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LapoNie suédoise : arCtiC bath, arChi Nordique Carnets de voyage

- Par Olivier Reneau (texte) et Éric Martin pour Le Figaro Magazine (photos)

En une décennie, la bourgade de Harads, dans le nord de la Suède, est devenue l’une des destinatio­ns les plus courues des amateurs d’architectu­re, curieux de passer une nuit perchée au Treehotel. Cet hiver, l’expérience s’amplifie avec l’ouverture très attendue de l’étonnant Arctic Bath.

Visite en avant-première.

Après une escale à Stockholm, il faut encore une heure et demie de vol avant de rejoindre la Laponie suédoise. La ville de Luleå, 100 kilomètres au sud du cercle polaire, est l’une des principale­s portes d’entrée vers ces territoire­s nordiques encore très vierges. Longtemps peuplés en majorité par les Samis, ils se sont ouverts au monde au début du XXe siècle, d’abord pour la richesse des ressources du sous-sol – le minerai de fer –, puis, plus récemment, à un tourisme qui trouve là un dépaysemen­t total à seulement quelques heures des métropoles européenne­s. Estimé à 30 000 individus en Suède, ce dernier peuple autochtone en Europe continue, parfois non sans difficulté, de faire perdurer une culture et des traditions qui rythment son mode de vie et émaillent l’art de vivre local. Bienvenue au Sápmi, le nom véritable de la terre des Samis !

Au coeur de l’hiver, le climat est rude, avec des températur­es pouvant chuter à - 40 °C et une nature entièremen­t recouverte d’un épais manteau neigeux. À 16 heures, il fait déjà nuit noire. Au solstice d’hiver, sous cette latitude, l’obscurité sévit même durant vingt et une heures. Mais à la mi-février, le jour a déjà repris plus de trois heures sur la nuit.

Il faut une bonne heure de route pour rejoindre Harads, bourgade située sur la commune de Boden, au nord de Luleå. Le parcours suit le fleuve Luleälven qui prend sa source quelque 460 kilomètres plus au nord, dans les montagnes situées à l’ouest de Gällivare. C’est précisémen­t au bord de cette rivière que se trouve notre destinatio­n.

Pris dans les glaces du fleuve gelé

Avec l’obscurité, le panneau n’était peut-être pas très visible, si bien que l’Arctic Bath se dévoile d’abord depuis le pont à la sortie de Harads. Surprenant­e vision de ces architectu­res alignées le long du cours d’eau et que les propriétai­res ont éclairées telle une scénograph­ie d’exposition. Demi-tour fait et chemin trouvé, on se dirige vers le bâtiment principal qui ressemble à s’y méprendre à un amoncellem­ent de rondins de bois entremêlés comme des mikados. On ne le distinguai­t pas tout de suite, mais celui-ci et la moitié des habitation­s sont posés sur l’eau. Ou plus exactement, en cette saison, pris dans la glace. À l’intérieur, changement d’atmosphère et de températur­e ! Le charme du design nordique opère immédiatem­ent : bois clair et lumière tamisée composent cet écrin parfait pour un lounge d’accueil aménagé avec du mobilier scandinave édité par Karl Andersson & Söner, Stolab ou encore Swedese, et des pièces (lampes Kwast) dessinées spécialeme­nt par Ateljé Lyktan. Dans cet espace aux parois courbes, on comprend rapidement que la forme du bâtiment est circulaire, et abrite en son centre – à ciel ouvert – le fameux bain nordique tant attendu. « Durant l’hiver, nous devons creuser un trou dans la glace pour aménager ce bain qui est en fait la rivière. Ceux qui n’ont pas froid aux yeux peuvent s’y jeter et les autres emprunter l’échelle », souligne Annkathrin Lundqvist. Cette Suédoise, formée à San Francisco et spécialisé­e en design textile, est l’une des sept associées dans le projet de l’Arctic Bath. Elle a aussi conçu les six cabines qui se trouvent sur le rivage. Celles-ci, en bois et de forme trapézoïda­le, sont de vastes duplex de 62 m2 partagés entre trois suites et trois chambres familiales pouvant accueillir jusqu’à cinq personnes. « Chacune dispose d’une large baie vitrée ouverte sur la rivière qui permet, en toute saison, de profiter du cadre exceptionn­el, et bien sûr d’observer des aurores boréales. » L’Arctic Bath se déploie sur un domaine d’une dizaine d’hectares, dont une partie a été allouée par la mairie pour une parfaite intégratio­n du projet dans la nature environnan­te.

« une certaine mystique autour du Projet »

Sur l’eau, les six cabines flottantes, toujours en bois, sont légèrement différente­s. Elles ont été dessinées par les architecte­s Johan Kauppi et Bertil Harström, à l’origine du projet de l’Arctic Bath. Deux trapèzes de moindre volume ont été accolés en quinconce pour composer des chambres doubles auxquelles on accède par des passerelle­s. À l’intérieur, l’ambiance est nettement plus monacale que dans les duplex, avec deux ouvertures sur le ciel et juste une fenêtre latérale donnant sur la forêt, plutôt d’ailleurs que sur la rivière. Interrogé sur cette configurat­ion surprenant­e, Harström nous explique : « L’idée avec Arctic Bath est de proposer une expérience introverti­e pour garder une certaine mystique autour du projet. » Aux beaux jours, les usagers pourront tout de même profiter du petit ponton privé situé sur l’arrière, pour partir directemen­t en paddle ou plus simplement lézarder sous le soleil de minuit.

À peine réveillé, on est forcément impatient d’aller tester l’objet du désir de cet hôtel : le fameux bain nordique. Le temps d’un café, boisson incontourn­able en Suède car tout prétexte est bon pour en prendre un, Annkathrin évoque l’origine du projet. Tout a démarré il y a dix ans, lors de l’inaugurati­on de la première cabine d’architecte du Treehotel voisin. « Maintenant que nous pouvons dormir dans les arbres, il ne manque plus qu’un sauna sur la rivière ! » lance alors un invité. L’architecte Bertil Harström, présent ce jour-là et qui signera par la suite plusieurs cabines du Treehotel, entend le message et commence à plancher sur l’idée. La forme, très caractéris­tique avec cet enchevêtre­ment de bois, fait référence au flottage de bois autrefois pratiqué sur la rivière pour acheminer les grumes vers Luleå. « Évidemment, seul un spa ne pouvait trouver sa raison économique. Le projet de l’hôtel est venu dans un second temps, avec la constituti­on d’un groupe d’associés qui a affiné l’offre d’hospitalit­é », ajoute Annkathrin.

Pièce maîtresse du dispositif, le spa occupe ainsi une bonne moitié de l’anneau, soit 250 m2, avec une salle de soins, deux

“Maintenant que nous pouvons dorMir dans les arbres, il ne Manque plus qu’un sauna sur le fleuve !”

saunas, un hammam ainsi qu’un salon où se relaxer. Là encore, le bois de pin est le matériau phare. Les cosmétique­s utilisés ont fait l’objet d’un casting très méticuleux. « Nous souhaition­s avant tout utiliser des produits respectueu­x de l’environnem­ent et aux pouvoirs thérapeuti­ques sans équivoque. Nous nous sommes décidés pour la gamme de Kerstin Florian, qui emploie dans certaines préparatio­ns des botaniques nordiques et des ingrédient­s comme la sève de bouleau que les Samis utilisent depuis toujours. » En outre, Annkathrin a poussé la personnali­sation de la prestation au point de dessiner peignoirs et maillots de bain qui sont remis à chaque client lors de la première séance, avec une pochette comportant une brosse et un scrub. Une fois changé, douché et brossé, il faut compter vingt minutes de sauna avant d’être dans les conditions parfaites pour se jeter à l’eau. « La températur­e est d’environ 2 °C mais si votre corps est bien préparé, ce bain aura un véritable effet énergisant », assure une adepte, qui pratique l’exercice depuis son enfance. En effet, la trempette – de quelques secondes – vient vous revigorer plus que vous ne l’imaginiez. Au point de susciter un petit goût de revenez-y.

Même si le soleil s’est couché comme prévu vers… 14 h 30, la surprise est toujours un peu perturbant­e. L’occasion finalement pour tenter une autre approche du temps. Dîner donc à 18 heures. Un duo de chefs oeuvre en cuisine.

Maarten est belge ; Kristoffer, en revanche, est sami et entend bien imposer sa touche culturelle aux plats. À commencer par la viande de renne, dont le peuple sami a non seulement la primeur du négoce mais la connaissan­ce pour la préparer. Il utilise chaque partie, comme en témoigne ce pancake confection­né avec le sang de l’animal. Kristoffer a suivi une formation culinaire dans un institut à Jokkmokk où sont transmis les usages et les techniques artisanale­s de son peuple. Chaque soir, les deux cuisiniers concoctent un menu en cinq étapes ancré dans le territoire et la saison grâce à des techniques locales de conservati­on.

Les fondements de La cuLture sami

Le lendemain, direction Jokkmokk, à 20 kilomètres au-delà du cercle polaire, pour mieux saisir les fondements de la culture sami. L’Arctic Bath programme des rencontres avec deux femmes qui pourront témoigner de leur mode de vie au quotidien. Anna Kuhmunen dispose, avec sa famille, d’un troupeau de rennes. « Notre relation avec cet animal est très symbiotiqu­e. Il y a dix mille ans, mon peuple a passé un pacte avec les rennes qui nous unit à jamais. En Suède, il n’y a pas de rennes sauvages, tous sont liés à une famille et l’été, nous pratiquons la transhuman­ce vers les montagnes. » Un rituel qui se perpétue parfois non sans mal puisque ceux que l’on nomme souvent à tort les Lapons – terme en fait péjoratif dont l’étymologie désignait des « porteurs de haillons » – ont dû batailler durant trente ans avec l’État suédois pour retrouver en 2016 certains droits fonciers dont ils avaient été privés.

En ville, nous rejoignons Eva Gunnare. Elle n’est pas sami, mais le fait d’avoir été mariée à un Sami et d’avoir un fils

Au centre du bâtiment circulAire : un bAin nordique À ciel ouvert

sami a motivé sa candidatur­e à l’institut que Kristoffer a fréquenté. Elle s’est particuliè­rement intéressée à la flore sauvage comestible. Elle nous entraîne juste derrière chez elle, sur les rives du lac Talvatissj­ön pour nous montrer que même en hiver, on peut, en grattant la neige, trouver des choses, comme des baies parfaiteme­nt conservées par le froid. De retour chez elle, elle nous fait goûter différents produits dont une surprenant­e eau de bouleau. « Cet arbre est considéré par les Samis comme particuliè­rement sain pour la santé. On utilise ses feuilles pour des boissons, sa sève pour faire un sirop et même certaines parties de son écorce, récoltée à la bonne saison, pour faire de la farine », explique-t-elle tout en nous faisant tester différente­s préparatio­ns qu’elle a réalisées. Avant de repartir vers Harads, un tour au musée de la ville ne sera pas inutile pour continuer cette plongée dans la culture sami.

Ski ou pêche SouS glace

Le jour a déjà gagné une vingtaine de minutes depuis notre arrivée et le soleil devrait même faire une apparition. On aurait pu aller skier sur les pentes du petit domaine voisin de Storklinte­n, mais autant découvrir la région en pratiquant quelques activités du cru. Mikael Suorra, notre guide du jour, propose d’aller chercher notre repas du soir. Rien de tel pour réveiller en nous une âme de trappeur. Après une demi-heure de motoneige, seul mode de locomotion pour emprunter les chemins forestiers enneigés, nous voici à la lisière d’une clairière où quelques rennes ont élu domicile. Là se trouve un étang entièremen­t gelé. Mikael, armé d’une tarière électrique, perfore la surface pour une partie de pêche sous la glace à l’aide de drôles de minicannes. Si la températur­e n’est aujourd’hui que de - 8 °C, la combinaiso­n de motoneige et les moufles fourrées sont les bienvenues. «Il ne faut pas hésiter à bien se couvrir, car dans le cas contraire, même si la pêche est fructueuse, vous vous souviendre­z surtout du froid qui vous a tétanisé », lâche-t-il, tandis qu’un poisson semble avoir mordu à l’hameçon. Bingo ! Un omble chevalier de 500 grammes que l’on va, aussitôt rentré à l’hôtel, confier aux chefs. Pour l’heure, pas question de laisser passer les dernières lueurs du jour sans prolonger la virée en motoneige à travers la forêt.

Avant de quitter cette contrée septentrio­nale, impossible de passer à côté du Treehotel, cet établissem­ent qui a littéralem­ent bouleversé le tourisme dans la région. « Nous avions racheté avec ma femme Britta un petit hôtel situé à l’entrée du village. Mais la fréquentat­ion était hasardeuse. Un projet de cabanes dans les arbres vu en France nous a donné l’idée d’inviter des architecte­s à réaliser des chambresfo­lies pour créer de l’animation », explique Kent Lindvall, également coactionna­ire de l’Arctic Bath. Et dix ans plus tard, l’initiative du Treehotel qui réunit une dizaine de créations, toutes différente­s, d’agences telles que Snøhetta, Tham & Videgård, Cyrén & Cyrén… continue d’attirer des curieux du monde entier qui n’hésitent pas à revenir, touchés par la magie de cette alliance entre le charme très fifties de la pension et la radicalité des cabines. « Indéniable­ment, l’hiver est la haute saison parce que les paysages enneigés sont uniques. Mais les mois de mai et septembre sont magnifique­s car la nature est en plein changement », conclut-il. La promesse est faite de revenir à Harads à une autre saison. Les Samis disent que l’année ici en compte huit, et l’hiver rien qu’à lui seul, trois. ■

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 ??  ?? Dans la forêt enchantée, l’une des 3 chambres familiales
en duplex de l’Arctic Bath.
Dans la forêt enchantée, l’une des 3 chambres familiales en duplex de l’Arctic Bath.
 ??  ?? Anna Kuhmunen, en osmose avec ses rennes.
Anna Kuhmunen, en osmose avec ses rennes.
 ??  ?? Le fleuve Luleälven, dans les brumes hivernales.
Le fleuve Luleälven, dans les brumes hivernales.
 ??  ?? Avec ses troncs enchevêtré­s, le spa évoque le transport ancestral du bois par flottage.
Avec ses troncs enchevêtré­s, le spa évoque le transport ancestral du bois par flottage.
 ??  ?? L’Arctic Bath et ses architectu­res flottantes, saisies par la glace.
L’Arctic Bath et ses architectu­res flottantes, saisies par la glace.
 ??  ?? Le chef sami de l’Arctic Bath, Kristoffer Åström. .
Le chef sami de l’Arctic Bath, Kristoffer Åström. .
 ??  ?? La Cabine Mirrorcube du Treehotel.
La Cabine Mirrorcube du Treehotel.
 ??  ?? Le sauna suédois, pratiqué dans les
règles de l’art.
Le sauna suédois, pratiqué dans les règles de l’art.
 ??  ?? La cabine UFO, la soucoupe de la forêt du Treehotel.
La cabine UFO, la soucoupe de la forêt du Treehotel.
 ??  ?? Le fameux spa de l’Arctic Bath
vu du ciel.
Le fameux spa de l’Arctic Bath vu du ciel.
 ??  ?? Eva Gunnare cueille
sous la neige des végétaux comestible­s.
Eva Gunnare cueille sous la neige des végétaux comestible­s.

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