de Philippe Tesson
En attendant la reprise de la pièce de Yasmina Reza, on peut la lire pour découvrir la personnalité attachante d’une parfaite anti-héroïne.
Les événements vont mettre pour quelque temps en veilleuse le théâtre parisien. À défaut de voir les pièces, il va rester à nos lecteurs le plaisir de les lire, exercice et occasion assez rares. Par exemple Yasmina Reza, dont le dernier texte, Anne-Marie la Beauté est édité chez Flammarion et n’a été joué que quelques jours. Le lire ne sera pas vain. L’écriture de Reza en effet est intéressante. Elle n’est pas classiquement théâtrale. L’auteur dit qu’elle ne sent pas de différence profonde dans « l’impulsion » d’écrire du théâtre ou du roman. Pas seulement dans l’impulsion, à nos yeux, mais également dans cette distinction qui caractérise son oeuvre entre la simplicité de l’écriture et des situations et l’ambition des sujets traités et du niveau de leur traitement.
La lecture de la pièce, pour peu qu’on ait eu préalablement la chance de l’avoir vue, éclaire d’une manière éloquente ce phénomène. Rappelons-en l’argument. Anne-Marie, qui rêvait d’être une star, fut une « actrice de l’ombre », et sa vie privée ne fut pas moins humble. Mais elle accepta son sort. Dans un monologue venu du coeur et comme improvisé, elle est là sur scène, devant nous, à nous livrer d’elle une personnalité étrange et attachante, à travers les souvenirs que lui laisse son amitié avec une artiste plus chanceuse qu’elle. Le récit de cette vie modeste et résignée est d’une banalité extraordinaire. L’écriture de Yasmina Reza, narrative, descriptive, parfois élémentaire, voire vulgaire, le plus souvent orale, anecdotique, volontiers elliptique, est exemplaire d’un désordre spontané, à la limite privé de sens. Ce n’est qu’illusion, et pure fabrication. Par une sorte de miracle, ce qu’on avait lu et que l’on entend devient une confidence très mélodieuse, émouvante et chargée de signification sur les aspects les plus touchants de la nature humaine. Un personnage de chair et de coeur naît sous nos yeux et dit sa vérité à travers le récit de ses épreuves, de ses rares bonheurs, de ses illusions déçues, et il aura suffi d’un acteur, de quelques sombres images superbes sur un mur et d’un livre court pour que passe l’émotion.
Ce spectacle n’aura donc eu qu’un bref succès. Cela aura suffi pour que André Marcon en ait recueilli les fruits. Éblouissant, il donne au personnage une densité surprenante, sans que le travestissement nuise à la vérité, bien au contraire. Il ajoute en effet au caractère universel de ce spectacle. Car c’est bien cette valeur humaine universelle qui nous a profondément séduits. On la doit aux deux voix jumelles, confondues, qui ont fabriqué, créé, joué cette sorte d’élégie originale : Reza et Marcon.
Un monologue venu du coeur et comme improvisé