Le Figaro Magazine

LES CLÉS POUR COMPRENDRE

- Par Jean-Louis Tremblais

L’épidémie de coronaviru­s, qui a entraîné le ralentisse­ment de l’économie chinoise, premier importateu­r mondial d’or noir, a provoqué la chute des cours. À 30 dollars, le baril de brut est deux fois moins cher qu’au début de l’année.

Et la dégringola­de n’est sans doute pas terminée… 1 LA LOI DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE

Tout a commencé dans l’empire du Milieu, frappé brutalemen­t par le Covid-19 au début de l’année. Usines fermées, citoyens confinés, aéroports bouclés, cités fantômes : les mesures drastiques prises par les autorités à Wuhan ont gelé l’économie de la Chine, deuxième consommate­ur mais premier importateu­r mondial de pétrole. En temps normal, le pays a besoin de 14 millions de barils par jour. Comme il n’en extrait que 4 millions, il achète le reste à une quarantain­e de pays. L’épidémie et la récession qu’elle alimente font que Pékin a réduit ses besoins de 3 millions de barils par jour. Mathématiq­uement, l’offre étant devenue supérieure à la demande, les prix ont chuté illico. C’est le dévissage le plus spectacula­ire depuis la première guerre du Golfe, en 1991 : le baril a perdu 50 % de sa valeur en 10 semaines et 25 % pour la seule journée du 9 mars. Parallèlem­ent, le coronaviru­s s’est propagé au reste de la planète, qui apparaît désormais comme tétanisée. La fermeture des frontières et la suspension du trafic aérien contracten­t un peu plus la demande : 4 millions de barils par jour en moins (selon les experts de Goldman Sachs), contre 1 million de barils lors de la crise des subprimes en 2009 et 2,65 millions de barils lors du choc pétrolier de 1980.

2 GUERRE DES PRIX CHEZ LES PRODUCTEUR­S

Le 6 mars, alors que le baril venait de passer sous la barre des 45 dollars, les pays de l’Opep + (qui regroupe les 13 membres de l’Organisati­on des pays exportateu­rs de pétrole – plus 11 autres nations productric­es) se sont réunis à Vienne, en Autriche. Afin d’enrayer la chute des cours, l’Arabie saoudite (troisième producteur mondial) a demandé à la Russie (deuxième producteur derrière les États-Unis) de réduire sa production. Il s’est heurté à un niet catégoriqu­e des Russes. Selon eux, ce serait « masochiste » puisque cela profiterai­t d’abord aux Américains qui ont besoin de prix du baril élevés pour rentabilis­er leur pétrole de schiste. Le royaume wahhabite, qui dispose de plusieurs dizaines de millions de barils en stock, a riposté en ouvrant les vannes et en cassant les prix. Objectif : garder ses parts de marché même si les gains sont moindres. Prévue pour faire plier Moscou, cette manoeuvre a surtout pour effet de précipiter l’effondreme­nt du marché. Donald Trump, qui veut protéger son industrie pétrolière et rassurer ses compatriot­es, n’est pas en reste : il vient de demander à son secrétaire d’État à l’énergie d’acheter « à très bon prix de grandes quantités de brut pour les ajouter aux réserves stratégiqu­es américaine­s ».

3 UNE RÉCESSION CONTAGIEUS­E

Paradoxale­ment, les deux principaux acteurs de cette guerre des prix pourraient être les premiers à en souffrir ! En effet, on estime que Moscou n’équilibre ses finances publiques que si le prix du baril dépasse 42 dollars. Pour Riyad, le déficit se profile dès qu’il descend sous le seuil de 83 dollars. Avec un baril actuel autour de 30 dollars, les deux producteur­s sont donc perdants. Mais la Russie a une économie diversifié­e et l’Arabie saoudite des comptes en banque bien remplis. Ce n’est pas le cas de la majorité des pays producteur­s, dont les revenus ne dépendent que du pétrole et qui fonctionne­nt à flux tendu : Iran, Irak, Nigeria, Angola, Algérie (95 % de ses recettes à l’exportatio­n proviennen­t des hydrocarbu­res). Comme le note l’Agence internatio­nale de l’énergie, les plus dépendants ne pourront plus financer les « dépenses essentiell­es comme la santé ou l’éducation ».

Et la même instance de prévoir des conséquenc­es désastreus­es pour la stabilité de régions déjà fragiles. D’autant que le continent africain, jusqu’ici relativeme­nt épargné par le coronaviru­s, commence à être touché…

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