LapoNie suédoise : arCtiC bath, arChi Nordique Carnets de voyage
En une décennie, la bourgade de Harads, dans le nord de la Suède, est devenue l’une des destinations les plus courues des amateurs d’architecture, curieux de passer une nuit perchée au Treehotel. Cet hiver, l’expérience s’amplifie avec l’ouverture très attendue de l’étonnant Arctic Bath.
Visite en avant-première.
Après une escale à Stockholm, il faut encore une heure et demie de vol avant de rejoindre la Laponie suédoise. La ville de Luleå, 100 kilomètres au sud du cercle polaire, est l’une des principales portes d’entrée vers ces territoires nordiques encore très vierges. Longtemps peuplés en majorité par les Samis, ils se sont ouverts au monde au début du XXe siècle, d’abord pour la richesse des ressources du sous-sol – le minerai de fer –, puis, plus récemment, à un tourisme qui trouve là un dépaysement total à seulement quelques heures des métropoles européennes. Estimé à 30 000 individus en Suède, ce dernier peuple autochtone en Europe continue, parfois non sans difficulté, de faire perdurer une culture et des traditions qui rythment son mode de vie et émaillent l’art de vivre local. Bienvenue au Sápmi, le nom véritable de la terre des Samis !
Au coeur de l’hiver, le climat est rude, avec des températures pouvant chuter à - 40 °C et une nature entièrement recouverte d’un épais manteau neigeux. À 16 heures, il fait déjà nuit noire. Au solstice d’hiver, sous cette latitude, l’obscurité sévit même durant vingt et une heures. Mais à la mi-février, le jour a déjà repris plus de trois heures sur la nuit.
Il faut une bonne heure de route pour rejoindre Harads, bourgade située sur la commune de Boden, au nord de Luleå. Le parcours suit le fleuve Luleälven qui prend sa source quelque 460 kilomètres plus au nord, dans les montagnes situées à l’ouest de Gällivare. C’est précisément au bord de cette rivière que se trouve notre destination.
Pris dans les glaces du fleuve gelé
Avec l’obscurité, le panneau n’était peut-être pas très visible, si bien que l’Arctic Bath se dévoile d’abord depuis le pont à la sortie de Harads. Surprenante vision de ces architectures alignées le long du cours d’eau et que les propriétaires ont éclairées telle une scénographie d’exposition. Demi-tour fait et chemin trouvé, on se dirige vers le bâtiment principal qui ressemble à s’y méprendre à un amoncellement de rondins de bois entremêlés comme des mikados. On ne le distinguait pas tout de suite, mais celui-ci et la moitié des habitations sont posés sur l’eau. Ou plus exactement, en cette saison, pris dans la glace. À l’intérieur, changement d’atmosphère et de température ! Le charme du design nordique opère immédiatement : bois clair et lumière tamisée composent cet écrin parfait pour un lounge d’accueil aménagé avec du mobilier scandinave édité par Karl Andersson & Söner, Stolab ou encore Swedese, et des pièces (lampes Kwast) dessinées spécialement par Ateljé Lyktan. Dans cet espace aux parois courbes, on comprend rapidement que la forme du bâtiment est circulaire, et abrite en son centre – à ciel ouvert – le fameux bain nordique tant attendu. « Durant l’hiver, nous devons creuser un trou dans la glace pour aménager ce bain qui est en fait la rivière. Ceux qui n’ont pas froid aux yeux peuvent s’y jeter et les autres emprunter l’échelle », souligne Annkathrin Lundqvist. Cette Suédoise, formée à San Francisco et spécialisée en design textile, est l’une des sept associées dans le projet de l’Arctic Bath. Elle a aussi conçu les six cabines qui se trouvent sur le rivage. Celles-ci, en bois et de forme trapézoïdale, sont de vastes duplex de 62 m2 partagés entre trois suites et trois chambres familiales pouvant accueillir jusqu’à cinq personnes. « Chacune dispose d’une large baie vitrée ouverte sur la rivière qui permet, en toute saison, de profiter du cadre exceptionnel, et bien sûr d’observer des aurores boréales. » L’Arctic Bath se déploie sur un domaine d’une dizaine d’hectares, dont une partie a été allouée par la mairie pour une parfaite intégration du projet dans la nature environnante.
« une certaine mystique autour du Projet »
Sur l’eau, les six cabines flottantes, toujours en bois, sont légèrement différentes. Elles ont été dessinées par les architectes Johan Kauppi et Bertil Harström, à l’origine du projet de l’Arctic Bath. Deux trapèzes de moindre volume ont été accolés en quinconce pour composer des chambres doubles auxquelles on accède par des passerelles. À l’intérieur, l’ambiance est nettement plus monacale que dans les duplex, avec deux ouvertures sur le ciel et juste une fenêtre latérale donnant sur la forêt, plutôt d’ailleurs que sur la rivière. Interrogé sur cette configuration surprenante, Harström nous explique : « L’idée avec Arctic Bath est de proposer une expérience introvertie pour garder une certaine mystique autour du projet. » Aux beaux jours, les usagers pourront tout de même profiter du petit ponton privé situé sur l’arrière, pour partir directement en paddle ou plus simplement lézarder sous le soleil de minuit.
À peine réveillé, on est forcément impatient d’aller tester l’objet du désir de cet hôtel : le fameux bain nordique. Le temps d’un café, boisson incontournable en Suède car tout prétexte est bon pour en prendre un, Annkathrin évoque l’origine du projet. Tout a démarré il y a dix ans, lors de l’inauguration de la première cabine d’architecte du Treehotel voisin. « Maintenant que nous pouvons dormir dans les arbres, il ne manque plus qu’un sauna sur la rivière ! » lance alors un invité. L’architecte Bertil Harström, présent ce jour-là et qui signera par la suite plusieurs cabines du Treehotel, entend le message et commence à plancher sur l’idée. La forme, très caractéristique avec cet enchevêtrement de bois, fait référence au flottage de bois autrefois pratiqué sur la rivière pour acheminer les grumes vers Luleå. « Évidemment, seul un spa ne pouvait trouver sa raison économique. Le projet de l’hôtel est venu dans un second temps, avec la constitution d’un groupe d’associés qui a affiné l’offre d’hospitalité », ajoute Annkathrin.
Pièce maîtresse du dispositif, le spa occupe ainsi une bonne moitié de l’anneau, soit 250 m2, avec une salle de soins, deux
“Maintenant que nous pouvons dorMir dans les arbres, il ne Manque plus qu’un sauna sur le fleuve !”
saunas, un hammam ainsi qu’un salon où se relaxer. Là encore, le bois de pin est le matériau phare. Les cosmétiques utilisés ont fait l’objet d’un casting très méticuleux. « Nous souhaitions avant tout utiliser des produits respectueux de l’environnement et aux pouvoirs thérapeutiques sans équivoque. Nous nous sommes décidés pour la gamme de Kerstin Florian, qui emploie dans certaines préparations des botaniques nordiques et des ingrédients comme la sève de bouleau que les Samis utilisent depuis toujours. » En outre, Annkathrin a poussé la personnalisation de la prestation au point de dessiner peignoirs et maillots de bain qui sont remis à chaque client lors de la première séance, avec une pochette comportant une brosse et un scrub. Une fois changé, douché et brossé, il faut compter vingt minutes de sauna avant d’être dans les conditions parfaites pour se jeter à l’eau. « La température est d’environ 2 °C mais si votre corps est bien préparé, ce bain aura un véritable effet énergisant », assure une adepte, qui pratique l’exercice depuis son enfance. En effet, la trempette – de quelques secondes – vient vous revigorer plus que vous ne l’imaginiez. Au point de susciter un petit goût de revenez-y.
Même si le soleil s’est couché comme prévu vers… 14 h 30, la surprise est toujours un peu perturbante. L’occasion finalement pour tenter une autre approche du temps. Dîner donc à 18 heures. Un duo de chefs oeuvre en cuisine.
Maarten est belge ; Kristoffer, en revanche, est sami et entend bien imposer sa touche culturelle aux plats. À commencer par la viande de renne, dont le peuple sami a non seulement la primeur du négoce mais la connaissance pour la préparer. Il utilise chaque partie, comme en témoigne ce pancake confectionné avec le sang de l’animal. Kristoffer a suivi une formation culinaire dans un institut à Jokkmokk où sont transmis les usages et les techniques artisanales de son peuple. Chaque soir, les deux cuisiniers concoctent un menu en cinq étapes ancré dans le territoire et la saison grâce à des techniques locales de conservation.
Les fondements de La cuLture sami
Le lendemain, direction Jokkmokk, à 20 kilomètres au-delà du cercle polaire, pour mieux saisir les fondements de la culture sami. L’Arctic Bath programme des rencontres avec deux femmes qui pourront témoigner de leur mode de vie au quotidien. Anna Kuhmunen dispose, avec sa famille, d’un troupeau de rennes. « Notre relation avec cet animal est très symbiotique. Il y a dix mille ans, mon peuple a passé un pacte avec les rennes qui nous unit à jamais. En Suède, il n’y a pas de rennes sauvages, tous sont liés à une famille et l’été, nous pratiquons la transhumance vers les montagnes. » Un rituel qui se perpétue parfois non sans mal puisque ceux que l’on nomme souvent à tort les Lapons – terme en fait péjoratif dont l’étymologie désignait des « porteurs de haillons » – ont dû batailler durant trente ans avec l’État suédois pour retrouver en 2016 certains droits fonciers dont ils avaient été privés.
En ville, nous rejoignons Eva Gunnare. Elle n’est pas sami, mais le fait d’avoir été mariée à un Sami et d’avoir un fils
Au centre du bâtiment circulAire : un bAin nordique À ciel ouvert
sami a motivé sa candidature à l’institut que Kristoffer a fréquenté. Elle s’est particulièrement intéressée à la flore sauvage comestible. Elle nous entraîne juste derrière chez elle, sur les rives du lac Talvatissjön pour nous montrer que même en hiver, on peut, en grattant la neige, trouver des choses, comme des baies parfaitement conservées par le froid. De retour chez elle, elle nous fait goûter différents produits dont une surprenante eau de bouleau. « Cet arbre est considéré par les Samis comme particulièrement sain pour la santé. On utilise ses feuilles pour des boissons, sa sève pour faire un sirop et même certaines parties de son écorce, récoltée à la bonne saison, pour faire de la farine », explique-t-elle tout en nous faisant tester différentes préparations qu’elle a réalisées. Avant de repartir vers Harads, un tour au musée de la ville ne sera pas inutile pour continuer cette plongée dans la culture sami.
Ski ou pêche SouS glace
Le jour a déjà gagné une vingtaine de minutes depuis notre arrivée et le soleil devrait même faire une apparition. On aurait pu aller skier sur les pentes du petit domaine voisin de Storklinten, mais autant découvrir la région en pratiquant quelques activités du cru. Mikael Suorra, notre guide du jour, propose d’aller chercher notre repas du soir. Rien de tel pour réveiller en nous une âme de trappeur. Après une demi-heure de motoneige, seul mode de locomotion pour emprunter les chemins forestiers enneigés, nous voici à la lisière d’une clairière où quelques rennes ont élu domicile. Là se trouve un étang entièrement gelé. Mikael, armé d’une tarière électrique, perfore la surface pour une partie de pêche sous la glace à l’aide de drôles de minicannes. Si la température n’est aujourd’hui que de - 8 °C, la combinaison de motoneige et les moufles fourrées sont les bienvenues. «Il ne faut pas hésiter à bien se couvrir, car dans le cas contraire, même si la pêche est fructueuse, vous vous souviendrez surtout du froid qui vous a tétanisé », lâche-t-il, tandis qu’un poisson semble avoir mordu à l’hameçon. Bingo ! Un omble chevalier de 500 grammes que l’on va, aussitôt rentré à l’hôtel, confier aux chefs. Pour l’heure, pas question de laisser passer les dernières lueurs du jour sans prolonger la virée en motoneige à travers la forêt.
Avant de quitter cette contrée septentrionale, impossible de passer à côté du Treehotel, cet établissement qui a littéralement bouleversé le tourisme dans la région. « Nous avions racheté avec ma femme Britta un petit hôtel situé à l’entrée du village. Mais la fréquentation était hasardeuse. Un projet de cabanes dans les arbres vu en France nous a donné l’idée d’inviter des architectes à réaliser des chambresfolies pour créer de l’animation », explique Kent Lindvall, également coactionnaire de l’Arctic Bath. Et dix ans plus tard, l’initiative du Treehotel qui réunit une dizaine de créations, toutes différentes, d’agences telles que Snøhetta, Tham & Videgård, Cyrén & Cyrén… continue d’attirer des curieux du monde entier qui n’hésitent pas à revenir, touchés par la magie de cette alliance entre le charme très fifties de la pension et la radicalité des cabines. « Indéniablement, l’hiver est la haute saison parce que les paysages enneigés sont uniques. Mais les mois de mai et septembre sont magnifiques car la nature est en plein changement », conclut-il. La promesse est faite de revenir à Harads à une autre saison. Les Samis disent que l’année ici en compte huit, et l’hiver rien qu’à lui seul, trois. ■