SOLLERS AVAIT RAISON
Une fois de plus, Philippe Sollers dénonce le retour de l’ordre moral. Mais cette fois, il a été convoqué par la police.
Le bureau de Philippe Sollers chez Gallimard vient d’être perquisitionné. Mi-février, il a été convoqué par la police de Nanterre, à l’OCRVP (Office central pour la répression des violences aux personnes). Il est l’éditeur d’un pédophile, comme Jérôme Lindon avec Tony Duvert, mais Jérôme Lindon a la chance d’être mort. Philippe Sollers a toujours affirmé qu’être publié chez Gallimard équivalait à une assurance à la Lloyd’s. Or ce n’est plus le cas depuis le 7 janvier dernier, quand Gallimard a retiré des librairies les journaux intimes de Gabriel Matzneff. Son monde se fissure.
Dans son dernier roman – dont il dit que le titre ferait un beau nom de parfum : Désir –, Philippe Sollers ressuscite Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), auteur de L’Homme de désir en 1790. Celui qu’il surnomme « le Philosophe inconnu » lui permet d’évoquer le mouvement #MeToo, qu’il orthographie à la Colette : « Mitou. » « La chasse aux porcs masculins est ouverte dans les entreprises, les services publics, les milieux politiques et cinématographiques. (…) Un nouveau monde surgit, celui du contre-désir. » Et soudain, lisant cette phrase, on ouvre les yeux. Ce qui est en train de se passer, Philippe Sollers l’annonce depuis 1983. Il était le premier à écrire ceci : « Le monde appartient aux femmes. C’est-à-dire à la mort. » À l’époque, on le prenait pour un paranoïaque. C’était dans Femmes, un roman qui racontait la vie d’un séducteur antiféministe, et prédisait une guerre des sexes. Aujourd’hui, il persiste et signe : « Au moindre signe de vrai désir, la répression s’organise. » Entre-temps Debord est mort, Muray et Roth aussi, ainsi que Guyotat, et Sollers ne se sent pas très bien : « Le mâle hétérosexuel blanc n’est plus qu’un souvenir pénible du passé en ruine. » Il cite avec nostalgie Histoire d’O, selon lui « le meilleur livre érotique féminin », publié en 1954, comme Bonjour tristesse. À l’époque, les femmes faisaient scandale pour leur liberté, elles n’appelaient pas à boycotter des livres ou des films. Plus personne ne lit celui qui a gouverné le milieu littéraire durant des décennies. Et à présent que tout ce que Sollers imaginait est devenu réel (la censure par la morale puritaine, la mort de la liberté sexuelle), il est trop tard : « Seules les victimes ont le droit de parler. » Désir est un testament provocateur, émouvant et lucide comme un chant du cygne. Page 89, il aggrave son cas : « Il se souvient des merveilleuses pédophiles qui l’ont violé lorsqu’il avait douze ans. » Oh là là. Après Moix, Handke, Polanski et Matzneff, son tour arrive, et l’on imagine avec mélancolie Philippe Sollers se frottant les mains.
Désir, de Philippe Sollers, Gallimard, 130 p., 14,50 €.