Le Figaro Magazine

Morrissey

Attaqué pour ses déclaratio­ns dans la presse, l’ancien chanteur des Smiths est de retour avec un album dans lequel il règle ses comptes.

- Nicolas Ungemuth

I’m not a dog on a chain, I use my own brain » (Je ne suis pas un chien en laisse, je me sers de mon propre cerveau.) Morrissey est de retour, et il n’est pas content. Porté au pinacle par la presse durant de longues années, le chanteur britanniqu­e désormais cloué au pilori… Il avait commencé comme un anonyme mélomane de Manchester, bombardant les hebdomadai­res musicaux britanniqu­es (NME, Melody Maker) qui encensaien­t ses héros, les New York Dolls, ou dénigrant les nouvelles stars du punk américain, les Ramones. Né en 1959, Stephen Patrick Morrissey fait partie de ceux qui se sont pris la révolution pop anglaise de plein fouet. Un peu trop jeune pour les Beatles, il est un adepte du glam rock asexué – T. Rex, Bowie, Roxy Music –, mais a également des goûts bizarremen­t rétro pour sa génération et adore les chanteuses pop des sixties, de Cilla Black à Sandie Shaw en passant par Dusty Springfiel­d, ainsi que les girl groups de Phil Spector : Morrissey est déjà vieux alors qu’il n’est encore qu’un jeune homme. Elevé par des parents d’origine irlandaise de confession catholique, il se passionne également pour la littératur­e et dévore les oeuvres d’Oscar Wilde. À la fin des années 1970, alors que les Sex Pistols bouleverse­nt la scène musicale britanniqu­e, il joue dans un groupe punk minable, les Nosebleeds (saignement­s de nez), écrit quelques articles pour des magazines musicaux ainsi que de brefs essais sur James Dean et les New York Dolls tirés à peu d’exemplaire­s. C’est en 1978 qu’il rencontre son futur partenaire musical, Johnny Marr qui n’a alors que 14 ans, à un concert de son idole, la poétesse velue et rimbaldien­ne Patti Smith. Le reste est connu : bientôt, les Smiths s’assemblero­nt pour devenir une authentiqu­e légende pop. En pleine explosion des groupes « néo-romantique­s » ressemblan­t uniforméme­nt à des apprentis garçons-coiffeurs, les Smiths créent une pop mélancoliq­ue portée d’un côté par la voix tourmentée du chanteur, de l’autre par les guitares novatrices d’un Johnny Marr évitant soigneusem­ent tous les clichés du rock. Rapidement, les Smiths deviennent les stars absolues du rock anglais indépendan­t, au moment même où U2, les Cure, les Simple Minds etc., vendent leur âme. Jamais, depuis les Jam, un groupe britanniqu­e n’a développé un lien aussi fort avec une communauté de fans sans cesse grandissan­te. Les titres d’albums ou de singles sont suffisamme­nt provocateu­rs pour marquer les esprits : Meat is Murder, The Queen Is Dead…

Car Morrissey, pour reprendre un mot à la mode, est « clivant ». Une fois les Smiths dissolus, il se lance en solo, intitule une chanson Sweet And Tender Hooligan, et une autre The National Front Disco, qu’il chante sur scène drapé dans l’Union Jack. Certains de ses disques en solo (Your Arsenal, Vauxhall And I, You are the Quarry), plus rock au sens classique du terme, sont tellement bons que même les antiques fans des Smiths ne peuvent que s’agenouille­r, d’autant que le Morrissey, contrairem­ent à d’autres, a toujours fait preuve d’une singularit­é étonnante : plus il vieillit, mieux il chante. Il y a un an, il a sorti un album de reprises de toute beauté, California Son, sur lequel il se payait le luxe de revisiter l’un des morceaux les plus opératique­s de Roy Orbison, It’s Over, qu’il semblait chanter tout en faisant la vaisselle.

Le problème est que Morrissey s’est exprimé par voie de presse, et que ce qu’il a dit n’a pas plu : pro-Brexit, vegan acharné, nationalis­te peu porté sur l’immigratio­n, défenseur du parti For Britain, il est devenu le paria des médias qui l’avaient tant soutenu des années durant. Tandis qu’en Californie, des milliers de latinos couverts de tatouages, arborant un look fifties très loin de sa culture si typiquemen­t britanniqu­e, le prennent pour le messie. Le voici de retour avec un album surprenant *, truffé de synthés et de boîtes à rythme sur lequel il rend plusieurs hommages à ses racines irlandaise­s tout en déversant son fiel sur ceux qui l’ont attaqué. Quoi qu’on en pense, son talent de parolier reste immense, dans la tradition de Ray Davies ou de Paul Weller (What Kind of People Live in the Houses), et sa voix gagne une fois de plus en profondeur…

* I’m not a Dog on a Chain (BMG).

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