MAIS JUSQU’OÙ IRONT LES PRIX ?
Dans les centres-villes les plus recherchés, rien ne semble pouvoir arrêter la spirale infernale de la pénurie de biens à vendre et l’envolée des prix qui va avec.
Alors qu’un vent de panique souffle sur les Bourses mondiales et sur le marché du pétrole, l’immobilier semble jouer plus que jamais son rôle de valeur refuge. Certes, les agents immobiliers s’inquiètent de visites annulées ou reportées pour cause de coronavirus et craignent que le dynamisme habituel en ce début de printemps soit un peu moins présent. Mais les fondamentaux du marché sont sains et les besoins de logements tels que les décisions d’achats ne seront, au pire, que reportées de quelques semaines. « Chaque fois qu’il y a eu de grosses crises, le marché immobilier est apparu résilient et sécurisant, rappelle Jean-François Morineau, directeur général délégué de BNP Paribas Real Estate. Le logement est la seule classe d’actifs à offrir cela. »
Et les Français ne sont pas les seuls à dire que le marché immobilier hexagonal, surtout parisien, est particulièrement solide. Coup sur coup, deux études internationales émanant de réseaux immobiliers britanniques (Savills et Knight Frank) ont pointé la situation remarquable de Paris pour son immobilier haut de gamme. « Paris est dans la surperformance depuis près de trois ans, souligne Hugues de La Morandière, cofondateur de l’agence Varenne, partenaire de Savills. La croissance mondiale de l’immobilier de luxe n’a jamais été aussi faible et seuls Paris et Berlin émergent actuellement. »
LES ÉTRANGERS DE RETOUR
La capitale française serait notamment portée par une double demande, à la fois nationale et internationale. Les étrangers sont en effet de retour et affichent une confiance retrouvée dans l’immobilier parisien où ils signent quelquesunes des plus grosses transactions, mais le marché, y compris celui du luxe, reste à 85 % aux mains des Français. Dans ce marché en ébullition, les ventes à plus de 2 millions d’euros ont bondi de 27 % en un an et celles à plus de 4 millions de 33 %, selon cette étude. Et les transactions record atteignent 40 000 €/m².
Et la situation ne devrait pas en rester là. Le réseau Knight Frank prévoit que Paris sera la championne 2020 pour la hausse des prix dans le haut de gamme, avec une progression annuelle évaluée à 7 %. Des prévisions effectuées avant la survenue de l’épidémie de coronavirus, mais pour l’instant, sauf pandémie gravissime, tous les spécialistes s’accordent à reconnaître que le marché immobilier français est solide et sain.
Les années se suivent et se ressemblent désormais avec des volumes de ventes qui enchaînent des records et les prix aussi. Avec 1,07 million de ventes, 2019 a fait bien mieux que la belle année 2018, bouclant une quatrième année de hausse consécutive selon les statistiques officielles. Et surtout, la fièvre des prix qui atteint des niveaux inégalés à Paris – quasiment + 7 % en un an (voir page 138) – touche désormais autant les régions que l’Île-de-France (voir page 146). La province a ainsi connu une augmentation des tarifs de 3,6 % (voir page 150), très comparable aux 3,9 % de la région parisienne.
RISQUE DE BULLE
Sans aucun doute, les taux de crédit exceptionnellement bas ont largement contribué à cette valse des étiquettes. Tous les gains de pouvoir d’achat immobilier permis par ces taux bas (ainsi que l’allongement de la durée des crédits) se sont ainsi transformés en supplément de prix. Fin 2019, ce pouvoir d’achat immobilier des ménages était de 22 % supérieur à sa moyenne de long terme, selon les calculs de BNP Paribas Real Estate, un niveau jamais atteint depuis l’année 2000. À tel point que les autorités ont commencé à alerter sur un risque de bulle sur les crédits immobiliers. D’où un resserrement des conditions d’attribution de ces financements (voir p. 132) qui pourrait désolvabiliser 100 000 à 200 000 ménages, selon les évaluations.
« À Paris, la demande est tellement supérieure à l’offre que le resserrement du crédit ne devrait pas changer grand-chose, considère Jean-François Morineau. En revanche, il faudra suivre de près ce qui se passe en première et deuxième couronnes où les gens achètent leur logement avec le fruit de leur travail. Il ne faudrait pas que des conditions plus restrictives empêchent ces personnes de remplacer leurs mensualités locatives par des mensualités de crédit. » « La France est sans doute le pays d’Europe, voire du monde où il y a le moins d’incidents de crédit, s’emporte Jean-Philippe Ruggieri, directeur général
de Nexity. Avec ces recommandations, on tape sur un problème qui n’existe pas… » Une situation qui devrait toucher de plein fouet les ménages les plus modestes, mais aussi des acheteurs aux revenus confortables qui dépassent les 33 % d’endettement tout en conservant un reste à vivre confortable. L’impact de ce tour de vis s’est fait sentir si vite que les autorités pourraient revenir rapidement sur ces recommandations.
Et si les évolutions négatives ne viennent pas du crédit, faut-il alors s’inquiéter d’une évolution défavorable de la fiscalité immobilière (voir p. 136) ? Avec la disparition prochaine de la taxe d’habitation pour tous, beaucoup parient sur un alourdissement possible de la taxe foncière voire sur une fiscalisation des plus-values sur la résidence principale. Des interrogations réelles mais qui ne devraient pas non plus émousser l’appétit pour la pierre. « Malgré une fiscalité importante, nous avons vu revenir des investisseurs privés sur des achats importants d’immeubles car c’est la seule chose qu’ils sont sûrs de pouvoir transmettre à leurs enfants », analyse pour sa part Jean-François Morineau.
OÙ EST LE CHOC D’OFFRE ?
Si aucun de ces facteurs ne semble avoir d’impact sur les prix immobiliers dans un futur proche, quel élément pourrait changer la donne ? « Le gouvernement nous avait promis un choc d’offre pour faire baisser les prix et nous avons eu au final une baisse de l’offre et une hausse des prix, estime Jean-Philippe Ruggieri. Toutes les mesures proposées, de l’encadrement des loyers à la loi Nogal en passant par la baisse des APL, ne s’intéressent qu’à des symptômes de la crise du logement sans traiter le problème au fond. Pour créer de l’offre, il faut réformer l’urbanisme. » Et pour Nexity, cette réforme passe par un mode de construction plus « intense » qu’actuellement : à savoir des bâtiments plus hauts, conçus comme des « villages verticaux » qui libéreraient de la surface au sol pour créer des espaces verts. Une façon d’habiter moins chère, évitant l’étalement urbain et qui pourrait, à en croire Jean-Philippe Ruggieri, concilier des impératifs esthétiques et écologiques. Finalement, c’est peut-être du côté du marché de lalocation que pourraient venir le plus de changements dans les mois qui viennent. L’innovation du bail mobilité lancé l’an dernier ne semble pas, pour l’instant, porter ses fruits (voir p. 166), mais les questions de l’encadrement des loyers et des rapports propriétaires-locataires ont pris de l’ampleur dans le débat des municipales. La proposition de loi Nogal avait suscité une levée de boucliers de nombreux propriétaires en suggérant de les priver de leur dépôt de garantie, mais celle de La France insoumise est infiniment plus radicale. Elle envisage un encadrement des loyers sur tout le territoire et une nouvelle taxe sur les revenus locatifs. Et certains spécialistes de l’immobilier estiment qu’on aurait tort de se gausser devant ces deux idées qui pourraient rencontrer un large écho dans l’opinion. Le débat autour de ces propositions de loi sera à suivre attentivement dans les mois qui viennent.