L’ÉDITORIAL
Mieux que tous les discours, le silence qui enveloppe désormais nos villes reflète la sidération dans laquelle le pays est plongé depuis mardi. En quelques heures, nous avons perdu presque tous nos repères et nombre de nos certitudes. En quelques heures, une des sociétés les plus sophistiquées du monde s’est retrouvée obnubilée par des impératifs aussi vitaux qu’archaïques : veiller sur ses proches, rester en bonne santé, trouver de quoi se nourrir… Sans savoir combien de temps va durer cette terrible épreuve, ni dans quel état elle nous laissera. Nous sommes entrés en terre inconnue.
Dans ce flot d’incertitudes, nombre d’utopies contemporaines ont été emportées avec une rapidité stupéfiante. La liberté sans entraves, le monde sans barrières, la science qui nous rendait invulnérables, l’argent facilement gagné en bourse… : tous ces rêves prométhéens exaltés par nos élites n’ont pas résisté à une particule infectieuse de quelques millièmes de millimètre. Douloureuse leçon d’humilité.
Au moment même où ils se retrouvent isolés par le confinement, les Français vont peut-être redécouvrir ce qui les unit réellement. À commencer par la nation : ni l’Union européenne ni l’Organisation mondiale de la santé n’ont apporté la preuve de leur utilité dans cette crise. Même avec retard, même dans la confusion, c’est bien Emmanuel Macron et son gouvernement qui ont fini par prendre les décisions qui s’imposaient. Ce sont nos forces de sécurité qui vont les faire respecter. Ce sont nos services de santé, admirables, qui risquent leur vie pour préserver les nôtres. Leur légitimité est naturelle.
Mais si ses agents sont à la hauteur, et même au-delà, de la confiance que nous mettons en eux, l’État ne pourra pas tout. Nul ne sait comment il financera le gigantesque effort de soutien qui s’avérera vital pour l’économie. Après des années de gabegie et de déficits publics accumulés, comment allons-nous faire face ? Et puis, ce n’est pas l’État qui assurera la cohésion du pays dans les heures sombres qui s’annoncent. On ne mettra pas un gendarme devant chaque immeuble pour s’assurer du civisme des Français. Et toutes les grandes déclarations sur la fraternité et les valeurs de la République ne remplaceront pas cette solidarité concrète dont les Italiens nous donnent un bel exemple depuis deux semaines.
Chacun sera comptable de l’attention qu’il faut porter aux plus fragiles, à la préservation des liens familiaux, à l’aide concrète au voisin le plus proche, même quand l’anxiété conduit naturellement à l’égoïsme le plus brutal. FrançoisXavier Bellamy citait il y a quelques jours dans Le Figaro cette belle sentence de Saint-Exupéry, engagé volontaire, dans Pilote de guerre : « Chacun est responsable de tous. Chacun est seul responsable. Chacun est seul responsable de tous. » Dans une société profondément individualiste comme la nôtre, rien n’est moins évident. Et pourtant, rien n’est plus vital.