Le Figaro Magazine

oLivier marChaL & gérard LaNviN : Les papis FoNt de La resistaNCe Rencontre

- Propos recueillis par Jean-Christophe Buisson et Clara Géliot Photos : Stéphane Gladieu pour Le Figaro Magazine

Ils sont à l’affiche de « Papi-sitter », où ils incarnent deux grands-pères aux caractères diamétrale­ment opposés chargés de faire réviser le bac à leur petite-fille. Une comédie familiale, joyeuse, rafraîchis­sante, à l’opposé d’un certain cinéma parisianis­te, élitiste, méprisant leur travail

et leur réussite… et à qui ils ne se privent pas de répondre sans complexe. Et sans gants.

Qu’avez-vous en commun ?

Gérard Lanvin – L’un et l’autre, on aime la vie et les gens. On adore rire, bouger, boire, manger. Bref, faire des choses simples et positives malgré les moments de spleen que partagent beaucoup d’acteurs. Olivier, c’est un mélange de blues et de rock and roll et je me retrouve aussi dans ce parallèle parce que si notre environnem­ent et l’évolution du monde nous donnent le cafard, notre côté rock survit. Olivier et moi, on aime la folie, c’est pour ça qu’on a choisi ce métier.

Olivier Marchal – Je dois dire que lorsque j’étais dans la police, j’avais déjà cette dinguerie. Flic et acteur sont deux métiers marginaux, à contretemp­s des autres. On y retrouve un même instinct tribal.

G. L. – D’ailleurs, j’aurais pu être flic avec lui.

O. M. – Et moi, j’aurais pu vendre des fringues aux puces avec lui et j’aurais adoré faire partie de la bande qu’il formait avec Coluche. Le problème, c’est qu’à l’époque, déjà, il aurait eu dix ans de plus que moi.

G. L. – Merci de le rappeler… Qu’est-ce qui vous a convaincus l’un et l’autre de jouer dans « Papisitter » ?

O. M. – D’abord l’opportunit­é de se retrouver. Lorsque Philippe Guillard nous a réunis, en 2010, sur le tournage du Fils à Jo, on s’est si bien entendus qu’on ne s’est plus quittés. J’ai dirigé Gérard dans Les Lyonnais puis dans Bronx, dont j’achève en ce moment le montage, et c’est toujours un plaisir de se renvoyer la balle sur un plateau. Par ailleurs, Gérard et moi aimons l’univers de Guillard car ses histoires engendrent le rire et les larmes, et elles mettent en scène des personnage­s issus des mêmes milieux modestes que les nôtres et dont les parcours de vie ne nous sont pas étrangers. C’est un cinéma qui nous ressemble.

G. L. – Philippe Guillard est un homme de notre espèce. Aujourd’hui, le temps étant de plus en plus compté pour tourner des films, il faut plus qu’un metteur en scène : il faut un vrai chef en qui vous avez foi et qui vous transmet son énergie. Guillard a ce talent fédérateur car il vient du rugby et la notion d’équipe, il connaît !

Comment définiriez-vous chacun le personnage de l’autre ?

G. L. – Teddy, le grand-père rigolo, ressemble à Olivier ou, en tout cas, à ce que j’aime chez lui, c’est-à-dire sa dinguerie, son humour, sa force de vie.

O. M. – Gérard partage parfois avec André, son personnage, un côté donneur de leçons et, lorsqu’il s’y met, il devient très sérieux. C’est dans ces moments-là qu’il me fait le plus rire, d’ailleurs.

Il faut dire que ce personnage d’André Morales est haut en couleur !

G. L. – Il est largement inspiré du père de Philippe Guillard, un excapitain­e de gendarmeri­e obsédé par la rigueur et bourré de manies. Lorsque nous l’avions rencontré sur le tournage du Fils à Jo, j’avais dit à Philippe : « Ton père, moi, un jour je veux le jouer ! »

Lorsque Morales affirme que la plus grosse erreur de l’État français est d’avoir supprimé le service militaire, êtes-vous d’accord avec lui ?

G. L. – Tout à fait.

O. M. – Entendre cela de la part d’un mec qui ne l’a pas fait, c’est un comble !

G. L. – Dans les années 1970, on pouvait se faire réformer facilement. Comme j’étais déjà marié, je suis allé voir un médecin pour lui dire que j’avais peur de mourir… Or,

« revenir de la guerre est, par essence, une faute profession­nelle », non ?

Avez-vous décroché le bac ?

G. L. – J’étais en terminale en 1968 et j’étais plutôt sur le boulevard Saint-Michel…

O. M. – Moi, je l’ai raté et quand j’ai vu pleurer mon père, je ne me le suis pas pardonné. Il n’avait eu que son certificat d’études et c’était pour lui une fierté de m’imaginer faire des études. C’est pourquoi il s’était saigné pour financer ma dernière année de scolarité dans une pension jésuite. Quand j’ai décroché le bac l’année

suivante, j’étais content de pouvoir passer ensuite le concours d’inspecteur mais j’étais surtout heureux pour lui.

Quel regard portez-vous sur le monde d’aujourd’hui ?

G. L. – Il me désole. Le comporteme­nt des gens est lamentable, leur voyeurisme est à vomir. Au lieu de regarder par le trou de la serrure du voisin, on devrait se demander comment vivre ensemble. Cette manière d’agir est très négative et comme je ne sais pas où va le monde, je suis très inquiet et un peu fragilisé par tout cela.

O. M. – Au risque de paraître old school, j’ai 61 ans et je suis atterré par l’incivilité des jeunes à l’égard des anciens. Quand je vois des petits cons qui se comportent mal dans la rue, je donne volontiers des coups d’épaule.

G. L. – Moi aussi, mais le problème c’est qu’à 70 ans, en donnant des coups d’épaule, on se fait mal !

Quelle éducation avez-vous reçue ?

G. L. – J’ai été élevé dans le respect de ces valeurs que sont l’amitié, le partage et l’entraide. J’ai donné à mes fils cette même éducation « à l’ancienne » et je constate qu’aujourd’hui, Manu et Léo sont des mecs propres et droits.

O. M. – Mon père aussi m’a transmis les valeurs du travail, de l’honnêteté, du respect des anciens. Or, quand je pars en sucette – et ma détestatio­n de ce monde me pousse parfois à me laisser aller –, je pense à mon père qui ne serait pas fier et je reprends pied. J’ai beau être un peu barjo, épicurien, aimer la fête et bosser comme un dingue, j’ai un côté vieille France et je souhaite que mes enfants deviennent des gens bien. C’est pour cela que j’ai été très vigilant sur leur éducation et que je leur ai montré, dès le plus jeune âge, comment se tenir au restaurant, dans le train, dire « bonjour monsieur », laisser passer les dames ou venir en aide aux personnes âgées.

Êtes-vous grands-pères dans la vie ?

G. L. – Olivier, pas encore, mais moi j’ai une petite-fille et je suis un papi dingo. Pour elle, je pourrais jouer tout ce que les mauvais profs de théâtre demandent : la pierre, la feuille ou l’arbre. Si vous ne cherchez pas à éblouir les enfants par votre folie, ils vont regarder leur tablette ou leur ordinateur et vous perdrez le contact avec eux. Son père, Manu Lanvin, est un grand bluesman et lorsqu’il nous emmène faire la route avec lui, on partage tous cette même folie. Grâce à eux, je vis des histoires rock and roll. Et l’avantage, en tant que grand-père, c’est de pouvoir rendre les enfants à leurs parents après s’être bien amusé…

“Aujourd’hui, les gens préfèrent

se tourner vers la comédie parce qu’ils pleurent suffisamme­nt

dans la vie”

Olivier Marchal

Comme presque tous vos films, vous avez tourné « Papi-sitter » en province. Est-ce important pour vous ?

G. L. – Paris ne nous intéresse plus et tourner en province est une opportunit­é de vivre ensemble, non pas dans des hôtels de luxe, mais dans des maisons où l’on se retrouve le soir pour l’apéro et où l’on peut parler de tout. Les films de Philippe Guillard ne sontils pas finalement une photograph­ie de la France telle qu’elle est vraiment ?

O. M. – La tournée que nous avons faite pour présenter le film en province nous l’a prouvé ! Les salles sont pleines de gens qui rient de bon coeur parce qu’ils s’identifien­t aux personnage­s. Le cinéma sert à créer des émotions et il se trouve qu’aujourd’hui, les gens préfèrent se tourner vers les comédies parce qu’ils pleurent suffisamme­nt dans la vie.

G. L. – Lorsqu’on les croise, ils nous remercient de les avoir divertis. Olivier et moi sommes des acteurs populaires, des saltimbanq­ues méprisés par le système élitiste mais aimés par les gens de la rue.

Le cinéma français manque-t-il selon vous de comédies familiales assumées comme telles ?

G. L. – Philippe étant le scénariste des films de Fabien Onteniente, il était aussi concerné que moi lorsqu’on nous traitait de beaufs avec Camping.

Ce film ayant fait 6 millions d’entrées, ça faisait 6 millions de cons… Mais le plus amusant c’est qu’aujourd’hui, la trilogie est devenue culte. Quoi qu’il en soit, la comédie est un genre complexe car il faut savoir composer un casting et diriger ses acteurs dans le rythme. Guillard sait choisir ses acteurs, la preuve, il nous a recrutés (rires), ainsi que la merveilleu­se Philippine LeroyBeaul­ieu, Anne Girouard, Jean-François Cayrey, et nous avons eu la chance d’avoir entre nous deux Camille Aguilar, une jeune comédienne extraordin­aire qui a tout de suite pris le rythme. C’était essentiel parce que si vous formez un trio avec un mauvais acteur au milieu, il n’y a même plus de duo possible. L’union fait toujours la force.

Olivier, quel regard portez-vous sur le cinéma policier d’aujourd’hui ?

O. M. – J’ai trouvé par exemple que

Les Misérables était un film extraordin­aire. Pensant que c’était un énième film antiflics, j’y suis allé à reculons mais Ladj Ly a su montrer qu’il y avait des cons des deux côtés, et notamment des cons sympathiqu­es. Les meilleurs films policiers nous viennent de Bertrand Tavernier et Alain Corneau avec L. 627 et Police Python 357, Le Choix des armes ou Série noire, mais quand un film réaliste comme Les Misérables est aussi beau et abouti, il mérite tous les honneurs. À l’inverse de La Haine, de Mathieu Kassovitz, qui était à mon sens un film pour bobos. D’ailleurs, s’y sont précipités des hommes en costard qui, comme au zoo, allaient voir comme les flics étaient des méchants et les gamins de banlieue des malheureux.

Souffrez-vous des clivages qui divisent le milieu du cinéma ?

O. M. – Quand on voit que les jeunes des écoles de cinéma ne savent pas

qui est Bernard Blier ou Jean Gabin, il y a de quoi s’inquiéter sur l’enseigneme­nt qu’ils y reçoivent. Un jour, un jeune étudiant d’une école de cinéma qui voulait travailler sur Les Lyonnais m’a avoué que son prof le lui avait interdit, arguant que « Marchal, ce [n’était] pas du cinéma ». Pourtant, mes références à moi c’est Sergio Leone, Henri Verneuil, Robert Enrico, Claude Sautet. Avec tout le respect que je leur dois, ce ne sont pas Godard et Truffaut qui m’ont donné envie de faire du cinéma. Et si j’avais 20 ans en 2020, ce ne serait pas non plus Abdellatif Kechiche mais JeanFranço­is Richet, Christophe Barratier ou Fred Cavayé. Mais depuis toujours, les gens du milieu nous méprisent. G. L. – J’aime à penser qu’« un homme sans ennemi est un homme sans valeurs ». Pour moi, ce n’est pas une souffrance, parce que ce qui m’importe aujourd’hui, c’est la vie ! J’ai une famille qui me rend heureux, des enfants qui m’emmènent dans des aventures incroyable­s et j’ai compris il y a un moment déjà que la grande famille du cinéma était une plaisanter­ie notoire. Et si je ne fais qu’un film tous les deux ans, c’est

“J’ai compris il y a un moment déjà que la grande famille du cinéma

était une plaisanter­ie notoire”

Gérard Lanvin

parce que les producteur­s ne me situent pas : ils n’ont rien vu de ce que j’ai fait avec Granier-Deferre, Tavernier, Blier ou Leconte. Mais je n’ai pas le temps d’aller draguer ces gens et les rôles de senior ou les films en costumes, je sais que ce n’est pas le cinéma parisien qui va me les donner. À 70 ans, je vais à l’essentiel et cherche des mecs comme Olivier qui m’ont estimé dans de vieux films et me considèren­t simplement comme un acteur capable d’incarner des personnage­s. Et lorsque quelque chose me plaît, je suis capable aussi de décrocher mon téléphone. C’est ainsi que j’ai rejoint les plateaux des séries Dix pour cent et Platane récemment.

Ce vendredi a lieu la 45e cérémonie des César. Que vous inspire cet événement, très chauté cette année ?

G. L. – Tout ce ramdam, ça devait arriver. De toute façon, le cinéma ne peut pas donner lieu à une compétitio­n. Qu’est-ce que ça veut dire être le meilleur quand on fait un métier de partage et où l’on a besoin du talent des autres pour être bon ? Ces prix engendrent des situations absurdes comme d’opposer Vincent Cassel et Reda Kateb qui forment un duo épatant dans Hors normes, le film de Nakache et Toledano. Le public le sait bien, lui. Sans compter qu’un César n’est pas une garantie pour booster sa carrière. Je peux le dire, j’en ai eu deux et…

O. M. – Ah, tu le places, quand même !

G. L. – Je le dis car il faut savoir que pendant les deux années qui ont suivi, je n’ai pas travaillé ! C’est l’état d’esprit du milieu du cinéma, comme parfois du pays, qui n’accepte pas la réussite : vous avez beau être populaire, faire des entrées et permettre aux gens branchés de monter leurs projets, ils n’attendent que le moment où vous vous planterez.

O. M. – Moi, je ne vous cache pas que ce bazar me frise ! La première et unique fois où je suis allé aux César, c’était pour 36 quai des Orfèvres, qui avait décroché huit nomination­s et n’a rien eu. Je n’ai vu que de la haine et du mépris dans cette salle où les primés ne regardaien­t même pas leurs pairs pour les remercier et où beaucoup ricanaient ou levaient les yeux au ciel quand on passait des extraits de mon film. Mais le plus émouvant, c’est lorsque ma mère m’a avoué que pour suivre l’événement sur la télévision des voisins, mon père avait enfilé son costume et sa cravate. Lorsqu’il m’a appelé le lendemain et que j’ai senti sa déception, j’étais bouleversé. Je le suis encore aujourd’hui…

On vous sent très atteint par ce manque de reconnaiss­ance du milieu…

O. M. – C’est toujours douloureux. Malgré ses 60 millions d’entrées, je sais que Georges Lautner souffrait à la fin de sa vie de ne pas avoir reçu au moins un César d’honneur. Je ne suis ni revanchard ni jaloux car j’ai la chance de travailler, de réaliser mes films, de bien gagner ma vie. Mais je suis fou parfois de ce que je vois dans ce milieu. Par exemple, lorsque le Festival de Deauville m’avait convié à remettre un prix à Sidney Lumet, mon idole, qui m’a valu dans la police le nom de « Serpichal », et pour lequel je me suis fait percer l’oreille en référence à

Serpico. Après lui avoir livré tous ces détails dans un discours sincère, cet homme de 83 ans a rejoint la scène en sautillant et m’a pris dans ses bras en me disant « Thank you, my son ». C’était un magnifique moment jusqu’à ce que je voie le mépris dans les yeux du très chic jury d’André Téchiné et l’attitude honteuse de Christophe Honoré, envoyant des textos pendant toute la projection de 7 h 58 ce samedi-là. Quand il a essayé ensuite de se joindre à la table du dîner où Lumet m’avait convié, je lui ai suggéré de s’en aller. Et vite. Très vite…

G. L. – En tant qu’acteur, il ne faut pas considérer ce métier comme autre chose que la possibilit­é de vivre des moments magiques avec des partenaire­s qui vous aiment. Le reste, justement, c’est du cinéma. Mais parfois, il arrive des choses étonnantes comme cette histoire que m’avait racontée Marcel Carton, un des deux premiers otages du Liban. Alors qu’il était prisonnier, un de ses geôliers, dans un élan de clémence, lui avait proposé de lui passer une cassette VHS. C’était

Les Spécialist­es, le film que Bernard Giraudeau et moi avions fait avec Patrice Leconte. Or, le lendemain, Marcel se faisait attraper alors qu’il tentait de s’échapper, comme nos personnage­s, par le toit !

Des anecdotes comme celle-là, il y en a plein : c’est ce qui fait une vie et qui nous permettra de dire, sur notre lit de mort : « On a bien vécu ! » ■

“Quand je vois des petits cons qui se comportent mal dans la rue, je donne volontiers des coups

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- Moi aussi, mais

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en donnant des coups d’épaule,

on se fait mal !”

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(en salles le 4 mars).
Papi-sitter, de Philippe Guillard (en salles le 4 mars).
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