de Jean Sévillia
Alain Corbin rappelle l’incidence sur les mentalités des XVIIIe et XIXe siècles de l’ignorance de beaucoup de secrets de la planète.
Que savaient nos ancêtres de la géographie et des mécanismes de la nature ? Quand les mystères de la planète et des espaces se sont-ils éclaircis ? Telles sont les questions que pose Alain Corbin, dans un livre original qui vise à raconter ce que nos prédécesseurs ne savaient pas, afin de rappeler ensuite quand se sont effectuées des découvertes qui relèvent aujourd’hui de l’évidence. Ancien professeur à l’université de Tours puis à l’université Paris I-Sorbonne, l’auteur est un spécialiste mondialement reconnu de l’histoire des mentalités et des sensibilités. C’est évidemment dans cette perspective qu’il a écrit cet ouvrage, car l’essentiel n’est pas de savoir, par exemple, à quel moment se sont affirmées les premières volontés d’explorer les fonds marins, mais de comprendre le sentiment autrefois engendré par le fait de ne pas savoir ce qu’il y avait au fond de la mer. « La peur de l’ignoré, observe Alain Corbin, est particulièrement torturante. »
Organisé chronologiquement, l’ouvrage expose en premier lieu combien le siècle des Lumières, qui se voulait pourtant le siècle de la raison et de la lutte contre l’obscurantisme, savait bien peu de choses sur le globe. À l’époque des encyclopédistes, on ignorait ce qui provoquait les tremblements de terre – le séisme qui détruisit Lisbonne, en 1755, fut à cet égard particulièrement traumatisant –, tout comme on méconnaissait les pôles. En ce temps-là, toutefois, des navigateurs européens cherchaient un passage vers l’Asie par le NordOuest, tandis que les montgolfières permettaient de s’élever de quelques centaines de mètres au-dessus du sol, suscitant quelques fructueuses expériences scientifiques et aiguisant l’envie d’aller plus haut. C’est très lentement, au cours de la première moitié du XIXe siècle, ou, plus rapidement, après 1850, que la sismologie, l’hydrologie ou la météorologie accéderont au rang de sciences, mais il restera beaucoup de chemin à faire pour comprendre les glaciers ou les volcans.
Dans sa conclusion, l’auteur souligne que nous sommes, en 2020, encore très ignorants sur la place de la Terre dans le cosmos ou sur l’ancienneté des individus qui l’ont habitée : l’histoire de l’ignorance n’est donc jamais terminée. Terra incognita. Une histoire de l’ignorance, d’Alain Corbin, Albin Michel, 284 p., 21,90 €.