LE BLOC-NOTES
de Philippe Bouvard
J’ai l’impression qu’à chaque nouvelle découverte le mystère du monde s’épaissit. J’ai commencé à décrocher avec le téléphone. Un moyen de communication encore rudimentaire puisqu’il empruntait obligatoirement un fil et qu’on ne bavardait pas avec un correspondant sans avoir parlé à une préposée sur fond sonore de casseroles. Les fils ont disparu du combiné en même temps que des haricots verts. Le délai de moins de huit secondes au terme duquel je peux m’entretenir avec l’aîné de mes petits-fils qui vit à San Francisco me laisse à penser que le câble sous-marin appartient déjà à la panoplie des vieilles lunes. Je ne suis pas davantage capable de percer le secret de cette télévision que je regarde beaucoup en m’y intéressant très peu. Je m’interroge également en vain sur le fonctionnement de l’informatique qui nous a apporté presque autant d’escroqueries que de progrès. Les pirates oeuvrant sur internet portent-ils un bandeau noir sur l’oeil gauche ?
Qui sont les programmateurs qui ont établi la documentation de base et qui l’enrichissent dix mille fois par jour en fonction de critères inconnus ? Comment se fait-il, tandis qu’à chaque seconde des milliards d’e-mails transitent sans encombre à travers l’espace, que nos textos se retrouvent bloqués au soir de la Saint-Sylvestre ? Pourquoi, alors qu’on se dirige vers le tout-numérique, faut-il renvoyer par la poste quand on les a signés les documents bancaires et administratifs acheminés par courriel ? Quant aux objets connectés, j’ignore autant leur usage que la place qu’ils vont tenir dans une civilisation de plus en plus automatisée. Les robots m’interpellent lorsqu’ils sont conçus pour remplacer les dames de compagnie ou les partenaires sexuels.
Sur le catalogue des questions sans réponse, j’inscris la climatisation réversible, le replay, la greffe du visage, les trottoirs roulants, le beurre blanc et le solfège. Je n’en savais pas plus sur le moteur des quelques dizaines de voitures que j’ai utilisées sans être généralement apte, il est vrai, à lever leur capot. L’électricité sans laquelle nous ne saurions plus vivre suscite en moi un courant alternatif d’admiration et de crainte selon qu’elle intervient au plafond ou sur une chaise. Et ce ne sont pas les gaz lacrymogènes, les grenades de désencerclement et l’arme nucléaire qui vont me rassurer. Ce n’est pas tout. Comment la géolocalisation permet-elle de suivre à la trace un suspect qui ne se sert même pas de son téléphone ? Comment les avions échappent-ils à une attraction terrestre dont je n’explique pas plus le pouvoir que le phénomène grâce auquel le feu de la Terre ne diminue pas en dépit de la privation de l’oxygène indispensable à toute combustion ? Pour avoir parfois approché l’univers hospitalier et les disciples d’Hippocrate, j’aurais dû me familiariser avec la médecine. Hélas ! les maladies qu’on est incapable de soigner comme Alzheimer et Parkinson ont eu raison de cette prétention avant même que coronavirus nous attaque. D’où vient cette méchante bestiole ? Quand se fatiguera-t-elle ? Quelles mauvaises surprises nous réservent ses mutations ? Pourquoi met-on au point un vaccin qui arrivera trop tard ? D’autres perplexités me hantent. Comment l’ADN avec lequel le regretté Salvador Dalí se gargarisait déjà voilà un demi-siècle recèle-t-il toutes nos caractéristiques sur une tête d’épingle ? La fausse couche est-elle le suicide d’un foetus sachant qu’il ne sera pas viable à la naissance ou qu’il ne trouvera pas d’emploi à 20 ans ? Le coma est-il un grand sommeil ou une petite mort ? Qu’est-ce qui nous autorise à affirmer que le cosmos est en perpétuelle extension alors que nous ne pouvons imaginer l’infini ? Les autres planètes habitées sont-elles trop éloignées pour recevoir nos messages ou bien leurs explorateurs, après être venus subrepticement nous observer, ont-ils conclu que nous ne présentions aucun intérêt ? Pour quelle raison nous obstinons-nous à vouloir retourner sur la Lune compte tenu que cet astre mort est uniquement constitué de débris terrestres ? À quoi sert de fabriquer des fusées allant de plus en plus loin vu que la vie des astronautes est toujours aussi courte ? Pourquoi, nonobstant les avancées technologiques, les feux d’artifice ne s’incrustent-ils pas plus durablement dans le ciel ? Sur le plan des moeurs, la progression des viols tient-elle à la mise sur le marché du Viagra ou au nombre croissant de femmes ne trouvant pas d’homme à leur goût ? Pourquoi les vieux célibataires et les veuves n’ont-ils toujours pas le droit d’épouser leurs animaux de compagnie afin de leur léguer de quoi ne pas manquer de croquettes ? Comment l’Église maintient-elle le dogme de la Résurrection après avoir admis la crémation qui prive les Justes d’un physique présentable au Jugement dernier ? Enfin, je ne vois pas pourquoi je suis passé à cette cascade d’aveux de nullité intellectuelle au risque de me faire perdre votre considération.
“L’électricité suscite un courant alternatif d’admiration et de crainte ”