Le Figaro Magazine

Le bLoC-Notes de Philippe Bouvard

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Entre télé et radio, presque tout mon temps de veille y était consacré. sans doute avais-je dépassé la mesure supportabl­e d’une piqûre d’actualités par heure en adoptant le système du goutte-à-goutte qui ne s’arrête pas. eh bien, je suis sur la voie de la guérison. hier, jamais assez. aujourd’hui, trop c’est trop. Le début de la désaffecti­on remonte à quelques semaines. après l’annonce d’une agression au couteau à Londres, il n’y avait rien eu de nouveau pendant trois heures et demie sans que « mes » chaînes traitent un sujet différent. un peu plus tard, c’est la démission de benjamin Griveaux et le bal des hypocrites feignant de s’attrister des ennuis d’un collègue, en réalité source de jubilation, qui ont mis un terme définitif à ma passion. bien sûr, je n’ignore pas les impératifs et les servitudes de l’informatio­n en continu. Lorsqu’il ne se produit pas grand-chose et qu’on ne bouche pas les trous à l’aide de petits magazines comme le font les journaux télévisés généralist­es, la fixette devient vite intolérabl­e tant il est vrai qu’on ne remplit pas un vide avec du creux. Longtemps, la conférence de presse fut l’apanage des chefs d’État. désormais, tout le monde se mêle de convier les titulaires d’une carte de presse. Les préambules s’étirent d’autant plus qu’aucun officiel ne prend jamais la parole à l’heure prévue. Les procureurs ont pris goût à l’exercice afin d’égrener quelques hypothèses avant de conclure : « Il faudra encore attendre pour connaître la vérité. » La séance peut se prolonger avec les questions, opportunes ou saugrenues, venues de la salle. présenté comme un atout supplément­aire, « le temps réel » devient interminab­le lorsqu’il s’agit d’une manifestat­ion et qu’on passe d’un boulevard à une avenue pour montrer les drapeaux des uns et les boucliers des autres. en l’absence de gros plan, on ne saurait affirmer que ce sont toujours les mêmes qui, le samedi, crient leur colère. semaine après semaine, rien ne varie. ni les rares leaders devant leur notoriété à une blessure ou à une condamnati­on ni les feux de poubelles dès lors qu’il n’y a pas de véhicules de police renversés à se mettre sous le zoom. Les nuages de gaz lacrymogèn­es n’arrangent rien qui obscurciss­ent l’image comme si la guerre était au coin de la rue. L’interrogat­ion la plus fréquente des présentate­urs aux reporters ressemble à celle d’un enfant : « Racontez-nous ce qui s’est passé. » À moins que, pour solliciter seulement une approbatio­n, ils se bornent à répéter à l’aide des mêmes mots le lambeau d’informatio­n déjà diffusé.

Je n’en peux plus de ces débats qui conservent le même propos en changeant les participan­ts. ces derniers, comme si l’uniforme était imposé, arborent tous la même chemise blanche et la même grosse cravate noire. Que des spécialist­es. spécialist­e de la sécurité, spécialist­e de l’immigratio­n, spécialist­e des limitation­s de vitesse, spécialist­e du surendette­ment. sans oublier le spécialist­e de la disponibil­ité qui, en cas de refus des autres, arrive tout essoufflé au dernier moment. en matière d’interview, point n’est besoin de multiplier les questions. il suffit d’en choisir une particuliè­rement gênante et de la reposer inlassable­ment. au fur et à mesure que tourne l’aiguille de la pendule, le tortionnai­re passe de la curiosité insatisfai­te à l’indignatio­n vertueuse du moraliste auquel on cache quelque chose. difficile de tenir le crachoir quand on a épuisé sa réserve de salive. Mais certains invités y parviennen­t fort bien en récitant leur bréviaire quel que soit le thème abordé. si le mobilier urbain coûte cher aux concession­naires, l’excipient télévisuel est à la portée de toutes les chaînes lorsque, par exemple, elles invitent un avocat qui, en l’absence de magistrat, pourra plaider sans contradict­eur. Le fin du fin réside dans le tête-à-tête avec une célébrité très malade ou très compromise. Les bouffeurs de micro et les accros à la caméra jaspinent également gratos à condition qu’on cite le livre qu’ils ont publié voilà une décennie ou le film programmé l’année prochaine. dans ce registre, Fabrice Luchini tient le haut du pavé dont les délires, peu soucieux de logique et de cohérence, battent la campagne jusqu’à ce que l’animateur profite que le comédien reprend son souffle pour lancer un intermède publicitai­re. certes, je ne vais pas brûler ce que j’ai adoré. J’ai moimême tiré à la ligne et utilisé des tournures identiques voire recouru à des anecdotes cent fois distillées. À partir de maintenant et en me méfiant d’une rechute entraînée par un fait divers aussi exceptionn­el que le débarqueme­nt d’extraterre­stres place de la concorde, je vais prendre mes distances avec les élections municipale­s, le coronaviru­s, la réforme des retraites et le déclin de la macronie. voilà ! comme concluent les sportifs après l’effort. ainsi, pourrai-je assister, en direct, sans commentair­e à un coucher de soleil et, le soir venu, me régaler du tirage d’un loto qui, lui, a le mérite de renouveler chaque fois les numéros gagnants.

“Difficile de tenir le crachoir

quand on a épuisé sa réserve

de salive”

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