de rôle leurs camarades, et bien entendu durant les cours où parfois, on refait le monde. « Dans ma classe de seconde, il y a des juifs et des musulmans : on est en train de résoudre le problème palestinien ! », plaisante Kim Kovacevic, un professeur d’histoire-géographie d’origine yougoslave qui, après avoir enseigné treize ans à Londres, a rejoint le Rosey. « Ce que j’apprécie ici, c’est que nous sommes tous ouverts aux autres : tout le monde se parle, il n’y a pas de problème entre les élèves » confie Kabeja, 15 ans, venu du Rwanda il y a deux ans, suivant l’exemple de ses trois soeurs aînées, elles aussi passées par le Rosey quelques années auparavant. « Nous sommes 10 à 12 au maximum en cours ; les professeurs nous connaissent parfaitement et ils savent nous faire progresser », reprend Kabeja. Le jeune homme, qui s’intéresse à la littérature et aux sciences politiques, envisage, une fois son « IB » (bac international) obtenu, de poursuivre ses études à l’université de Toronto. Mais il a aussi l’ambition de visiter le
Du chinois au swahili, vingt-cinq langues sont enseignées dans cet établissement scolaire résolument multiculturel
monde. En attendant de réaliser ce rêve, il écrit des poèmes à ses heures perdues, encouragé par ses professeurs…
Ici, on ne plaisante pas avec le développement des talents des élèves, comme s’il s’agissait de leur donner les moyens de se réaliser eux-mêmes, indépendamment de ce que leur famille a pu leur offrir comme modèle de réussite. « Nous avons la responsabilité de découvrir les talents de chaque enfant qui passe dans nos murs. Et même si on n’a pas de talent, on peut malgré tout parvenir à maîtriser un instrument de musique », estime Rachel Gray, directrice de l’ensemble des activités artistiques et responsable du département « musique » qui compte 30 professeurs assurant 350 cours privés de musique chaque semaine. « Ici, un élève peut apprendre à jouer de tous les instruments symphoniques. Mais nous avons aussi un professeur de cornemuse et une école de rock dans nos murs ! », lance cette musicienne d’origine écossaise qui enseigne au Rosey depuis vingt-huit ans et n’a de cesse de souligner l’importance des arts dans la construction des jeunes individus. « La maîtrise d’une activité artistique renforce la confiance en eux des élèves, leurs facultés à se concentrer, à persévérer, à se produire en public à l’occasion d’un concert… », explique-t-elle.
100 % de réussite au bac
Nous voici conviés quelques heures plus tard au concours annuel de poésie organisé au théâtre du Rosey. Les élèves défilent un à un sur scène. Ils sont Chinois, Indiens, Anglais, Turcs, Espagnols… mais sur les planches, face au micro, aux projecteurs et au public, tous sont un peu les mêmes : ils ont le trac. Pourtant, ils connaissent leur texte sur le bout des doigts. Pendant des semaines, suivant pas à pas les conseils de leur professeur de littérature, ils ont appris à le déclamer avec assurance et conviction. Li, un jeune chinois d’une quinzaine d’années impressionne quand il entame, d’une voix de stentor, le poème If, de Rudyard Kipling. Sofiya, une jeune fille d’apparence timide a choisi le célèbre texte de la
Compétitions sportives, violon, théâtre, sculpture… Chaque élève
est incité à valoriser son potentiel et ses talents
poétesse Maya Angelou, Life Doesn’t Frighten Me (La vie ne me fait pas peur). Du haut de ses 12 ans, elle assure ! Née au Kazakhstan mais disposant de la double nationalité suisse, elle parle le russe, le français, l’espagnol et maîtrise bien entendu parfaitement la langue de Shakespeare que l’on entend le plus fréquemment sur le campus (même si la moitié des cours sont dispensés en français).
« Les deux premières semaines, c’était un peu dur de s’adapter, confie Sofiya.
Mais j’adore les langues étrangères, je me suis complètement habituée. Et j’ai des amis qui viennent de Guinée équatoriale, de Chine, d’Espagne… »
Le sport tient une large place dans la vie des élèves du Rosey. Tennis, natation, football, équitation, voile, aviron, ski nautique, snowboard, unihockey… La liste des activités sportives qui leur sont proposées est tout simplement impressionnante : ils ont l’opportunité de les pratiquer quotidiennement, de 15 h 30 à 19 heures. Pas moins de 22 professeurs de sport sont mis à leur disposition !
Nombre de Roséens participent à des compétitions interscolaires de haut niveau. Le prestige de leur établissement se joue aussi sur le terrain ! Arsène, 12 ans, récemment arrivé de Singapour où sa famille a été expatriée dix ans, pratique, par exemple, chaque semaine le football, l’athlétisme, le mini-hockey… ce qui ne l’empêche pas de travailler dur et d’obtenir de brillants résultats scolaires. « J’ai envie de décrocher un bon job, lance-t-il. Je veux devenir businessman ! » Mais en Suisse, on aime autant que le grand air la finance ; et rien de plus qu’admirer la beauté des paysages… Aussi fallait-il au Rosey un « directeur de la Nature ». C’est la mystérieuse fonction qu’occupe Jean-Claude Pesse. Ce guide de montagne, qui a rejoint le Rosey il y a quarante ans, a conçu un programme d’expéditions pour inviter les élèves à « redécouvrir la nature dont le monde moderne a de plus en plus tendance à les couper », qu’il s’agisse de dormir en pleine montagne dans un refuge – voire dans un igloo –, de monter à plus de 4 000 mètres en peau de phoque pour admirer le soleil briller sur le mont Cervin ou de grimper au sommet del’ Alpe-d’ Hue z à vélo ! « Mon objectif est d’apprendre aux élèves à se surpasser, pour qu’ils acquièrent davantage de confiance en eux, explique Jean-Claude Pesse. L’idée, c’est aussi de leur faire redécouvrir les choses simples de la vie, la joie de passer une soirée dans un chalet d’alpage en écoutant un paysan jouer du cor des Alpes, de préparer une fondue traditionnelle sur un feu de bois, de dormir dans un igloo… »
Avec 100 % de réussite au baccalauréat français (dont 50 % de mentions « très bien »), le Rosey n’a pas à rougir de ses résultats. Idem pour le bac international que les élèves présentent majoritairement, beaucoup visant des études supérieures dans des universités internationales. Peu d’entre eux s’orientent en revanche vers les classes préparatoires, filières d’excellence de l’enseignement supérieur français. « Un diplôme de Yale ou de Stanford est aujourd’hui plus reconnu sur le marché international du travail que celui de l’X ou d’HEC, juge Christophe Gudin. Et puis la compétition acharnée à laquelle se livrent les élèves pour entrer dans les grandes écoles françaises est assez éloignée de la culture du Rosey. Chez nous, l’esprit est beaucoup plus collaboratif et communautaire. Nous estimons qu’ il vaut mieux apprendre à faire des choses ensemble que de se combattre. Notre école, comme nos valeurs, sont profondément suisses ! » ■
Des milliers d’anciens Roséens à travers le monde, un réseau professionnel d’une valeur inestimable