POURQUOI OBTENIR UN CRÉDIT IMMOBILIER SE COMPLIQUE ?
Les taux sont toujours aussi bas et pourtant emprunter pour un crédit immobilier devient de plus en plus difficile. Les conseils d’experts pour s’en sortir.
Des Bourses en chute libre et des taux de crédit toujours aussi bas. Si le coronavirus fait paniquer les marchés financiers, il n’en est rien du côté du marché immobilier. Les conditions d’emprunt sont plus que jamais favorables. De quoi renforcer l’idée que l’immobilier reste la valeur refuge par excellence, en période de crise. À condition que les banques continuent à prêter pour soutenir la dynamique du marché. Ce qui est loin d’être le cas. Car si les taux d’emprunt sont toujours aussi faibles – 1,13 % en moyenne toutes durées confondues, selon l’Observatoire Crédit Logement/CSA –, les établissements financiers ont décidé de resserrer les conditions d’attribution du crédit. Depuis trois mois, les autorités financières leur ont recommandé de ne plus prêter sur des durées de plus de 25 ans et avec un taux d’endettement supérieur à la limite exigée de 33 %. « Dès décembre, la plupart des établissements de crédit ont commencé à ajuster leurs offres aux recommandations du Haut Conseil de stabilité financière et le ralentissement de l’activité s’est poursuivi depuis », déclare Crédit Logement. « Nous avons droit à une surveillance très stricte de la Banque de France qui contrôle chaque dossier », rétorque un banquier qui reconnaît avoir été « surpris » par ces recommandations. Le nombre de prêts accordés a ainsi chuté de 13 % en février (en glissement trimestriel), selon Crédit Logement. Ce sont les meilleurs profils qui ont subi la plus « forte » remontée de taux. Sur 25 ans, ils peuvent obtenir 1,1 % en moyenne contre 1,04 % en novembre dernier. Sur 20 ans, le taux s’élève désormais à 0,84 % (contre 0,79 %) et à 0,7 % sur 15 ans (contre 0,63 %).
L’ENDETTEMENT DANS LE VISEUR
Conséquence inattendue de ces restrictions : certains excellents profils peuvent se voir refuser leur demande de crédit. « La jeune génération sera non seulement privée d’une bonne retraite mais aussi d’accession à la propriété », dénonce Maël Bernier, de Meilleurtaux.com, courtier en crédit immobilier. La raison ? Leur taux d’endettement, critère que les banques ont désormais en ligne de mire, dépasse le maximum autorisé, parfois même d’un seul voire deux point(s). Et ce, bien qu’ils gagnent bien leur vie et disposent d’un reste à vivre et/ou d’un apport confortable(s).
Une situation inédite qui interroge sur les raisons de telles restrictions. « À défaut de pouvoir doper l’offre en construisant davantage de logements, le gouvernement cherche à diminuer la demande pour faire baisser les prix de l’immobilier », explique Philippe Taboret, directeur général adjoint du courtier en crédit immobilier Cafpi. Une stratégie louable tant les tarifs pour se loger en France, notamment dans les grandes métropoles, sont élevés. Mais l’autre conséquence, moins vertueuse, c’est le risque d’une baisse du nombre d’accédants à la propriété. Autant de ménages qui, se sentant injustement exclus d’un marché auquel ils estiment avoir les moyens d’accéder, pourraient renoncer à leur projet immobilier. Pour l’heure, il n’est question que de déceptions face à ces restrictions.
AUGMENTER L’APPORT
Mais les faits sont là : l’apport réclamé par les banques a grimpé de plus de 11 % sur les deux premiers mois de l’année (en glissement annuel) après avoir reculé de plus de 5 % en 2019, selon Crédit Logement. « Les profils les plus impactés sont les primo-accédants et les petits investisseurs », affirme Bruno Rouleau, directeur des partenariats d’In&Fi Crédits. « Les jeunes acquéreurs vont devoir faire de nouveau appel à leurs parents alors que c’était moins le cas ces derniers temps grâce à l’assouplissement des conditions d’emprunt », analyse Me Thierry Delesalle, notaire parisien. « Les banques veulent obliger les emprunteurs à mobiliser plus leur épargne », estime de son côté Philippe Taboret. Encore faut-il qu’ils disposent de liquidités. Ce qui n’est pas le cas de tous. Surtout, dans un contexte de taux bas, il est plus judicieux d’emprunter que de solliciter son épargne.
Pour espérer obtenir un crédit, les emprunteurs n’ont donc d’autre choix que d’augmenter leur apport et ainsi éviter que leur taux d’endettement soit trop élevé. Ce qui vous permettra, éventuellement, d’obtenir des baisses de taux autour de 0,1 point. « Avant d’emprunter, je conseille aux emprunteurs de rembourser tous les autres crédits qu’ils ont (automobile, consommation…) pour éviter qu’ils grèvent leur capacité d’emprunt, recommande Sandrine Allonier, du courtier en crédit immobilier Vousfinancer. Dans les banques les plus exigeantes, l’apport doit représenter, de façon cumulative, 10 % du montant emprunté et 10 % de la valeur du logement que l’emprunteur souhaite acquérir. Et le reste à vivre doit s’élever à au moins 2 500 € par mois. » Autant d’exigences qui risquent d’écarter plusieurs dizaines de milliers de ménages du marché du crédit immobilier.
À moins qu’ils ne fassent partie des 15 % de dossiers qui peuvent déroger à ces nouvelles règles, comme l’autorisent les autorités financières. Mais pour cela, ils devront être des primo-accédants et leur prêt devra financer l’acquisition d’une résidence principale. Et même pour ceux qui remplissent tous ces critères, rien n’est sûr pour obtenir le fameux sésame. « Les banques préfèrent se garder ces dossiers pour plus tard et ne réserveront ces prêts qu’à ceux qui font déjà partie de leur réseau », déclare Sandrine Allonier. L’autre exception qui vous permettra d’obtenir un crédit malgré un taux d’endettement supérieur à 33 % : disposer de revenus très élevés. C’est le nouveau critère qu’une banque vient de mettre en place. Si vous habitez en Île-de-France, ils doivent être supérieurs à 80 000 € nets par an pour un couple et à 55 000 € pour un célibataire. De leur côté, les couples vivant en province doivent gagner plus de 65 000 € nets par an et les célibataires, plus de 50 000 €.
DES TAUX TOUJOURS BAS
Bref, les taux de crédit immobilier ont beau être toujours aussi attractifs, emprunter devient de plus en plus compliqué. Mais il se murmure que les restrictions pourraient finalement ne pas durer longtemps. « Les autorités financières ont pris conscience qu’elles ont sans doute frappé un peu fort, affirme Bruno Rouleau. Leurs recommandations risquent de bloquer l’économie, déjà bien grippée par le coronavirus. » D’ici à la fin du premier semestre, la Banque de France doit publier un bilan des recommandations ainsi que les répercussions sur l’accès à la propriété. « Si les autorités constatent un impact négatif, des assouplissements ne sont pas à exclure », glisse un banquier. Une aubaine pour les couples avec enfants qui profitent de cette période pour finaliser leur dossier avant les grandes vacances et être bien installés avant la rentrée scolaire. Sans compter que les taux de crédit immobilier sont bien partis pour rester durablement bas. « La politique accommodante des Banques centrales en vue de limiter le ralentissement de l’activité économique devrait contribuer au maintien des taux bas, surtout si l’épidémie devait malheureusement durer dans le temps », conclut Sandrine Allonier.