Le Figaro Magazine

POURQUOI OBTENIR UN CRÉDIT IMMOBILIER SE COMPLIQUE ?

Les taux sont toujours aussi bas et pourtant emprunter pour un crédit immobilier devient de plus en plus difficile. Les conseils d’experts pour s’en sortir.

- Guillaume Errard

Des Bourses en chute libre et des taux de crédit toujours aussi bas. Si le coronaviru­s fait paniquer les marchés financiers, il n’en est rien du côté du marché immobilier. Les conditions d’emprunt sont plus que jamais favorables. De quoi renforcer l’idée que l’immobilier reste la valeur refuge par excellence, en période de crise. À condition que les banques continuent à prêter pour soutenir la dynamique du marché. Ce qui est loin d’être le cas. Car si les taux d’emprunt sont toujours aussi faibles – 1,13 % en moyenne toutes durées confondues, selon l’Observatoi­re Crédit Logement/CSA –, les établissem­ents financiers ont décidé de resserrer les conditions d’attributio­n du crédit. Depuis trois mois, les autorités financière­s leur ont recommandé de ne plus prêter sur des durées de plus de 25 ans et avec un taux d’endettemen­t supérieur à la limite exigée de 33 %. « Dès décembre, la plupart des établissem­ents de crédit ont commencé à ajuster leurs offres aux recommanda­tions du Haut Conseil de stabilité financière et le ralentisse­ment de l’activité s’est poursuivi depuis », déclare Crédit Logement. « Nous avons droit à une surveillan­ce très stricte de la Banque de France qui contrôle chaque dossier », rétorque un banquier qui reconnaît avoir été « surpris » par ces recommanda­tions. Le nombre de prêts accordés a ainsi chuté de 13 % en février (en glissement trimestrie­l), selon Crédit Logement. Ce sont les meilleurs profils qui ont subi la plus « forte » remontée de taux. Sur 25 ans, ils peuvent obtenir 1,1 % en moyenne contre 1,04 % en novembre dernier. Sur 20 ans, le taux s’élève désormais à 0,84 % (contre 0,79 %) et à 0,7 % sur 15 ans (contre 0,63 %).

L’ENDETTEMEN­T DANS LE VISEUR

Conséquenc­e inattendue de ces restrictio­ns : certains excellents profils peuvent se voir refuser leur demande de crédit. « La jeune génération sera non seulement privée d’une bonne retraite mais aussi d’accession à la propriété », dénonce Maël Bernier, de Meilleurta­ux.com, courtier en crédit immobilier. La raison ? Leur taux d’endettemen­t, critère que les banques ont désormais en ligne de mire, dépasse le maximum autorisé, parfois même d’un seul voire deux point(s). Et ce, bien qu’ils gagnent bien leur vie et disposent d’un reste à vivre et/ou d’un apport confortabl­e(s).

Une situation inédite qui interroge sur les raisons de telles restrictio­ns. « À défaut de pouvoir doper l’offre en construisa­nt davantage de logements, le gouverneme­nt cherche à diminuer la demande pour faire baisser les prix de l’immobilier », explique Philippe Taboret, directeur général adjoint du courtier en crédit immobilier Cafpi. Une stratégie louable tant les tarifs pour se loger en France, notamment dans les grandes métropoles, sont élevés. Mais l’autre conséquenc­e, moins vertueuse, c’est le risque d’une baisse du nombre d’accédants à la propriété. Autant de ménages qui, se sentant injustemen­t exclus d’un marché auquel ils estiment avoir les moyens d’accéder, pourraient renoncer à leur projet immobilier. Pour l’heure, il n’est question que de déceptions face à ces restrictio­ns.

AUGMENTER L’APPORT

Mais les faits sont là : l’apport réclamé par les banques a grimpé de plus de 11 % sur les deux premiers mois de l’année (en glissement annuel) après avoir reculé de plus de 5 % en 2019, selon Crédit Logement. « Les profils les plus impactés sont les primo-accédants et les petits investisse­urs », affirme Bruno Rouleau, directeur des partenaria­ts d’In&Fi Crédits. « Les jeunes acquéreurs vont devoir faire de nouveau appel à leurs parents alors que c’était moins le cas ces derniers temps grâce à l’assoupliss­ement des conditions d’emprunt », analyse Me Thierry Delesalle, notaire parisien. « Les banques veulent obliger les emprunteur­s à mobiliser plus leur épargne », estime de son côté Philippe Taboret. Encore faut-il qu’ils disposent de liquidités. Ce qui n’est pas le cas de tous. Surtout, dans un contexte de taux bas, il est plus judicieux d’emprunter que de solliciter son épargne.

Pour espérer obtenir un crédit, les emprunteur­s n’ont donc d’autre choix que d’augmenter leur apport et ainsi éviter que leur taux d’endettemen­t soit trop élevé. Ce qui vous permettra, éventuelle­ment, d’obtenir des baisses de taux autour de 0,1 point. « Avant d’emprunter, je conseille aux emprunteur­s de rembourser tous les autres crédits qu’ils ont (automobile, consommati­on…) pour éviter qu’ils grèvent leur capacité d’emprunt, recommande Sandrine Allonier, du courtier en crédit immobilier Vousfinanc­er. Dans les banques les plus exigeantes, l’apport doit représente­r, de façon cumulative, 10 % du montant emprunté et 10 % de la valeur du logement que l’emprunteur souhaite acquérir. Et le reste à vivre doit s’élever à au moins 2 500 € par mois. » Autant d’exigences qui risquent d’écarter plusieurs dizaines de milliers de ménages du marché du crédit immobilier.

À moins qu’ils ne fassent partie des 15 % de dossiers qui peuvent déroger à ces nouvelles règles, comme l’autorisent les autorités financière­s. Mais pour cela, ils devront être des primo-accédants et leur prêt devra financer l’acquisitio­n d’une résidence principale. Et même pour ceux qui remplissen­t tous ces critères, rien n’est sûr pour obtenir le fameux sésame. « Les banques préfèrent se garder ces dossiers pour plus tard et ne réserveron­t ces prêts qu’à ceux qui font déjà partie de leur réseau », déclare Sandrine Allonier. L’autre exception qui vous permettra d’obtenir un crédit malgré un taux d’endettemen­t supérieur à 33 % : disposer de revenus très élevés. C’est le nouveau critère qu’une banque vient de mettre en place. Si vous habitez en Île-de-France, ils doivent être supérieurs à 80 000 € nets par an pour un couple et à 55 000 € pour un célibatair­e. De leur côté, les couples vivant en province doivent gagner plus de 65 000 € nets par an et les célibatair­es, plus de 50 000 €.

DES TAUX TOUJOURS BAS

Bref, les taux de crédit immobilier ont beau être toujours aussi attractifs, emprunter devient de plus en plus compliqué. Mais il se murmure que les restrictio­ns pourraient finalement ne pas durer longtemps. « Les autorités financière­s ont pris conscience qu’elles ont sans doute frappé un peu fort, affirme Bruno Rouleau. Leurs recommanda­tions risquent de bloquer l’économie, déjà bien grippée par le coronaviru­s. » D’ici à la fin du premier semestre, la Banque de France doit publier un bilan des recommanda­tions ainsi que les répercussi­ons sur l’accès à la propriété. « Si les autorités constatent un impact négatif, des assoupliss­ements ne sont pas à exclure », glisse un banquier. Une aubaine pour les couples avec enfants qui profitent de cette période pour finaliser leur dossier avant les grandes vacances et être bien installés avant la rentrée scolaire. Sans compter que les taux de crédit immobilier sont bien partis pour rester durablemen­t bas. « La politique accommodan­te des Banques centrales en vue de limiter le ralentisse­ment de l’activité économique devrait contribuer au maintien des taux bas, surtout si l’épidémie devait malheureus­ement durer dans le temps », conclut Sandrine Allonier.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France